Il va y avoir du sport N°6 Mars 2025 | Ils ont fait l'actu

ENTRAÎNEUR

NICOLAS CAULLERY SUR TOUTES LES SCÈNES
Par Emmanuel Roussel

L’actualité est ainsi faite que l’on ne parle pas toujours des entraîneurs pour les bonnes raisons. Un coup d’éclat peut suffire à projeter l’un d’eux dans la lumière plus sûrement que le travail minutieux, quotidien et pour tout dire, parfois fastidieux de l’entraînement des chevaux, de l’organisation d’une écurie et de son économie. La carrière de Nicolas Caullery en est l’illustration.

La victoire surprise de King Gold , le 24 janvier dernier dans un Groupe 3 à Dubaï devant Laurel River , « meilleur cheval du monde » selon les classifications saisonnières, ainsi que celle de Fort Payne dans le Burj Naahar (Gr.3) à Meydan, samedi 1er mars, ont propulsé son entraîneur, Nicolas Caullery, sur le devant de la scène hippique mondiale. L'élève de la famille Wingtans l’avait déjà fait à l’été 2023 à Deauville en remportant le Prix Maurice de Gheest (Gr.1) à Deauville. Certes, dans la pratique, Laurel River n’a jamais été le « meilleur cheval du monde », pas plus que King Gold désormais, mais cette magnifique victoire est un nouveau coup de pouce du destin pour l’entraîneur qui a découvert les courses, enfant, avec ses parents sur les hippodromes du Nord du pays et la plupart du temps au trot. La Capelle, Berck-sur-Mer, les meilleures baraques à frites du monde, les toboggans, les foules populaires du dimanche et ces meetings à la portée de tous ont bercé les jeunes années du petit Nicolas. « Je voulais rentrer dans les trotteurs dès l’âge de 14 ans, explique-t-il, mais c’était encore trop jeune, alors comme on estimait, à l’époque, que je ne grandirais plus beaucoup, j’ai tenté ma chance à Chantilly. Je suis entré chez David Smaga dans l’espoir de devenir jockey ». Six ans et assez de croissance pour atteindre le mètre quatre-vingt-trois plus tard, Nicolas Caullery avait définitivement élu domicile à Chantilly. Mais c’est plus de quinze ans après son arrivée sur le centre d’entraînement qu’il a décidé d’entraîner lui-même, en 2011, à 30 ans passés. Après un passage chez Valérie Dissaux, il travaillait jusqu’alors aux côtés du regretté entraîneur Patrice Chatelain qui, victime d’un accident, lui avait confié la gestion quotidienne de l’écurie en attendant son retour. Ce test grandeur nature a décidé Nicolas à se lancer luimême dans le grand bain. En juin 2011, il s’est donc installé avec une poignée de supporters, notamment Claude Bodin, Alain Chérifi et Paul Normand, qui devinrent ses clients. Il a investi 27 007 € à réclamer dans Star Dust Melody lorsqu’elle a gagné à Longchamp, pour la voir gagner à nouveau sous la casaque d’Alain Chérifi à Maisons-Laffitte.

D’abord les réclamer
Puis ce fut Zack Hope , réclamé en octobre à Peter Schiergen pour 23 007 €, et toujours la casaque d’Alain Chérifi. « J’étais à Newmarket à la recherche de chevaux de première main des écuries anglaises pour une seconde carrière en France, explique Nicolas . Je connaissais le cheval et j’avais de bonnes infos sur lui. Il avait un très bon papier mais il avait été castré et il était difficile. On l’a acheté et voilà. Il a fallu le comprendre. Marine (Henry, ex-entraîneur, compagne et partenaire à l’écurie de Nicolas) est allée le sortir pendant des jours dans la forêt, jusqu’à ce qu’il aille mieux, qu’il reprenne goût à tout ça. On l’a emmené à Cagnes et il a gagné son Quinté+, mon 2e, à 68/1 ». Zack Hope a couru 68 fois ensuite, gagné treize fois et pris pas loin de 600 000€ jusqu’à sa retraite en octobre 2018… L’écurie Caullery a beaucoup changé depuis l’acquisition de Zack Hope . Elle a intégré le top 30 français dès sa cinquième année, en 2015, le top 20 en 2023, avec en règle générale 75 à 85 chevaux dans l’année - Nicolas a 60 boxes dans l’ancienne écurie d’Elie Lellouche -, plus de 40 victoires par an dans les bonnes saisons, et elle dépasse le million, voire le million et demi d’euros depuis 2022 à chaque bilan. L’année dernière, pour la deuxième fois en trois ans, l’écurie est grimpée sur le podium du classement des entraîneurs par les gains en handicaps avec 1,15 million de gains dans cette catégorie. Les Quintés+ que ses pensionnaires accumulent restent de gros moteurs de communication pour les écuries intermédiaires, mais c’est à travers deux autres filons que Nicolas Caullery a pu faire parler de lui : d’abord pour une certaine inclinaison pour les courses sur PSF, ensuite par ses raids fructueux à Dubaï.

« CHAQUE CHEVAL A SA CARRIÈRE, SON PASSIF ET SES CAPACITÉS. IL FAUT GÉRER TOUT ÇA SELON CHAQUE CAS, ET NOUS AVONS PROUVÉ QU’AVEC DE PETITS CHEVAUX, ON ARRIVAIT À FAIRE DE BONNES CHOSES »

Nicolas Caullery

La réussite de ses pensionnaires sur les pistes en PSF a été si marquante qu’il pouvait craindre, à un moment donné, d’être catalogué sur ce créneau, à défaut des autres. On aime bien distribuer des étiquettes, et elles sont parfois aussi coriaces qu’un pansement collé à la semelle du Capitaine Haddock. Mais les victoires de King Gold , de Fort Payne (le Gr.3 Palais-Royal), de Batwan et bien sûr de l’excellente Kennella , 3e de la Poule d’Essai des Pouliches (Gr.1) 2021, ont prouvé que l’écurie savait aussi, selon l’expression même de Nicolas, « entraîner les chevaux de Groupe comme on entraîne les chevaux de course ». Reste que les filières d’approvisionnement des chevaux de Groupe ne sont pas les mêmes que celles des chevaux de handicaps. « Le but de mes propriétaires, la plupart du temps, précise Nicolas, c’est de se faire plaisir, de gagner quelques courses, et notamment des Quintés+, car ils ont toujours une saveur particulière. Mon travail, c’est de trouver les chevaux pour ça, et de les préparer pour ces objectifs, de leur donner une seconde vie. Chaque cheval a sa carrière, son passif et ses capacités. Il faut gérer tout ça selon chaque cas, et nous avons prouvé qu’avec de petits chevaux, on arrivait à faire de bonnes choses ».

Oser essayer
Non content de cette routine, qui n’a cependant rien de monotone, car cet entraînement à la carte demande beaucoup de temps et suppose des aléas, Nicolas Caullery a découvert un autre monde lorsqu’en 2014, il est allé pour la première fois à Dubaï… « J’ai regardé un peu les programmes et les chevaux et je me suis promis d’y retourner avec des chevaux, se rappelle-t-il. J’ai alors récupéré Golden Wood pour Christian Wingtans. Et je me suis dit qu’il y avait un programme pour lui là-bas. On a tenté le coup, et on a gagné, mais je pouvais passer pour un fou, à ce moment-là, parce qu’on a souvent tendance à se convaincre que c’est trop dur, mais ce n’est pas ma façon d’être ni ma façon de faire. Je n’ai pas peur d’essayer des choses, d’explorer. L’organisation de Dubaï a joué le jeu tout de suite, d’ailleurs. On y est retourné avec d’autres chevaux en plus de lui, qui a regagné, et depuis, j’y vais tous les ans. Marine reste là-bas et c’est comme si j’y étais. Nous travaillons en confiance, et c’est une grande chance de pouvoir nous organiser comme ça. Je peux faire ce qu’il faut ici en France, pendant ce temps-là ». Le visage bronzé, qui est désormais sa signature de l’hiver avec ses grandes dents blanches et ses cheveux longs, Nicolas Caullery prépare donc à présent, avec Marine Henry, les grandes échéances de Meydan, notamment la nuit de la Dubai World Cup. Ce sont les échéances des grands rêveurs, celles qui rockent pour sortir un peu de l’ordinaire. C’est dans sa façon de gérer cet ordinaire, de l’améliorer en sortant des terrains battus, d’une piste à l’autre, d’une classe à l’autre et d’un meeting à l’autre, que Nicolas partage son bonheur.