ÉLEVAGE
Le Haras de Saint-Voir de Nicolas de Lageneste a terminé tête de liste des éleveurs en obstacle en France l’année dernière pour la neuvième année. Cet élevage n’a pas quitté le podium de ce palmarès depuis 2008, un an avant son premier titre. Chez les propriétaires, la casaque rouge et blanc a terminé en tête pour la première année en 2023, et elle est citée dans le trio de tête sans interruption depuis 2018. Il s’agit donc d’un des tout meilleurs élevages du pays, qui est à la fois jeune et ancien. Ancien parce que la famille Lageneste y élève depuis trois générations (Henri le père de Nicolas avait déjà obtenu un cheval d’or des éleveurs en 1983), et parce qu’à travers ses manières et son attitude, sa discrétion, un respect de la belle chose et du travail qui ne sont plus tellement d’actualité, Nicolas de Lageneste évoque une forme de tradition hippique française.
Voilà pour la culture, passons à l’agriculture. Saint-Voir est à la pointe parce que le monde de l’obstacle est mouvant, qu’il a évolué de façon spectaculaire depuis que Nicolas a commencé à élever, en 1991, et parce qu’au fil d’une carrière, celui qui est curieux trouve toujours mieux à faire que de simplement continuer.
Élever l’ herbe
L’élevage, ce n’est pas juste mettre un maximum des meilleures juments aux tous meilleurs étalons. C’est déjà pas mal, mais c’est insuffisant. L’élevage du cheval de course, c’est une œuvre agricole dont le sang est la peinture et la terre le canevas, la structure. « Il faut élever l’herbe avant d’élever des chevaux, répète Nicolas de Lageneste. Les terres de Saint-Voir ne sont pas aussi généreuses que celles de la Nièvre ou de Saône-et-Loire, et il y poussait une flore indésirable. Elle est sableuse et légère. Nous avons fait beaucoup d’analyses de sol et avons dû l’enrichir par l’apport d’amendements, de minéraux et d’oligo-éléments. Nous avons commencé par drainer l’ensemble des prairies et désormais nous compostons et épandons nous-mêmes, nous hersons, nous broyons, nous récoltons notre foin et l’analysons. Les progrès sont notables et cela nous permet de réduire les compléments et de faire des chevaux osseux et solides. Le cheval est un herbivore, n’oublions jamais cela ».
De l’autre côté du spectre des activités hippiques, après avoir été étalonnier pendant 27 ans à Saint Voir, Nicolas a aussi développé son centre de préentraînement et entraîne en son nom aujourd’hui une quinzaine de chevaux. « À l’origine, il s’agissait d’avancer les poulains à la fin de l’élevage avant de les envoyer à l’entraînement, explique-t-il. Et puis, pour motiver les troupes et aussi pour des cas particuliers, nous entraînons depuis quelques années nous-mêmes en se limitant volontairement à une quinzaine de sauteurs. Il est toujours plus agréable, notamment pour les équipes, de voir gagner pour nous les chevaux que l’on monte le matin. Ça me tentait depuis longtemps, mais c’est la partie la plus délicate de mes activités parce que c’est celle qui demande le plus de main d’œuvre, de gestion du personnel, et celle qui présente le plus de contraintes réglementaires, sanitaires et logistiques. Cette activité devient particulièrement compliquée aujourd’hui. L’élevage reste passionnant, étant plus une source de rêves et d’émotions, mais présente également sa part de problèmes et d’aléas et nous nous devons de rester humble ». Nicolas de Lageneste aime aussi envoyer ses chevaux chez de nombreux entraîneurs, en particulier de jeunes professionnels, auxquels une telle génétique est parfois difficile à atteindre. « La jeunesse est plus enthousiaste, globalement, elle partage davantage que les entraîneurs plus établis, explique Nicolas. Les échanges avec eux sont réguliers, ils sollicitent davantage notre avis et ils sont plus transparents. C’est une vraie différence et j’ai beaucoup de plaisir à leur donner leur chance, quand je peux ». Le modèle d’intégration verticale mis en œuvre à Saint-Voir rappelle que Nicolas de Lageneste est un véritable homme-orchestre puisqu’en plus d’être éleveur et propriétaire, il est également pré-entraîneur, entraîneur, mentor, agriculteur et, jusqu’à janvier 2024, administrateur de France Galop. « C’est une expérience que j’ai trouvée passionnante, affirme-t-il. Nous nous réunissions dans une bonne atmosphère de travail avec des gens très compétents. Mais cet investissement prend beaucoup de temps et dans ma position, ici dans l’Allier, cela devenait difficile à assumer. Avec Jacky Cyprès et Antonia Devin, entre autres, nous pouvions apporter un éclairage professionnel au débat en vis-à-vis de projets qui nécessitaient plus de hauteur de vue. Nous avons œuvré pour développer l’élevage, avec les primes et les courses de femelles, et la promotion de notre programme de sélection. Nous n’avions pas tous les tenants et les aboutissants, mais le bon sens lié à notre activité au quotidien a pu, me semble-t-il, participer utilement aux débats ».
Changement de méthode
Cette activité bénévole chronophage n’a pas empêché le haras de continuer à s’illustrer « grace au soutien et à l’œil de Pascaline, ma regrettée épouse qui était autant sur le terrain qu’au bureau », rappelle Nicolas. Aussi au cours de cette période, le nombre de chevaux en course s’est-il maintenu, de même que le nombre de victoires, qui flirte chaque année autour de 50 en France. En revanche, les gains se sont installés durablement au-dessus du million et demi à partir de 2016, avec « les années De Bon Cœur », et au-delà de deux millions depuis 2022. « C’est probablement dû au fait que je garde davantage les chevaux que j’élève, explique Nicolas de Lageneste. Lorsqu’ils partent en Grande-Bretagne ou en Irlande, nos chevaux disparaissent parfois complètement du circuit pendant des années. Non seulement c’est frustrant, mais ça dévalorise notre production. Et puis, bien sûr, les éleveurs sont privés des primes que les chevaux gagneraient s’ils réussissaient en France. Aujourd’hui, j’essaye de vendre ma production plus tard, et en partie seulement, pour qu’elle reste davantage en France, avec des associés comme les McLennan, Kelvin Hughes, ou Simon Munir et Isaac Souede, par exemple ». C’est le modèle d’Il Est Français, qui va porter les couleurs de Kelvin Hughes et de Saint-Voir au Festival de Cheltenham, en mars prochain, dans le Ryanair Chase.
Collaborateurs dévoués
Le Haras de Saint-Voir de Nicolas de Lageneste est ainsi devenu un modèle d’organisation pratiquement unique dans le monde l’obstacle français. « Cependant, tout seul, on n’est rien… et j’ai la chance de travailler en pleine confiance avec des collaborateurs dévoués, motivés et compétents pour chacun des ateliers de l’entreprise, tout en conservant une atmosphère familiale auquel je tiens. Ma fille Justine, après de belles expériences professionnelles, reprend aujourd’hui avec brio et compétence les rênes du haras, me permettant de prendre un peu de recul ». On peut s’enorgueillir d’avoir dans ce pays, quelques-uns des meilleurs éleveurs et des meilleurs entraîneurs du monde, comme à chaque édition du Festival de Cheltenham, où nos produits se mettent en vedette. On peut aussi se féliciter d’avoir un système de répartition des ressources qui fait que des propriétaires passionnés et impliqués peuvent investir pour encourager l’écosystème. Nous avons plus généralement des agriculteurs qui connaissent leur terroir mieux que quiconque et font vivre leur environnement. Néanmoins, ils sont rares, en France et ailleurs, ceux qui excellent dans chacune de ces activités.