Il va y avoir du sport N°6 Mars 2025 | à la une

FIÈVRE DE CHEVAL CHEZ LES SPORTIFS

Par Serge Okey

Qu’ont-ils tous à courir avec les courses ? De plus en plus de sportifs se laissent tenter par le propriétariat, quand d’autres se lancent comme entraîneur, éleveur, et même driver. Derrière l’emblématique duo Tony Parker - Antoine Griezmann, une foultitude de joueurs et athlètes se passionne pour les chevaux. Un engouement qui dépasse largement le cadre du football et du basket-ball. Besoin de vibration, quête d’identification : les sportifs de haut niveau sont gagnés par le culte des courses.

« Mon rêve, c’est de gagner un jour le prix d’Amérique ». Le vœu est d’Emmanuel Petit, champion du monde en 1998 auprès de Zidane et Deschamps. Néopropriétaire de trotteurs et pourtant déjà heureux détenteur d’un placé de groupe 1 avec Let My Fire ( fils de Ready Cash et entraîné par Sébastien Guarato) à l’occasion du Prix de Sélection disputé samedi dernier sur le Plateau de Gravelle. L’ancien footballeur est de retour sur les hippodromes. Par le passé, le consultant pour beIN Sports avait déjà goûté aux joies de la victoire à Saint-Cloud et Vichy, un Quinté+ en prime, avec Ashkelon , qui courut un peu plus d’une douzaine de fois sous ses couleurs. Une époque où Emmanuel Petit était associé à Robert Pirès, auteur du fameux doublé Mondial 1998 - Euro 2000 avec les Bleus lui aussi. Avec Antoine Griezmann, Luis Fernandez, Lionel Charbonnier, Jérôme Rothen, Lionel Letizi, Benoit Costil, Marvin Martin ou encore Manuel Amoros, le duo incarne la passion des anciens Bleus pour les courses. À l’image de Tony Parker, certains assument ouvertement un rôle d’ambassadeur.

Une façon peut-être de rester sous le feu des projecteurs. Assurément, de vibrer au plus près d’une passion qui les touche en plein cœur.

Mick Channon, le précurseur
Cette passion, la doivent-ils à leur aîné Mick Channon ? Sans doute un peu, si l’on part du principe que le meilleur buteur de l’histoire de Southampton est le premier joueur du football moderne à avoir marqué à ce point l’histoire des courses : 232 buts et 46 sélections sous le maillot de l’Angleterre en vingt ans de ballon rond ; plus de trente ans en tant qu’entraîneur sur les hippodromes, quelque 2 500 victoires et 21 Groupes I à la clé. En Angleterre, c’est un modèle de reconversion. Un avant-centre avant-gardiste. L’autre légende du genre outre-Manche, c’est Sir Alex Ferguson, l’emblématique manager de Manchester United. Côté ballon rond : treize titres de champions d’Angleterre, neuf coupes nationales (Angleterre & Écosse, deux Ligue des Champions. Côté courses : neuf Groupes I, dont sept d’affilé en qualité de propriétaire de Rock of Gibraltar , deux King Georges VI, une Punchestown Gold Cup et deux Bowl Chase d’Aintree avec Clan des Obeaux (un 3e avec What a Friend ), un Bahrein International Trophy avec Spirit Dancer . « Quand on gagne de tels trophées, que ce soit au football ou aux courses, c’est la même excitation, assure le mythique coach des Red Devils. La grande différence, c’est le contrôle des événements. Au foot, j’avais la main sur mes joueurs. Là, je suis obligé de m’en remettre à l’entraîneur ».

Concourir à la place du passager. Confier le volant. Une façon peut-être de garder l’adrénaline tout en lâchant un peu la bride. Dans les années 70, les stars du cinéma se pressaient sur les hippodromes. Les fameuses années Alain Delon, Mireille Darc, Michel Sardou, Omar Sharif… Encore que des personnalités comme JoeyStarr sont en passe de succomber au virus, que l’humoriste Nicolas Canteloup possède un permis d’entraîner au galop, que jamais autant de films n’ont été consacrés aux courses (Turf, Tempête, puis Lads à venir), aujourd’hui le showbiz semble avoir passé le relais aux sportifs de haut niveau. Des vestiaires aux champs de courses, les passerelles se sont multipliées. On sait les sportifs friands de jeux vidéo, de golf ou de poker. Mais la passion des courses est bien plus répandue dans ce milieu qu’on ne le croit. Derrière des vedettes comme l’Allemand Thomas Muller, son ancien coéquipier du Bayern de Munich Claudio Pizzaro, l’entraîneur du Real Madrid Carlo Ancelotti, l’ancien Parisien Javier Pastore, l’ex-coach de l’AC Milan et de la Juventus Massimiliano Allegri, le Chilien Arturo Vidal, sans parler du légendaire Maradona et de l’ancien Ballon d’Or Michael Owen (lire par ailleurs), le football fourmille de propriétaires de galopeurs ou de trotteurs célèbres ou non.

« La même adrénaline »
Que ce soit à Rennes, Nice, Saint-Etienne, Angers ou ailleurs, le collectif est un endroit propice à l’émulation. De là naissent de multiples vocations, se transformant parfois en associations. Lorsqu’il jouait à Reims, par exemple, Mathieu Cafaro s’est associé à ses coéquipiers Marvin Martin et Alaixys Romao, avant de transmettre le virus à Éric Vandenabeele. « Dès que j’en parle, ça donne envie, explique le néo joueur du Paris FC. Ça se Marchand d’Or le jour du Prix du Jockey Club. Jérôme Rothen, lauréat d’une étape du GNT avec Ulysse de Curgies . Et tant d’autres… Il est amusant de constater que certains sont des aficionados des hippodromes sans avoir (encore ?) franchi le pas du propriétariat. Le cas d’anciennes gloires comme Jean-Pierre Papin, plusieurs fois ambassadeur du Grand National du Trot, des anciens Parisiens Marco Verratti et Salvatore Sirigu, mordus de galop. S’il est un puissant réservoir, le foot n’est pas l’apanage des courses. Le pouvoir d’attraction de celles-ci touche de multiples sportifs de haut niveau. Même à 10 %, le pilote de F1 Charles Leclerc a fait, quant à lui, partie de l’aventure Infinty

DÈS QUE J’EN PARLE, CA DONNE ENVIE. ÇA SE RAPPROCHE DU FOOT, IL Y A LA MÊME ADRÉNALINE.

Mathieu Cafaro

rapproche du foot, il y a la même adrénaline ». Ce besoin de vibration, ce plaisir d’identification font le bonheur de professionnels des courses. Fan du SCO d’Angers, Antoine Marion a la chance d’entraîner pour les couleurs de ses idoles. Baptiste Santamaria est un joueur clé dans cette histoire. Après avoir emmené dans ses filets son ancien partenaire angevin Stéphane Bahoken, le néo-Niçois a transmis la passion du trot à Martin Terrier (Leverkusen) et à son nouveau coéquipier Gaëtan Laborde. Certains footballeurs connaissent un petit succès comme l’ancien Barcelonais Clément Lenglet, de mieux en mieux « équipé » chez Francis Henri- Graffard et vainqueur d’une Listed avec son beau gris Bois d’Argent à Longchamp. L’ancien Lensois Cyril Rool, vainqueur du Prix du Cornulier avec Malakite . L’attaquant sénégalais Mbaye Niang, dont le cheval Louliana a gagné le prix Nine Horses. Au côté de Tony Parker, il a connu le succès avec Afghany , sous l’entraînement de Fabrice Chappet, à Clairefontaine. Sans doute le sport le plus cousin des courses, le cyclisme est un réservoir de choix. Et pas seulement de propriétaires. Les as de la petite reine ont une propension plus élevée que les autres à franchir le pas de la reconversion. Recordman de participations (18) au Tour de France, Sylvain Chavanel est devenu driver amateur. Maxime Bonsergent jockey, Dany Stoehr entraîneur. Et Yvan Madiot , l’ancien directeur de la FDJ, éleveur, sous l’œil avisé de son frère Marc, double héros de Paris-Roubaix. Parfois, les deux passions se rassemblent. Le rugbyman gallois Jonathan Davies bénit encore ce jour où il a réalisé le Grand Chelem (tournoi des VI Nations) quand son cheval Potter Corners remportait sa première victoire. Et comment ne pas se rappeler de ce fameux 18 septembre

Michael Owen, le Ballon d’or devenu célébrité des courses

Dans la foulée de son Ballon d’Or en 2001, le « Wonder Boy » des Reds de Liverpool s’est offert la maison de ses rêves : un splendide manoir au pays de Galles à cinq minutes de sa maison d’enfance et à une demi-heure de ce qui deviendra, cinq ans plus tard, son écurie : Manor House Stables , une ancienne ferme laitière reconvertie en un domaine de 68 hectares dans le Cheshire, avec ligne droite inclinée, spa et installations vétérinaires de pointe. L’histoire est aussi insolite que populaire. Plutôt que de dilapider sa fortune dans les paris, Michael Owen s’est vu conseiller par un psychologue spécialiste des addictions d’investir dans sa propre écurie. C’est ainsi qu’il est devenu propriétaire et éleveur, longtemps associé à Andrew Black, homme d’affaires célèbre pour avoir cofondé Betfair, dont il s’est séparé en 2022 au même moment que son entraîneur de longue date Tom Dascombe.

En réalité, le jeune prodige du football anglais est venu aux courses très jeune : dès l’âge de 18 ans au côté de John Gosden. « Les courses ont toujours été ma passion », aime à dire le « petit prince de Galles », apparu en selle en 2017 lors d’une course de charité à Ascot dont il a terminé dauphin. « C’est très intense, déclarait-il à l’époque , comme si j’avais disputé un quart de finale de Coupe du monde contre le Brésil. Les jockeys sont définitivement de grands athlètes, une opinion qu’on ne peut réaliser qu’en montant à leur place ». Il y a trois ans, Michael Owen a décidé de s’attacher les services d’Hugo Palmer, qui a transféré son écurie de Newmarket vers le Cheshire. Les résultats s’en ressentent. Avec 78 gagnants et 180 places en 2024, la casaque de Manor House Stables a porté son record de gains en une année à 1,484 millions de livres. Michael Owen est certes moins précoce dans les courses que ballon au pied. Mais son Brown Panther , dont il est aussi l’éleveur, lui a offert les King George V Stakes dès 2011, son premier Groupe I avec style dans le Saint Léger irlandais en 2014, avant un dernier succès dans la Dubai Gold Cup en 2015. Enfant, Michael Owen rêvait de devenir « le meilleur joueur du monde ». À 45 ans, ses ambitions se sont déplacées vers ce qui incarne sa « troisième passion » après sa famille (sa femme Louise et leurs quatre enfants) et le football . « Le succès te donne le goût du succès à venir », tient-il pour principe. L’homme aux 40 buts en 89 sélections sous le maillot de l’Angleterre , 262 buts tout au long de sa carrière, fonde de grands espoirs sur la restructuration de son écurie, ouverte à la syndication et à un club de propriétaires tout simplement baptisé Michael Owen Racing Club.

2004, où le Stade de France fut transformé en hippodrome le temps d’un soir : deux courses de galop, deux de trot. Soumillon, Bœuf, Jarnet, Lemaire, d’un côté. Bazire, Levesque, Vercruysse de l’autre. ParisLongchamp et Vincennes réunis dans le temple du sport. Après le football, l’autre antichambre des courses est naturellement le basket. Et le haras acheté de concert par Tony Parker et Nicolas Batum, le symbole ultime. Le premier s’investit pleinement pour rendre « les courses populaires », on le sait. Il suffit d’allumer Equidia (lire son interview par ailleurs). Ce qu’on sait moins, c’est à quel point une autre star de la NBA, le Serbe Nikola Jokic, est épris de cheval. « J’ai même failli arrêter le basket pour les courses à l’âge de 13 ans, confie le « MVP » (meilleur joueur du championnat US en 2021, 2022 et 2024). Mon rêve, c’est de retourner en Serbie pour être entraîneur de trot ». Il possède déjà sa petite écurie de trotteurs, baptisée Dram Catcher, et confiée pour partie à son compatriote Miodrag Pantic près de Melun et à l’entraîneur italien Alesandro Gocciadoro. C’est plus rare, mais il arrive aussi que les femmes succombent au virus. Le cas de Victoria Alonso, jeune femme jockey parvenue à se frayer une place dans le Top 10 des courses en Espagne, alors que son « pedigree » la prédisposait à tomber dans les filets du football. Son grand-père a remporté cinq Coupes d’Europe avec le Real Madrid dans les années 60. Son père a joué au Rayo Vallecano avant de devenir entraîneur de chevaux. Et son cousin a joué à Chelsea et Barcelone. Elle s’est fait remarquer à l’international en 2023, la veille de la Saudi Cup, au sein des dix jockeys hommes et femmes venus du monde entier concourir à l’International Jockey Championship à Riyad, en Arabie saoudite.

J’AI MÊME FAILLI ARRÊTER LE BASKET POUR LES COURSES À L’ÂGE DE 13 ANS.

Nikola Jokic

Une aubaine pour les courses
Comme les « people », la présence de sportifs dans les écuries et sur les hippodromes est une aubaine pour l’image des courses. « Cela participe à la médiatisation d’un événement » saluent régulièrement les deux maisons mères, France Galop et La SETF. Le dernier coup de filet en date est récent : le Prix d’Amérique, avec la présence en « guest star » de Teddy Riner, plus grand judoka de tous les temps. Les courses se nourrissent ardemment du sport. Le PMU l’a bien compris, lui qui longtemps investi massivement dans le football en sponsorisant la Coupe de France, des clubs de Ligue 1 et Ligue 2, ainsi que dans le Top 14 de rugby et dans le cyclisme. Aujourd’hui, Betclic a pris le relais. Le « n°1 des paris sportifs en ligne » est partenaire officiel des Bleus, de la L1 et de la L2, de la fédération de volley-ball et de l’UFC (MMA), partenaire majeur de la Coupe de France de football, fournisseur officiel du Top 14, partenaire de la Fédération de rugby, sponsor titre de la Pro A de basket-ball... Ces deux mondes sont parfois aussi le théâtre de rivalités très personnelles. Après s’être affrontés pour la présidence de la Ligue de Football, les anciens patrons du PSG et de l’OM, Michel Denisot et Vincent Labrune ont poursuivi leur duel en marge des hippodromes, lors des dernières élections du Comité de la SETF. Le premier affichait son soutien à Caroline Sionneau, le second à Jean-Pierre Barjon. Côté pistes, la rivalité entre ces deux grands passionnés de chevaux penche, en revanche, largement pour l’ancien présentateur de Canal +. En tant que propriétaire, Labrune n’a jamais rien gagné de notoire. Certains diraient que son palmarès est aussi vierge que celui de l’OM depuis quinze ans. À l’inverse, Michel Denisot a remporté le Président de la République 2008 avec Palypso de Creek et de nombreux succès avec sa casaque violette au galop. Sachant qu’il fut un temps président de la Commission image, communication et promotion de France Galop. Inversement, le sport exerce un fort pouvoir d’attraction sur le monde des courses. Christophe Soumillon est passionné de tennis, Pierre Bazire est fan de NBA, Tony Piconne aime le golf, tout comme Thierry Thulliez. Un sport que pratique aussi Stéphane Pasquier, grand amateur de foot et du PSG.

Le culte de la victoire
Au-delà des questions de rentabilité, toujours aléatoire dans ce milieu, les sportifs sont parfois guidés par une fascination qui remonte à l’enfance. Antoine Griezmann l’évoque souvent, lorsqu’il rappelle à quel point « la passion de son père » a été prépondérante dans son choix. Leur écurie est d’ailleurs basée chez eux, à Mâcon, au pays du vin gourmand et joyeux. « Il a le feeling, un niveau d’implication qui n’est pas commun », juge son entraîneur Philippe Decouz, qui s’amuse encore de l’avoir vu « tellement excité » qu’il n’arrivait pas à « tenir ses jumelles » lors de sa toute première course. Comme Emmanuel Petit, Antoine Griezmann vise très haut. « Mon objectif, c’est de courir le Prix de l’Arc de Triomphe et le Prix d’Amérique », confiait l’attaquant de l’Athlético de Madrid dès 2019. Le propre d’un champion est de rêver plus grand que les autres. Sa marque de parvenir à ce que ses rêves deviennent réalité. La culture et le culte du résultat. Sur tous les terrains.