CHEVAL
La sixième édition de la Saudi Cup (Gr.1), la course la plus riche du monde avec vingt millions de dollars d’allocation (19,1m €), a été rebaptisée spontanément un peu partout le « rumble à Riyad ». Le terme fait écho à la grande rencontre de boxe, « The Rumble in the Jungle » qui opposa, il y a plus de cinquante ans à Kinshasa au Zaïre, George Foreman à Mohammed Ali. Ce sont effectivement deux poids lourds du galop moderne qui se sont affrontés samedi 22 février sur le dirt de l’hippodrome du Roi Abdulaziz, venus tous deux d’Extrême-Orient et qui, l’un et l’autre, ont accédé au statut de champions grâce à leurs raids victorieux hors de leur propre terrain. Avant de se présenter au départ des 1 800 mètres de Riyad, le 7ans Romantic Warrior , champion de Hong Kong que nous vous avons présenté ici dans notre N°4, est allé gagner en Australie, au Japon et à Dubaï pour battre le record général des gains d’un cheval de courses avec près de 26 millions d’euros à présent.
Parcours exotiques
Forever Young est de trois ans son cadet mais il possède déjà un palmarès à peine croyable. Il est entraîné par Yoshito Yahagi, « l’homme au chapeau » qui est venu l’automne dernier à Paris pour « l’Arc » avec Shin Emperor , et avait sellé aussi le 3e (à deux reprises) du Prix de la Forêt (Gr.1), Entscheiden . Yahagi a également sellé le gagnant de la Saudi Cup 2023, Panthalassa . Il a gagné au meilleur niveau aux USA, à Dubaï (notamment avec Real Steel, le père de Forever Young , en 2016), en Australie (Cox Plate 2019 avec Lys Gracieux ), et à Hong Kong dans deux courses, la Hong Kong Cup et la QEII Cup, que Romantic Warrior a aussi remportées. En somme, l’entraîneur de Forever Young a gagné toutes les courses internationales dans lesquelles Romantic Warrior s’est imposé à son tour.
Le chemin de Forever Young est pourtant plus exotique encore que ceux que son entraîneur emprunte volontiers. Acheté yearling pour 700 000 €, il a débuté au Japon à 2 ans par trois victoires consécutives, dont une Listed , avant de partir à Riyad pour y disputer le Derby local, qu’il a remporté. Il a confirmé dans le Derby des Émirats, à Dubaï, cinq semaines plus tard. Il est ensuite parti pour les USA et s’est aligné au départ du Kentucky Derby, en mai dernier. Avec le 11 à la corde, son jockey nippon n’a pas eu le bon parcours et pour finir, il a été malmené par ses adversaires jusqu’au bout pour conclure à la 3e place, battu d’un nez deux fois… Le jeune samouraï était entré dans un saloon avec son sabre, et les Colt ont eu le dernier mot. En lui tirant un peu dans le dos, quand-même.
L’ habitudes des combats difficiles
Après un été au calme, notre globe-trotter est rentré victorieusement dans le Japan Dirt Classic (L), a une fois de plus fini 3e aux USA dans le Breeders’Cup Classic (Gr.1), battu plus nettement qu’au printemps, notamment par un de ceux qui l’avaient déjà devancé alors, Sierra Leone. Il conclut sa saison à domicile par une nouvelle victoire. Ce 4 ans n’avait donc rien d’un gamin quand il a rejoint Romantic Warrior au départ de la Saudi Cup, avec le 14 à la corde, tout en dehors, pour sa rentrée après deux mois d’absence. On s’apercevra 1 200 mètres plus tard, qu’il n’y avait que ces deux chevaux au départ de la course, en réalité. Avec son numéro de corde tout en dehors, Ryusei Sakai, le pilote de Forever Young , a attaqué de bonne heure. Il a traversé la piste et a pu se caler en dehors de l’animateur alors qu’en selle sur Romantic Warrior , le Néo-Zélandais James McDonald n’a pas osé « bourrer » pour garder son rang. Le cheval débutait en course sur le dirt et c’était alors la grande inconnue. Toutefois, alors qu’à Hong Kong ou dans n’importe quel pays civilisé, les jockeys cherchent à se caler le plus près possible de la corde et plutôt à couvert, nous avions là de sympathiques pompistes, heureux de voyager le nez au vent sur quatre épaisseurs devant Romantic Warrior . Selon ses déclarations d’après course, James McDonald s’est alors inquiété des projections que recevait son champion et il a donc décidé, à huit cents mètres du but, c’est-à-dire dans le tournant final, de sortir pour contourner le mur des suicidaires et tenter de filer seul au poteau. Romantic Warrior a effectivement passé ces adversaires en quelques foulées, et il a ensuite maintenu son effort pour prendre plusieurs longueurs au peloton, dont Forever Young . Poussé par son jockey, le japonais semblait d’abord incapable de répondre. Puis il a entamé son dernier effort. À 400 mètres, la cause semblait entendue pour Romantic Warrior mais, peu à peu, Forever Young a gagné du terrain. Aux derniers 200 mètres, il semblait évident qu’il allait rejoindre le fuyard, et il l’a finalement battu d’une encolure au terme d’un retour étonnant. Selon James McDonald, la décision qu’il a prise était informée et consciente. « C ’ était la seule façon de gagner dans ces circonstances et compte tenu de la façon dont s ’ étaient déroulées les courses précédentes », a-t-il affirmé lorsqu’il a été attaqué sur sa monte à son retour en Australie. Il a aussi affirmé que le cheval n’avait pas ralenti pour finir, ce qui est vrai pour les derniers 400 mètres, même si les 400 mètres précédents avaient été très rapides. Peut-être aussi que dans une telle configuration, Romantic Warrior , un fils du sprinter Acclamation et d’une gagnante sur 1 400 mètres, ne tient pas beaucoup plus que le mile. Toutefois, beaucoup affirment que c’est la classe énorme de Forever Young qui lui a permis d’aller chercher son rival, pour laisser finalement le reste du peloton à plus de dix longueurs. Romantic Warrior va donc retourner sur le gazon et sur 1 800 mètres, pour sa prochaine sortie, à Dubaï. Forever Young , lui, continue sur sa lancée : après avoir gagné les Derbies saoudien et émirati l’an dernier, il va tenter de remporter la Dubai World Cup, pour devenir le premier vainqueur des deux courses les plus riches de la planète. « L’homme au chapeau » n’a pas fini de tourner !