L'ère Fabre N°1 Octobre 2024 | A la une

Témoignage

Propriétaire et turfiste, Patrick Offenstadt a vécu ses plus belles heures en tant que propriétaire avec André Fabre, qu’il connaît depuis bientôt 45 ans.

« Je suis arrivé dans les courses par le jeu. Mon père était lui-même propriétaire et m’a transmis cette passion. En 1979, à l’aube de mes trente ans, j’ai décidé de devenir propriétaire et de moins jouer. Début 1980, je réfléchis donc à mon projet de propriétaire et me mets en quête d’un entraîneur. Le nom d’André Fabre m’apparaît comme une évidence tant ses résultats sont bons avec le petit effectif qu’il a. Ses statistiques étaient remarquables. Son un âge était proche du mien, je vais donc à sa rencontre pour lui expliquer mon ambition de devenir propriétaire. Je lui cite le nom d’un cheval que je suis et que j’ai l’intention d’acheter à réclamer. Je lui donne le nom du cheval, il me conforte dans cette voie, et je lui demande ses tarifs, qui étaient très corrects. Je décide donc d’acheter le cheval (Romantic Isle) et de le lui confier. Ce fut une excellente pioche, à tout point de vue, puisque le cheval a gagné 3 tiercés. Ce n’était pas rien car, à cette époque, ces courses-là étaient particulièrement recherchée. Il n’y avait en effet pas de tiercé tous les jours au début des années 80. Dans la foulée de ce premier achat, on a continué dans cette voie et acheté d’autres éléments. Je me porte notamment acquéreur d’un yearling chez M. Lombard, une pouliche nommée Zalataia. En 1980, je crois, André Fabre avait rentré à l’entraînement seulement trois yearlings. C’est dire le chemin parcouru et sa réussite. Zalataia débute à l’âge de 2 ans, très sagement. Avant qu’André Fabre parvienne à m’en faire une championne (Elle a gagné deux fois le Prix de Pomone Gr2, puis le Grand Prix de Deauville Gr2, avant de s’imposer au niveau Gr1 aux USA, ndlr). Chez un autre entraîneur je reste convaincu du fait que la pouliche n’aurait pas connu une telle carrière ! C’était en effet une pouliche fragile et tardive qu’il a fallu comprendre, attendre et écouter. Je me souviens que le jour de ses débuts la pouliche tremblait comme une feuille. Il a fallu lui faire prendre confiance et conscience de son potentiel. Ce moment-là m’a confirmé qu’André Fabre était un mec hors du commun. Je crois que dans le métier d’entraîneur, le plus difficile, c’est de donner la parole aux chevaux. Il sait les comprendre et les écouter. C’est un homme qui peut paraître froid mais qui n’est pas antipathique du tout. Et qui a beaucoup d’attentions pour les personnes qui lui sont proches. J’ai perdu ma femme de l’époque dans les années 90 et cela n’a évidemment pas été un moment facile. Sa femme et lui ont alors eu un geste qui trahissait une réelle gentillesse et de la bienveillance. En une autre occasion il m’a offert de très belles jumelles prétextant qu’il les trouvait grandes pour lui. Celles-ci nous ont suivi dans pas mal de nos périples dont le moment où nous sommes allés courir Zalataia aux Etats-Unis. Je m’en souviens comme si c’était hier. On regardait l’un et l’autre la course de la pouliche avec nos jumelles respectives quand, dans le dernier tournant, André généralement impassible m’a dit « Merde c’est foutu ! ». La pouliche avait en effet été très gênée dans le tournant. C’était compter sans le talent de Freddy Head et la classe de la pouliche.

Celle-ci revenant enlever la palme près du but. Vous savez, en 1983, aller courir aux « Stats » pour des petits français était exceptionnel et audacieux.
Autre souvenir qui permet de mieux cerner et comprendre André Fabre, c’est l’histoire de Tuesday’s Special. Ce cheval, je l’avais repéré à Rouen. Très loin en début de course, il avait fini plaisamment et ça m’avait plu. Je l’ai suivi et il a gagné avant de décevoir, courant même avec des œillères sans succès. Il a dans la foulée été inscrit aux ventes de fin de saison. Je parle de son profil à André Fabre. Il me dit « Pourquoi pas ? » Je lui propose alors d’interroger un garçon de voyage de l’écurie dont il dépend. Sa réponse a été claire et sans appel ! « Si vous demandez des renseignements à quelque personne que ce soit, je n’achèterai pas ledit cheval et ne l’entraînerai pas… C’est moi qui irai le voir et je déciderai. » Je me suis soumis. Il lui a plu et nous l’avons acheté avec réussite puisque le cheval a gagné plusieurs courses dont « l’Exbury » et il a été exporté. Il n’y a pas beaucoup d’entraîneurs capables de ce genre de choses ! Qu’est-ce qui fait qu’il est André Fabre ? Il comprend mieux les courses que les autres. Il a une analyse et une sensibilité peu communes. Quand je regardais les courses en sa compagnie, il était imbattable. Il comprenait la course en direct en termes d’aptitude du cheval, en termes d’harmonie avec le jockey. Car tous les bons jockeys ne s’entendent pas avec tous les chevaux. Et lui a aussi cette corde à son arc. Pour tout ce qui concerne les chevaux, il est au-dessus de la mêlée, puisqu’il excelle aussi au polo, une autre de ses grandes passions. C’est quelqu’un de curieux, qui lit beaucoup et partage la passion du cheval avec sa femme Elisabeth. Enfin, il ne presse pas le citron des chevaux. Il leur laisse le temps de dévoiler leur potentiel. Le récent succès de Tribalist dans le Prix du Moulin de Longchamp en est une très belle illustration. »