L’après. Cinq lettres derrière lesquelles se cachent un changement, qui peut être aussi bouleversant que profond puisqu’il induit de quitter une chose connue, pour en découvrir une nouvelle avec incertitude, par choix ou par contrainte. L’après est aussi inhérent que crucial pour un sportif de haut niveau, vécu comme une réelle rupture identitaire pour beaucoup, après une carrière à très forte intensité physique, mentale et émotionnelle, débutée souvent jeune et limitée dans le temps. L’après est inhérent dans le cycle d’un sportif de haut niveau et c’est une problématique tout aussi importante au sein de la filière hippique qui doit composer avec des athlètes tant chevaux qu’humains. Il est aussi intéressant de voir que les courses hippiques peuvent s’inscrire dans l’après (ou le pendant) de certains sportifs, qui y retrouvent des similitudes avec leur carrière de compétiteurs et ce shot d’adrénaline qu’ils recherchent invariablement. Tour d’horizon de quelques parcours de vie au lendemain de compétition pour les athlètes à deux ou quatre jambes.
Pas facile d’imaginer l’avenir quand on doit, comme de nombreux jockeys, changer de carrière parfois très soudainement. La question de la reconversion est cruciale et dans le monde des courses c’est encore la débrouille qui prévaut.
La carrière de Morgan Regairaz s’est arrêtée brutalement le 28 novembre 2021. C’est une chute à Auteuil avec son cheval de cœur, son plus grand champion, le quadruple vainqueur du Grand Prix d’Automne qui a scellé son destin. Morgan s’est relevé avec une fracture au niveau de l’avant-bras et surtout une autre blessure plus insidieuse à la cuisse gauche : « Une greffe de tendon a été nécessaire, mais malheureusement elle n’a pas fonctionné », raconte t’il. «J’ai été obligé d’arrêter le métier mi-2022 ainsi que le sport tout court. Pour la vie quotidienne c’est gérable mais si je fais un jogging je boite durant dix jours ! » Ce renoncement à la carrière de jockey s’est fait dans la douleur : «J’espérais monter jusqu’à mes quarante ans, je gagnais des Groupe 1 chaque année, je venais de débuter Losange Bleu . La rupture a été horrible à vivre. Je n’ai pas fait d’études, juste un CAP au sein de l’Afasec. Pas facile de prendre un nouveau départ...» Morgan Regairaz avait heureusement un projet, mais qu’il pensait mener quelques années plus tard : le rachat de la ferme familiale de Marie, sa femme, dans la Manche, entre Utah et Omaha Beach. «Après deux ans de travaux nous venons d’ouvrir quatre chambres d’hôtes et cela fonctionne bien. Notre page Instagram compte déjà vingt mille abonnés ! » Le lieu est baptisé « Galop Marin », comme un trait d’union entre le passé et l’avenir pour Morgan. Sa reconversion passe aussi par des piges pour Équidia en tant que consultant et pour le PMU comme ambassadeur auprès des patrons de points de jeu, auxquels il fait découvrir les courses « des rôles très gratifiants qui me permettent de rester actif dans ce monde qui m’est cher ». Père de Rose, huit ans et d’Ange, trois ans, Morgan a trouvé un équilibre : «J’ai finalement fait le deuil de ma carrière de jockey. Loin du rythme un peu fou des courses, je peux voir mes enfants grandir. Je suis ravi de ma nouvelle vie ! »
De jockey à ramoneur, le grand saut !
Pour son projet, l’ancien jockey a bénéficié d’une aide forfaitaire de 2 000 euros délivrée par l’Association des jockeys, de même que Boris Chameraud. Vainqueur du Prix Maurice Gillois 2002 avec Le Chablis et de la Grande Course de Haies d’Auteuil trois ans plus tard avec Lycaon de Vauzelle , il a été l’un des grands pilotes d’obstacle. Après une troisième fracture consécutive de la clavicule, Boris a décidé de raccrocher les bottes à l’automne 2013. « Nous avons fait une rupture conventionnelle avec mon employeur, Isabelle Pacault. Cela m’a permis de suivre une formation d’un an via pôle emploi pour reprendre un bar PMU. Il y avait des tas de choses à apprendre avant de pouvoir obtenir la licence IV notamment ». Un retour aux sources pour Boris Chameraud dont les parents tenaient eux aussi ce type d’établissement ! Installé à Mimizan dans les Landes, il mène cette nouvelle vie avec sa femme Audrey durant sept ans, jusqu’à ce que le Covid les pousse à
Quand d’une reconversion naît un crack
De nombreux ex-jockeys et personnels des courses trouvent un emploi sur les centres d’entraînement de France Galop ou au sein du GTHP (Groupement technique des hippodromes parisiens, qui met à disposition du personnel et des moyens techniques sur les hippodromes). C’est ainsi qu’après un accident en compétition en 1965, huit mois en fauteuil roulant et une très longue convalescence, le jockey vedette du sud-ouest Yvon Lelimouzin devint responsable des pistes de Chantilly. Il menait cette mission à bien avec dévouement malgré ses jambes récalcitrantes, s’appuyant sur deux cannes. Durant toutes ces années sur le centre d’entraînement Yvon « recasait » aussi des chevaux frappés de lenteur. L’entraîneur Elie Lellouche lui donna une pouliche inédite qu’il souhaitait réformer, Taille de Guêpe . Yvon ne trouva personne pour l’acheter et la garda pour son élevage personnel, basé dans la Manche. C’est ainsi que naquit l’un des plus fabuleux pur-sang de l’histoire, Cirrus des Aigles , dont l’affixe fait référence à cette piste mythique de Chantilly sur laquelle Yvon Lelimouzin veillait avec tant de passion.
L’INSEP, un exemple à suivre pour la reconversion des sportifs
L’Institut National du Sport, de l’Expertise et de la Performance (INSEP), basé à Vincennes, est la maison mère de près de huit cents athlètes de haut niveau représentant vingt-huit disciplines olympiques et paralympiques. L’INSEP propose tout un panel de formations professionnelles aux métiers du sport pour ses athlètes, ainsi qu’un parcours dit de « pré-qualification » pour mettre à niveau ceux qui sont en difficulté ou échec scolaire. Il s’agit là d’un soutien personnalisé, après évaluation des besoins de chacun. Concernant la reconversion, l’INSEP conseille aux sportifs d’anticiper d’au moins un an cette étape cruciale et fournit des solutions pour bien s’y préparer. Mais il arrive aussi qu’un athlète doive stopper sa carrière brutalement suite à une blessure. Il peut alors bénéficier sur demande d’un bilan psychologique de fin de carrière et d’entretiens de gestion de carrière et d’aide à la reconversion ou réorientation. Bilan de compétences , coaching, exercices de développement de la confiance en soi mais aussi stages en entreprise , opportunité d’emplois... les outils d’aide au jeune retraité sont nombreux. L’INSEP organise également chaque année le « Carrefour SporTalents » pour mettre en relation entreprises, écoles et athlètes.
••• changer d’orientation : « Durant l’épidémie nous avons dû baisser le rideau, cela a été difficile à gérer sur le plan économique. On s’est dit qu’on serait toujours à la merci d’une nouvelle crise sanitaire ». Exit donc le bar PMU, mais que faire ensuite ? « Je n’ai pas de diplôme en dehors de mon expérience dans les chevaux. Il n’était pas simple de rebondir, il a fallu être volontaire. Nous sommes repartis dans mon département d’origine, les Deux Sèvres ». Le frère de Boris est plombier, son patron rachète justement une entreprise de ramonage et cherche à embaucher, l’ex-crack jockey saisit l’occasion. « Je ramone des chaudières industrielles, des réseaux de chauffage. Les machines sont parfois si grosses que je tiens debout à l’intérieur ! J’ai appris sur le tas ». Lorsqu’il gérait son bar PMU, Boris Chameraud conservait un lien avec les courses via les parieurs et les retransmissions des épreuves. Cette aventure terminée il a ressenti le besoin de vivre différemment l’adrénaline de la compétition. Cela s’est fait grâce à l’acquisition d’un cheval à réclamer. Benimaru a brillé dès ses débuts sous sa nouvelle casaque, pour l’entraînement de Stéphanie Penot, en octobre 2024 à Saint Cloud. « Nous allons voir le cheval courir, cela nous permet de garder le contact avec nos amis » confie Boris, qui est également commissaire de courses sur l’hippodrome de Niort. Alexis Poirier a lui eu le luxe de choisir le moment de sa retraite. « Lorsque j’ai monté Doctor Kaléo dans le Prix du Président de la République en avril 2021, je savais que ce serait ma dernière course. Je ne l’avais dit qu’à mes parents, ma fiancée et mon patron Alain Couétil ». C’est donc sur cette sixième place à Auteuil que sa carrière s’est clôturée. « J’avais cumulé plusieurs blessures, je ne voulais plus me faire mal et j’ai décidé d’arrêter au bon moment. J’étais sûr de moi, je n’avais pas peur de l’avenir ». Quelques mois après sa retraite Alexis prend le poste de responsable chez Alain Couétil. Mais il a envie de développer ses compétences autrement. « Mon frère Bastien a appris qu’une entreprise de produits de soins pour chevaux allait être à vendre. Je connaissais ces argiles pour les avoir utilisées chez Guy Chérel notamment. Bastien et moi avons décidé de nous associer pour reprendre la société. Je me charge de la fabrication et lui de tout ce qui est administratif ». Alexis prépare donc les argiles « comme on fait des gâteaux, on suit des recettes ! » sourit-il, puis il met à profit son carnet d’adresses pour les commercialiser dans les écuries de courses. « Nous nous sommes lancés en octobre 2024 et nous progressons sans cesse ! Huit des dix meilleurs entraîneurs d’obstacle sont nos clients et nous avons de bonnes entrées à Chantilly aussi ». Equimaris, le nouveau nom de la société, vise désormais le marché international. Alexis Poirier est fier de ces débuts en fanfarre : « Voir nos argiles utilisées par les entraîneurs sur les hippodromes, c’est jouissif ! Ce métier m’a donné l’opportunité de changer de voie sans me couper de mes racines. J’ai l’impression de revivre, d’avoir plus de temps que lorsque j’étais jockey et une vie moins routinière ».
Le parcours du combattant
Les jockeys ayant généralement peu de diplômes, puisque leur carrière commence très tôt, la reconversion est un passage angoissant et difficile à anticiper pour eux, comme l’explique Thierry Gillet, secrétaire générale de l’Association des jockeys depuis qu’il a lui-même arrêté le métier en 2009 : « Ils montent tous les jours, c’est un métier aux horaires atypiques. Il est donc compliqué de suivre une formation en parallèle, cela nécessiterait d’arrêter de travailler ». Difficile également de trouver un avenir professionnel en dehors du monde des courses car « pour devenir jockey on arrête l’école très tôt, la plupart d’entre nous n’ont même pas le bac puisqu’on peut monter en courses officielles à partir de seize
Thomas Huet, se reconvertir et reconvertir pour transmettre
CONVERSATION
Ancien jockey professionnel, Thomas Huet a pris, en 2025, ses nouvelles fonctions au sein du service Bloodstock d’ARQANA, après avoir été agent de jockey à l’arrêt de sa carrière, co-fondateur d’une application dédiée aux courses, racing manager aux côtés de l’entraîneur Philippe Decouz et consultant pour l’agence deauvillaise pendant une année. En tant que jockey, il a travaillé aux côtés de nombreux professionnels tels que François Doumen, Mikel Delzangles, Robert Collet, Jonathan Pease, Ruppert Pritchard-Gordon, Fabrice Chappet ou encore Mathieu Boutin en France, mais également Gai Watherhouse, Paul Perry et Peter Snowden en Australie. Comment rebondir quand sa carrière de jockey s’arrête de manière forcée pour raison médicale ? Comment opérer la transition et retrouver de l’adrénaline dans sa deuxième « vie » ? Mégane Martins est en conversation avec Thomas Huet le temps d’une discussion sans détours sur cet après, qui trouve aussi des échos avec la pur-sang qu’il a réformée avec sa femme, Carole, et sa fille, Satine.
Une écurie qui swingue
Certains entraîneurs cessent d’exercer leur métier car ils ont atteint l’âge de la retraite et aspirent à en profiter, comme Alain de Royer-Dupré ou plus récemment Carlos Laffon-Parias et Pascal Bary. Pour d’autres une reconversion est devenue nécessaire suite à des difficultés économiques ou un burn-out. Antoine Lamotte d’Argy , soixante ans, qui a exercé en Allemagne puis dans la Manche, tout près du Mont-Saint-Michel, avec de très bons résultats, en est à « sa quatrième année de sevrage », comme il le dit en riant . « Les derniers temps de mon écurie ont été difficiles avec une liquidation judiciaire. Il fallait sauver les meubles et ne pas plonger dans l’amertume ». Famille et amis conjuguent leurs efforts pour racheter l’écurie d’Antoine Lamotte d’Argy à Genêts en constituant un GFA (Groupement Foncier Agricole). L’ancien entraîneur imagine un projet un peu fou : transformer les boxes en un lieu associatif de restauration et de concerts, baptisé « L’Écurie ». Une scène trône désormais en son centre, un esprit guinguette règne avec des guirlandes lumineuses, des couleurs chaudes, des parasols... « Nous organisons des dîners-concerts avec une programmation très éclectique, du jazz au rock en passant par la chanson française. Il y a aussi un marché de producteurs locaux, des ateliers, des événements privés... L’Écurie est ouverte cinq jours par semaine en été, deux l’hiver. Notre lieu est devenu incontournable localement et nous sommes deux personnes à plein temps pour le gérer ». Fils d’entraîneur, entraîneur luimême , Antoine ne connaissait rien d’autre que le milieu des courses professionnellement. « J’ai adoré mon métier et les gens passionnés que je rencontrais mais la pression de la compétition devenait difficile à supporter et je pensais depuis longtemps à changer d’activité. Si je n’avais pas rencontré de difficultés financières je n’aurais peut-être jamais eu le courage de me lancer ». Quatre ans après avoir sauté le pas sa nouvelle vie le comble : « Tout ce qui me manquait dans les courses, je l’ai trouvé là. Je suis plus serein, plus heureux. Quand j’étais entraîneur je ne prenais même plus le temps d’entretenir des amitiés. Aujourd’hui je vois plein de monde, des gens du coin, des touristes, des marcheurs qui sont nombreux autour du Mont-Saint-Michel. Je fais des rencontres improbables et enrichissantes ». Une reconversion étonnante et joyeuse qu’Antoine Lamotte d’Argy n’aurait jamais imaginée lorsqu’il a embrassé son premier métier.
ans. Pour s’insérer dans la vie professionnelle hors milieu du cheval, il faut généralement reprendre des études, avoir des compétences en informatique... ça n’est pas simple de s’y remettre ». Laisser les casaques au vestiaire c’est passer des projecteurs de la compétition à une vie plus anonyme, mais aussi bien souvent perdre du pouvoir d’achat : « Il faut parfois accepter de diviser son revenu par deux ou par trois puisqu’on n’a pas de formation reconnue, explique Alexis Poirier. Dans les écuries entre les salaires, les primes d’ancienneté et de courses nous avons généralement une bonne rémunération. De nombreux jockeys continuent le métier car ils ne savent pas quoi faire derrière. Lorsque je regarde les courses je vois bien que certains ne sont plus dedans.. ». La dotation financière accordée par l’Association des jockeys peut aussi permettre de financer en partie des bilans de compétences bien utiles lorsqu’il s’agit de trouver des clés pour se projeter vers l’avenir.
Epona , « travailler avec les chevaux, et maintenant pour les chevaux »
Véronique Verva pour Karisma Consulting.
RENCONTRE
C’est un cercle vertueux qu’offre Epona, entreprise adaptée qui dépend de l’AFASEC et créée en 1985. Epona s’inscrit comme une pierre angulaire de la filière : d’un côté, accueillir, accompagner, enseigner et réinsérer professionnellement des personnes en situation d’handicap et/ou en reconversion professionnelle (issues, ou non, de la filière hippique) ; de l’autre, produire de la valeur à destination des professionnels des courses sur trois volets d’expertise que sont la selleriecouture , l’entretien des espaces verts et la prestation de services. Véronique Verva (Karisma Consulting) est partie à la découverte d’Epona et de ses acteurs aux côtés de Guillaume Jacobee. L’AFASEC, plus globalement, a pour mission d’accompagner les salariés des écuries de course tout au long de leurs parcours professionnel. Les formations pour adultes proposées sont dédiées à la montée en compétences du personnel en poste, et peuvent aussi s’inscrire dans des parcours d’évolution de poste, ou de reconversion au travers de POEC (préparation opérationnelle à l’emploi collective), de CAP Adultes, ou dans le cadre d’une formation au transport d’animaux vivant.