CLÉMENT TROPRÈS
Par Olivier Villepreux
Les grands sportifs sont-ils les grands propriétaires de demain ? Possible. C’est ce que semble raconter l’histoire du haras de Quétiéville (Calvados) où étaient élevés dans les années 1970 les chevaux de Simone Del Duca, l’une des plus grandes fortunes de France. Veuve d’un patron de presse et grand éditeur, elle conjugua sa passion pour les chevaux (elle remporte notamment « l’Arc » en 1962 avec Soltykoff et bien d’autres trophées) et celle de son mari pour la littérature, la musique et la recherche, en créant une fondation à son nom. Autour d’elle, des capitaines d’industrie, des banquiers, des hommes d’affaires, des artistes, mais aucun footballeur ou basketteur. Icônes de notre époque, les sportifs ne constituaient pas alors la vitrine de la réussite qu’ils sont devenus. Nul ne sait si Tony Parker avait en tête ce pan d’histoire ou conscience des produits remarquables issus par le passé de ce domaine de 86 hectares quand il le visita pour la première fois avec Nicolas Batum. Il est en revanche certain que Clément Troprès, lui, connaissait l’intérêt de cheviller courses et élevage quand il lui proposa d’investir. « Moi, je travaillais dans le basket à l’époque où le PMU s’impliquait dans différentes disciplines sportives. C’est par ce biais que, invité à assister à des réunions, je me suis dit que ce serait sympa d’avoir une part d’un cheval de course. Quand Tony a acheté son premier cheval, en 2020, Best Win, une pouliche de 3 ans, j’étais déjà dans les courses depuis 5, 6 ans ». L’exdirecteur du marketing de la Ligue de basket contacte Tony dès les premières victoires de Best Win.
Associé à Charles Leclerc
Il deviendra le président délégué et associé de la structure bâtie autour de Tony Parker, Infinity Nine Horses. « Je lui ai fait part du projet d’élevage. Il voulait s’impliquer sur le long terme dans les courses, il fallait aller dans l’élevage ». Tout est allé très vite. Dès 2021, l’occasion se présente. « Situé à 2h30 de Paris, nous avons visité le haras de Quétiéville vers 6 heures du matin avant de débuter à proprement dit notre journée. C’était magnifique. Les infrastructures n’étaient pas à refaire et quand nous sommes repartis il m’a dit de tout faire pour l’acheter ». Le projet a immédiatement été, outre la copropriété avec Nicolas Batum, de vouloir ouvrir le haras à d’autres propriétaires, voire à quiconque serait intéressé à participer même petitement. « D’autres chevaux que les siens pourraient y stationner, des clients pourraient jouir de nos terres. Avec ces propriétaires associés, l’objectif de produire des chevaux précoces correspondait un peu au profil de Tony dans le basket pour avoir été, bien souvent, le plus jeune joueur des différentes équipes dans lesquelles il a joué.
Surtout, il s’agissait d’aller vite vers les courses. L’année suivante Ramatuelle était deuxième dans le Prix Morny (Gr.1) et nous avons eu un premier produit qui a gagné l’an dernier au Liond ’Angers ». L’atout maître de la formule est (outre les bons conseils d’Henri Bozo, du Haras des Monceaux) le réseau et l’aura de Tony Parker. Sa notoriété permet des choses nouvelles comme d’embarquer aussi bien Charles Leclerc, le pilote Ferrari, en tant que propriétaire à travers notamment Best Sixteen, mais aussi de convoquer sa communauté de fans à suivre l’évolution des chevaux et, mieux encore, de trouver d’autres associés et d’agrandir la structure. En 2024, le haras s’agrandit de 27 hectares et passe à 120 boxes après avoir lancé une souscription en ligne ouverte à tous. Ce biais ouvert vers une « démocratisation » du financement des courses et du haras doit aussi beaucoup à « la bonne étoile de Tony », admet Clément Troprès. « Gagner deux Groupes 1 en un an c’est rare ». Tous ces bons points regroupés autorisent aussi à innover. « On a aussi essayé de pérenniser cette économie en allant chercher un sponsor, ce qui ne se fait pas trop dans le galop. ZEturf a décidé de soutenir l’écurie, Tony devenait leur ambassadeur, ce qui nous permettait aussi de monter différentes opérations marketing ».
Personnalisation, identification
Cet élan, qui touche un plus large public tout en le renouvelant, vise à faire comprendre, comme le pense Tony Parker, que tout le monde, même modestement, peut devenir propriétaire de chevaux en association. Enfin, de capter de nouveaux parieurs et d’attirer une nouvelle génération sur les hippodromes, tant l’identification d’une casaque à un sportif de haut-niveau rend la perception des courses plus évidente. Clément Troprès : « Pour faire venir les gens sur les hippodromes, je ferais le parallèle avec les deux matchs de NBA qui ont lieu à Paris chaque année. Cette année, bien sûr, il y avait Victor Wembanyama, c’était plein. Mais l’année précédente, même sans joueurs français de renom, il n’y avait plus une place à vendre deux mois avant. Pourquoi ? Parce que c’est The place to be avec un parterre de célébrités. Dans les courses, si vous avez la présence de ces célébrités, que les gens viennent pour eux, il faudra ensuite réfléchir à comment amener les gens à jouer raisonnablement ». L’identification au propriétaire sportif est donc assurément « un vecteur de retour à l’hippodrome où il faut convertir ceux qui viennent pour voir des stars en joueurs ». La personnalisation, l’identification aux acteurs des courses, est la base de ce que le sport de haut-niveau peut apporter à la filière dans son entier dont les différents protagonistes ou propriétaires (y compris les plus grands) sont méconnus ou ignorés du grand public. Dans cet ordre d’idées, il ne faut pas oublier les jockeys, en tant qu’acteurs essentiels de leur sport. Et d’autres idées surgissent : « On a investi dans une start-up, Jockyz, qui est un jeu de cartes en ligne qui met les jockeys en avant, explique Clément Troprès. 15 000 cartes à 10 euros à leur effigie permettent de bâtir des équipes de jockeys dont les résultats sont indexés sur leurs performances réelles en course ». Cette approche, inspirée des jeux dits « fantasy » dans différentes disciplines, peut créer un autre transfert d’intérêt du sport vers les courses. Si ces connexions se multiplient, il n’est pas totalement exclu de voir les courses renouer avec leur popularité des années 1970 par l’implication de nouveaux propriétaires issus de cette fabrique à rêve qu’est le sport, de penser que l’hippodrome puisse devenir le lieu de détente et, pourquoi pas d’affrontements par chevaux interposés des plus grands sportifs de la planète, toutes disciplines confondues. The place to be.