Par Céline Gualde
Sur les 6 815 propriétaires de chevaux de course actifs en France, un peu plus de 1 900 sont des étrangers, soit près de 28 %. Les Anglais sont majoritaires, ils représentent 7 % des propriétaires enregistrés chez France Galop. En ces temps économiquement difficiles pour la filière hippique en France, la clientèle venue d’au-delà des frontières et parfois même d’autres continents est une bénédiction, y compris pour l’élevage.
Oliver Pawle est un homme très pris par ses fonctions à la tête de l’antenne anglaise d’un important cabinet de conseil. Il n’a généralement pas le temps de rendre visite à la demidouzaine de poulinières qu’il a stationné en France, ni de se déplacer sur les champs de courses de notre côté de la Manche. Mais le 5 octobre 2024 était un jour spécial : Jayarebe , le premier cheval de plat élevé par ses soins dans l’hexagone, était au départ du Prix Dollar (Gr.2) avec une première chance. Un événement exceptionnel dans une vie d’éleveur qui valait bien de faire le voyage jusqu’à ParisLongchamp durant le week-end de l’Arc de Triomphe avec femme, filles et nièce !
Jayarebe , fils de Zoffany et d’Alakhana, une Wertheimer acquise lors de la Vente d’Élevage ARQANA 2020 pour 75.000€ alors qu’elle était pleine de ce poulain, a fait exploser de joie son entourage en s’imposant dans ce grand rendez-vous du galop français.
Oliver Pawle élève aussi pour l’obstacle et a eu la chance de racheter, en fin de carrière, la gagnante de Listed à Newbury Tante Sissi (Lesotho) pour un petit prix, alors qu’elle n’était pas encore la sœur d’une certaine... Épatante ! « Les succès de chevaux comme Kauto Star, Master Minded ou Big Buck’s chez les topentraîneurs anglais ou irlandais m’ont interpellé. Il m’a semblé que la France produisait quantité de bons chevaux et qu’en y envoyant Tante Sissi, je tirerais parti de son pedigree AQPS et de votre excellent parc d’étalons d’obstacle, supérieur à ceux d’Irlande et d’Angleterre. L’autre argument, c’est évidemment les dotations des courses, qui sont considérablement plus élevées en France. Un propriétaire a bien plus de chances de couvrir ses frais d’entraînement ! »
Oliver Pawle fait aussi courir en France, avec des chevaux qu’il a élevés et confiés à Amy Murphy, qui vient de s’installer à Chantilly, ou au duo George-Zetterholm. Il considère que le parc d’étalons de plat reste bien meilleur en Angleterre et en Irlande, grâce aux très grandes entités type Coolmore. Deux de ses bonnes poulinières françaises sont parties à la saillie à Bated Breath et Sioux Nation. « Je suis très heureux d’avoir mes juments en France. Ma seule préoccupation est que le niveau des courses y demeure aussi compétitif qu’en Grande-Bretagne ».
Ailsa et Drew Russell , Écossais, n’ont plus de chevaux en âge de courir en France pour l’instant. Ils placent leurs espoirs en une belle deux ans d’obstacle, Bonne Etoile (Nirvana du Berlais) et pensent investir cette année chez ARQANA. « Nous avons connu les courses françaises grâce à des voyages organisés par le FRBC (French Racing and Breeding Committee), que nous avons appréciés. C’est ainsi que nous avions acheté deux pouliches au concours de modèle et allures de Decize il y a une dizaine d’années, indique Ailsa. Nous investissons en France pour trois raisons : les allocations et primes d’abord, puis la qualité des chevaux et, enfin, le plaisir d’être dans ce beau pays ».
Un détail qui compte, pour ce couple féru de voyages qui découvre les régions françaises à la faveur des échéances sportives de ses chevaux : « Nous avons souvent très bien déjeuné à Deauville.
En Grande-Bretagne la restauration est gratuite pour les propriétaires, mais les prestations sont souvent de très mauvaise qualité. Nous préférons payer et savourer notre repas ! »
France Galop prospecte à l’étranger
Depuis la disparition du FRBC, financé par l’institution des courses et qui avait pour mission de susciter les vocations étrangères, la prospection de cette clientèle dépend du Département Propriétaires de France Galop, placé sous l’égide de Marie Rohaut. « Cette organisation est plus claire, car le FRBC n’était pas toujours identifié comme dépendant de France Galop. Désormais nous utilisons vraiment ce label dans nos actions. », explique la jeune femme.
Si le FRBC invitait des prospects étrangers sur des évènements type concours de modèle et allures, le département propriétaires de France Galop fait plutôt le choix de partir à leur rencontre lors de gros événement comme les meetings de Cheltenham ou Royal Ascot, les ventes Tattersalls... « Nous y allons pour prospecter en nous associant à des professionnels français tels que des entraîneurs, courtiers ou l’agence ARQANA. Nous essayons de créer une relation personnalisée avec les personnes rencontrées, de façon à les attirer en France. Le fait que de nombreux entraîneurs étrangers s’installent dans notre pays est un sérieux atout, car un entraîneur espagnol va arriver avec une clientèle, de même qu’un Italien ou un Anglais ».
Le tandem anglo-suédois Noël George et Amanda Zetterholm s’est formé en 2022, justement dans le but d’importer des casaques étrangères dans leur écurie d’Avilly-Saint-Léonard, qui compte un peu plus de soixante-dix boxes. « La moitié de nos chevaux, environ, appartiennent à des étrangers. La clientèle française est arrivée ensuite grâce à nos bons résultats », indique la Suédoise, autrefois salariée des Aga Khan Studs. « Ce qu’on vend c’est la possibilité d’acquérir de bons jeunes chevaux français à des prix abordables et notre système qui est extrêmement avantageux. Le gros avantage de ces clients pour nous c’est qu’on peut envisager de faire vieillir nos chevaux, on sait que leurs propriétaires ne seront pas forcément tentés de les vendre s’ils sont bons, qu’ils pourront se permettre de les garder. Et cela donne des chevaux d’âge pour les courses françaises. Ces clients saluent aussi l’excellence du centre d’entraînement de Chantilly, même s’il y a des endroits exceptionnels en Angleterre et en Irlande. Ils sont parfois déçus, en revanche, par l’ambiance des courses, le manque de public. Cela les étonne, ils nous demandent s’il y a toujours aussi peu de spectateurs ! »
À cheval sur les frontières
Parmi les clients étrangers de Noël George et Amanda Zetterholm figure Oti Management, un syndicat australien créé en 1999 par l’homme d’affaires Terry Henderson et l’ancien joueur de cricket Simon O’Donnell. Spécialisé dans l’importation de pur-sang en Australie et la création d’écuries de groupe, Oti Management gère cent soixante-dix chevaux de course à travers le monde ainsi qu’une trentaine de poulinières. « Le mécanisme des encouragements aux propriétaires et éleveurs en France est le meilleur au monde, affirme Terry Henderson. En 2006, nous avons commencé à prospecter en France dans le but d’importer des chevaux en Australie. Puis, ayant expérimenté le système français, nous avons décidé de faire de ce pays notre base européenne pour l’achat et l’exploitation des chevaux. Le système centralisé des courses, sous l’égide de France Galop, est votre atout majeur et amène de la stabilité dans les domaines essentiels de ce sport, comme les centres d’entraînement et le programme des courses ».
Terry Henderson se déplace en France quatre ou cinq fois par an. Avec l’agent d’Oti Management, Emmanuel de Seroux, il fait la tournée des écuries, à la recherche de futurs champions de la trempe de Gailo Chop , vainqueur de trois Groupes 1 en Australie, ou de Sevenna’s Knight , un fils de Camelot cinquième du Prix de l’Arc de Triomphe 2024 pour l’entraînement d’André Fabre, « notre plus grand moment d’émotion en France », sourit l’Australien.
L’histoire française des Écossais Lynne et Angus MacLennan a débuté avec l’acquisition d’un futur crack, Bon Augure (My Risk), cheval aux dix victoires. Gravement accidenté en 2015, il a réussi un retour miraculeux et victorieux en 2017, remportant le prix des Drags (Gr.2) pour l’entraînement d’Adrien Lacombe. « Cette victoire est notre meilleur souvenir en France, raconte Lynne MacLennan. Mais quand on a gagné, tous les spectateurs étaient partis et on était seuls sur l’hippodrome ! »
Même si l’ambiance sur les champs de course français est globalement en-dessous de ce qu’elle peut vivre à Cheltenham où, elle et son époux ont une loge, la propriétaire à la casaque orange et noire a davantage l’impression de faire partie d’un club en France : « Nous nous sentons reconnus, considérés. Ce que nous apportons aux courses et notre respect des chevaux sont appréciés. Nous sommes intégrés, consultés par nos entraîneurs. L’accueil des propriétaires pourrait être bien meilleur en France, surtout sur les hippodromes parisiens. Mais en Grande Bretagne, on a un peu perdu le sens du sport, on verse dans le divertissement. Il s’agit de vendre le plus d’entrées possible, comme à un festival de musique ! »
Séduits par la France où ils ont tissé de nombreux liens d’amitié, les MacLennan ont même acheté une maison en Bretagne en 2015. Leur casaque est l’une des plus prestigieuses du monde de l’obstacle français, avec des chevaux comme Kingland , brillant vainqueur du Prix Renaud du Vivier (Gr.1) 2024. « Nous avons plus de chances d’être compétitifs en France, car le système est moins verrouillé par quelques très gros propriétaires. Car même pour nous, il est très difficile de briller à Cheltenham ».
Biens qu’amoureux de la France, de ses centres d’entraînement où ils font de fréquentes visites et de ses champs de course qu’ils sillonnent, les MacLennan ont choisi, comme de nombreux propriétaires étrangers... de ne pas choisir ! Leurs couleurs brillent des deux côtés de la Manche, comme celles d’Oliver Pawle, d’Ailsa et Drew Russell, ou que celles d’Oti Management en Australie. Une façon de marier l’excellence du système français et l’ambiance incomparable qui règne sur certains champs de course au-delà de nos frontières !
DU CÔTÉ DE LA FÉDÉRATION DES ÉLEVEURS
117 des 1 626 membres de la Fédération des Éleveurs du Galop à jour de cotisation sont étrangers, soit un peu plus de 7 %. Les nationalités les plus représentées sont les Belges (18), les Anglais (16) et les Italiens (14).
MATT COLEMAN : « DE PLUS EN PLUS D’ANGLAIS PENSENT À LA FRANCE »
Associé depuis 2006 avec l’agent Anthony Stroud dans l’agence Stroud Coleman Bloodstock basée à Newmarket, Matt Coleman gère les intérêts de divers investisseurs britanniques en France, dont Oliver Pawle qui témoigne par ailleurs dans notre article. Selon cet agent très tourné vers le marché international, le pouvoir d’attraction de notre pays est en train de se renforcer : « Autrefois, il était difficile d’envoyer une jument de plat en France, car les bons étalons n’y étaient pas nombreux. Or, aujourd’hui, derrière les leaders que sont Siyouni et Zarak ou encore Hello Youmzain qui est en pleine éclosion, il y a douze ou quinze étalons officiant entre 5 000 et 15 000 euros auxquels je peux conseiller à mes clients d’adresser une jument. Je parle de jeunes vainqueurs de Groupe 1 dont on peut espérer qu’ils produisent bien même, si in fine, tous ne deviendront pas des stars. Le tarif de ces sires est globalement inférieur en France à celui d’un reproducteur de même niveau en Angleterre ou en Irlande. On ne peut pas citer tous ces prospects intéressants dont Victor Ludorum, Charyn , Metropolitan, Onesto, Sealiway, Big Rock et Mishriff font partie. Le Prince Aga Khan lui-même était plus enclin, ces dernières années, à stationner ses jeunes étalons en France, comme Erevann et Vadeni ». L’acquisition du haras normand historique de Fresnay-le- Buffard par le cheik Mansour bin Zayed al Nahyan, qui compte y développer un élevage important de pur-sang anglais et y baser des étalons, est un autre exemple de l’attractivité française.
Matt Coleman observe que de plus en plus de Britanniques cherchent leur bonheur sur le ring des ventes aux enchères tricolores. « Jusqu’à une époque récente, les Anglais qui investissaient étaient plutôt les très gros acheteurs. Il y a désormais une clientèle de gens « normaux » également, ceci grâce à l’amélioration globale du niveau des juments et des étalons ».
Le Brexit a compliqué la circulation des chevaux entre l’Angleterre et la France et les transports deviennent de plus en plus coûteux, ce qui incite les éleveurs sans sol à laisser leurs poulinières de notre côté du Channel : « Je pense qu’à terme, ils seront de plus en plus enclins à stationner leurs juments en France et à les faire moins voyager, sauf pour aller aux tout meilleurs étalons ». D’autant que des règlementations bien plus contraignantes quant au transport des chevaux sont dans les tuyaux au niveau européen...
C’est avant tout le système français avec ses primes au naisseur et l’excellent niveau des allocations de courses qui renforce cette clientèle. « J’étudie toujours la possibilité d’avoir des chevaux en France avec mes clients, selon leur profil et ce qui conviendra le mieux à leurs chevaux. Pour certains, l’aspect financier est primordial et la France est alors un bon choix, d’autant que les frais de pension y restent en moyenne un peu inférieurs à ce qui se pratique en Angleterre. D’autres propriétaires tiennent à aller voir leurs chevaux courir. Pour ceuxlà l’expérience sur les hippodromes français est probablement moins agréable qu’en Angleterre, même si en France les plus grandes réunions de courses comme celles du « Diane » ou de « l’Arc » sont fantastiques ».
Est-ce que cette fuite des investisseurs inquiète les britanniques ? Matt Coleman ne place pas la concurrence entre pays au centre de l’équation : « Si l’on élargit le cadre, les autorités des courses anglaises sont surtout préoccupées par les gens qui se détournent totalement de notre sport. L’augmentation des allocations est un défi majeur à relever chez nous. De mon point de vue, le succès de la France est bon pour tout le monde : quand un marché se développe quelque part cela finit par se répercuter sur l’industrie tout entière ».