Les courses d’obstacle en Grande-Bretagne et en Irlande n’ont pas été conçues de la même façon qu’en France mais les chevaux venus de France s’adaptent très bien à ces courses, et depuis longtemps : en 1909, le gagnant du Grand National de Liverpool, Lutteur III, avait été préparé en France.
Bien malin celui qui saura montrer par le menu comment les courses d’obstacle ont divergé dans leur pratique de part et d’autre de la Manche, de la même façon qu’on est bien incapable, aux USA, d’expliquer pourquoi les courses ont quitté le gazon pour la terre battue, devenue le dirt. Comme deux jumeaux élevés séparément dans deux pays aux cultures différentes, les frères se ressemblent toujours, mais ils ne parlent plus le même langage : voilà comment on en est arrivé là. L’obstacle français, dans un pays centralisé, s’articule plus que jamais autour d’Auteuil, hippodrome parisien où se déroulent les neuf Groupes 1 de la saison d’obstacle en France. Certaines régions, en particulier dans l’Ouest, ont encore leurs grandes courses spécifiques, comme le Grand Prix de Pau, le Grand Cross de Craon, l’Anjou-Loire Challenge, etc. Toutefois, c’est bien à Auteuil que la sélection des meilleurs sauteurs français s’opère au premier chef. En Angleterre, plusieurs sites organisent leurs propres meetings au fil de la saison. Cheltenham et Aintree font plus figure de finales que de temple exclusif de la sélection. Cette sélection démarre en France dès l’âge de 3 ans, sur les haies d’abord, dès le 1er semestre, puis sur le steeple, le second semestre. Ensuite, les 4 ans se mesurent dans les deux spécialités, et à partir de 5 ans, à quelques exceptions près, les chevaux courent contre leurs aînés. On note que dans le programme des handicaps, les mêmes distinctions d’âge et de spécialité sont observées. En Grande-Bretagne, on ne court presque jamais à 3 ans, ou pas avant la toute fin de l’année, avec notamment le Finale Junvenile Hurdle (Gr.2) de Chepstow au Pays de Galles (course remportée cet hiver par le français Nietszche Has ). Au festival de Cheltenham, comme au meeting d’Aintree dans la foulée, il y a bien une grande course de 4 ans, le Triumph Hurdle (Gr.1), mais elle n’est pas considérée comme un événement majeur, car c’est une route alternative vers l’excellence. En effet, ce n’est pas tant l’âge des concurrents que leur expérience sur les obstacles qui détermine outre-Manche les conditions d’un programme. D’autre part, la saison n’est pas, comme en France, orchestrée par le calendrier civil grégorien, mais par la saison… de la chasse ! Pour les courses, elle débute en mai avec un programme d’été extrêmement accessoire, sans aucun rendezvous de premier plan, et commence vraiment à monter en puissance à partir de septembre.
Grâce au Gulf Stream qui adoucit le climat des Îles Britanniques, il est possible de courir en hiver là-bas, lorsque Paris est glacé. Autrement dit, en prenant le 1er mai comme date de début de saison de l’obstacle en Grande-Bretagne comme en Irlande, on distinguera des chevaux « novices », qui n’ont pas encore gagné dans la spécialité, de ceux qui ont déjà gagné et doivent donc courir avec l’ensemble des autres sauteurs. Au fil de la saison britannique et irlandaise, ces chevaux novices bénéficient d’un programme parallèle et pratiquement identique à celui des sauteurs déjà gagnants, avec des championnats spécifiques. Première distinction.
Six Grands Steeple en quatre jours
À l’intérieur de ces programmes parallèles, on observe une deuxième distinction qui tient à la distance. Il y a, en haies comme en steeple, des courses sur 2 miles, soit 3 200 mètres environ, et d’autres sur 3 miles, soit 4 800 mètres ou plus, mais aussi des courses autour des distances intermédiaires, à savoir 4 000-4 200 mètres. C’est ainsi qu’on a à Cheltenham six différents « Grands steeple », allant des novices sur 3 200 mètres (l’Arkle Trophy) à la Gold Cup sur 5 300 mètres. On retrouve là aussi souvent un handicap correspondant. Ensuite, il y a les obstacles. Sur les parcours de haies français, les obstacles sont comme de petits fences, droits, bien marqués, mais peu élevés. Les obstacles des steeple-chases sont variés selon les parcours et les hippodromes. Certains, comme le traversant bull-finch, demandent au cheval une forme d’adaptation, une « pratique », et d’autres confinent à l’équitation, comme en cross. En Grande-Bretagne et en Irlande, les haies sont des claies, panneaux légers qu’un cheval au galop peut enjamber, à la rigueur, mais qui peuvent encore surprendre les sauteurs. Comme chez nous, c’est la dernière haie qui est la plus dangereuse parce qu’elle est franchie alors que la lutte est déjà bien engagée, en bout de course, et que des maladresses sont plus nombreuses. C’est aussi vrai en début de parcours parce que l’obstacle surprend un cheval frais. Les claies pardonnant tout de même davantage que nos haies, ces courses anglaises et irlandaises sont souvent courues à un rythme supérieur au nôtre, même si d’une façon générale, comme en plat, les courses britanniques sont plus sélectives qu’en France. S’agissant du steeple, les obstacles britanniques sont pour la plupart des fences droits, élevés, qui ne laissent pas beaucoup de marge : il faut les sauter. Ils sont moins longs que les nôtres, qui favorisent un bon plus fluide, vers l’avant. Pour ces raisons, les chevaux britanniques qui s’essayent au steeple d’Auteuil sont plus rares alors que sur nos haies, Willie Mullins peut envoyer des chevaux que l’on voit en steeple en Angleterre. Inversement, les chasers français sont très adroits sur les obstacles anglais, car ils sont habitués à s’adapter à des obstacles variés, différents dans leur approche, nécessitant un dressage complet et, peut-être, de meilleurs réflexes. Dernière différence de taille, littéralement : le poids porté. En France, on court très rarement un cheval avec une charge supérieure à 70 kilos. Outre-Manche, on va jusqu’à 76,5 kg sans barguigner, si bien que les jockeys peuvent être plus lourds, durer plus longtemps, et rester des amateurs, parfois, même sur des carrières assez longues. Il faut dire que les chevaux en Angleterre et en Irlande débutent généralement plus tard que les nôtres en raison de la prééminence du programme de novices. Ils bénéficient d’ailleurs d’un programme d’essai que nous ignorons ici, les point-to-point. Ces courses pour amateurs sont souvent organisées par des équipages de chasse pour assurer leur financement : il y a des bookmakers sur place lors de ces réunions champêtres, et ils redistribuent une partie de leurs gains aux associations organisatrices, qui comptent aussi sur la buvette pour arrondir encore leur fin de saison. Les professionnels utilisent ces circuits alternatifs pour donner un peu d’expérience à leurs chevaux avant de les vendre ou de les convertir eux-mêmes aux courses officielles, « sous le code ». On constate donc que les deux écosystèmes sont très différents l’un de l’autre. Pourtant, nos chevaux font des prouesses en Grande-Bretagne et en Irlande après être passés sous pavillon local. Pourquoi ? Probablement parce que l’élevage français est beaucoup plus subventionné qu’en Angleterre et en Irlande, où il n’existe pratiquement pas de primes à l’éleveur. Ainsi, la génétique et les méthodes d’élevage françaises ont progressé de telle façon qu’on puisse dire aujourd’hui que nous élevons les meilleurs sauteurs du monde. Ensuite, les débourreurs et les entraîneurs français, conditionnés par un programme français de 3 et 4 ans très généreux, ont su améliorer leur méthode d’entraînement pour former des sauteurs jeunes. Or, les jeunes élèves apprennent plus vite que leurs aînés, comme chez les humains. Enfin, ces chevaux sont souvent disponibles sur le marché parce que les propriétaires français souhaitant investir dans des sauteurs sont moins nombreux, et moins disposés au risque que leurs homologues anglais et irlandais, qui dépensent sans compter dans l’espoir de gagner à Cheltenham ou à Liverpool, voire Leopardstown et Punchestown en Irlande. Ainsi, la France s’est-elle invitée à Cheltenham, d’abord en gagnant quelques courses, dans les années 90 et 2000 sous l’impulsion de François Doumen puis de Guillaume Macaire, mais surtout depuis grâce au travail remarquable de nos éleveurs et de nos entraîneurs, soutenus par les allocations et les primes volontaristes de France Galop. Et alors, vers la Saint-Patrick à Cheltenham, les planètes s’alignent pour le bonheur des trois pays !
EN GRANDE-BRETAGNE COMME EN IRLANDE, PRATIQUEMENT PAS DE PRIMES À L’ÉLEVEUR
Premier achat : Quevega , une petite AQPS qui avait gagné trois bumper en France et qui s’est avérée être une incroyable championne, détenant le record de six victoires dans le Mares’ Hurdle lors du Festival de Cheltenham. Depuis lors, la liste des chevaux FR dénichés et achetés par le courtier pour le compte de Willie Mullins n’a cessé de s’allonger avec beaucoup de succès, comptant notamment Al Boum Photo acquis sur une « chute » auprès de son entraîneur Emmanuel Clayeux et qui a offert sa première Gold Cup tant désirée à son légendaire entraîneur. Discussion avec Pierre Boulard sur les pistes de Chantilly deux jours après les dernières préparatoires de Leopardstown pour évoquer les forces en présence, comprendre le marché, parler souvenirs, technique et détailler les espoirs de la team Mullins dans l’édition 2025 du Festival de Cheltenham.
Pierre Boulard