David Lumet
Galorama. Vous êtes un des pionniers : comment l’activité s’est-elle lancée ?
David Lumet. Avec feu Yann Poirier, on a été les premiers à se lancer. Moi je venais du concours hippique, j’ai rencontré Éric Leray, qui m’a demandé de débourrer deux chevaux. Vu le résultat, un mois après, il m’en a mis quatorze. On a envoyé du personnel se former chez Philippe Peltier. Le tournant, c’est lorsque le nombre de courses a augmenté : les entraîneurs ayant de moins en moins de temps pour débourrer, ils ont fait appel à nous et on a fait des petits.
G. La façon de débourrer a-t-elle beaucoup évolué ?
D.L. Certains entraîneurs ne voulaient pas que les chevaux sautent, d’autres le demandaient impérativement. On s’adapte. Aujourd’hui, on nous demande de les « avancer » de plus en plus. Avant, on les préparait à 60 %, aujourd’hui, c’est plus à 80-85 %. Mais il faut connaître ses limites. Ne pas trop pousser les chevaux. On nous laisse plus de temps aussi. Avant, les contrats étaient d’un mois. Maintenant, ça peut aller jusqu’à quatre mois pour certains chevaux. On nous demande de les avoir « beaux ». On a bien fait évoluer le métier.
G. Un métier qui, rappelez-vous souvent, tarde à se faire une place officielle.
D.L. Notre activité est un métier à part entière, il est temps de le reconnaître. On demande à être reconnu pour avoir les mêmes contraintes et les mêmes avantages que les autres professions. Ni plus ni moins. On fait l’objet d’un vide incroyable, c’est inconcevable. Pendant le débourrage et le pré-entraînement, il n’y a aucune traçabilité. Que se passerait-il en cas d’épidémie ? Je poursuis le combat commencé il y a vingt ans par Yann Poirier. Mais au niveau des instances, personne ne veut prendre le sujet à bras-le-corps. Là, je viens d’envoyer des chevaux chez Marcel Rolland, Guillaume Macaire, Yannick Fouin ou encore Arnaud Chaillé-Chaillé, pas n’importe où… Tous les chevaux aujourd’hui passent par le pré-entraînement. Ce n’est plus 30 % comme autrefois.
G. Quelle qualification est nécessaire pour faire votre métier ?
D.L. Aucune. Vous pouvez être dentiste, vétérinaire, journaliste… On n’existe pas. Et le problème, c’est que ça peut donner lieu à tout et n’importe quoi. On voit des gens qui proposent leurs services en s’improvisant pré-entraîneur pour 15 euros par jour, au lieu de 33-34 euros. L’idéal serait d’avoir une licence spécifique. On ne demande pas une licence d’entraîneur, ce n’est pas le même métier. Le nôtre a besoin d’une formation, pas forcément d’un diplôme. C’est primordial et une question de bons sens d’avoir des connaissances sur les sols, l’hygiène… Moi, j’ai 1 million d’euros de chiffre d’affaires, au débourrage et au pré-entraînement, chez nous on passe environ 500 chevaux par an, j’ai 14 salariés. Je dirige une vraie entreprise. À côté de ça, beaucoup de mes confrères changent de métier ou mettent la clé sous la porte. La profession fait face à un nombre important d’impayés. Le problème, c’est que France Galop ne peut rien pour nous en raison de notre statut. On n’est pas protégés comme les entraîneurs. jours. Dans la profession, la référence c’est la méthode Blondeau. On s’est tous inspirés de Nicolas Blondeau, qui a eu le mérite de mettre au point une méthode et de l’écrire. C’est une vraie feuille de route. Après, le problème, c’est que le nerf de la guerre reste l’argent. Certains peuvent être tentés de griller les étapes s’il faut passer quatorze chevaux dans la journée.
G. Combien de confrères comptez-vous en France ?
D.L. C’est une très bonne question. Une quarantaine sont vite identifiés, peut-être sommes-nous cent. Le problème, c’est qu’on ne sait pas.
G. On peut voir sur le site qu’il n’y a pas que des infrastructures dédiées à votre activité principale, pouvez-vous nous en dire plus ?
D.L. C’est un métier de saisonniers. Après avril, on fait face à un creux de quatre mois. C’est pour cela que j’ai diversifié mes activités autour des panneaux solaires et du compost bio : j’ai créé une société qui me permet de monter des
G. On vous sent très remonté…
D.L. On accompagne les membres de notre association. Entre l’élevage et l’entraînement, on est devenu un vrai maillon de la chaîne : 95 % des chevaux passent aujourd’hui par un centre de pré-entraînement . On livre les chevaux clé en main.
G. Tous les débourreurs, pré-entraîneurs ontils la même méthode ?
D.L. 70 % de mes confrères font du très bon boulot. Après, c’est comme dans le galop : je connais des entraîneurs du Top 5 qui entraînent très différemment. Il y en a qui font des kilomètres et des kilomètres, 6 000 mètres, d’autres qui galopent 1 200 mètres tous les centrales photovoltaïques et une autre, avec mon épouse et mon fils, qui produit du lombricompost et du pur jus de lombricompost (Bio3L). Quant au Show Lumet, il me permet de remplir mes boxes onze mois, et non huit, dans l’année.
G. Et vous, comment vivez-vous votre métier ?
D.L. Avec passion. Jamais de ma vie je ne choisirai d’être entraîneur. Tous les matins, je me lève à 5 h et je suis l’homme le plus heureux de la terre. Le cœur de notre métier, c’est le moral du cheval. Lui donner goût à l’ouvrage, le faire jouer comme un gamin, lui donner envie de se battre. Je me souviens de Princesse d’Anjou , elle avait un mental d’enfer !
Quel serait l’avantage d’un agrément délivré par France Galop pour le débourrage pré-entraînement. Trois acteurs de la profession répondent.
Philip Prévost-Baratte
Combien de chevaux débourrés et pré-entraînés chaque année ?
On a beau fouiller, contacter les instances du galop et du trot, des organes comme l’IFCE et Equiressources : le débourrage et le pré-entraînement échappent systématiquement aux radars. De statistiques, il n’en existe point. Impossible dès lors de mesurer combien de chevaux passent chaque année au débourrage et pré-entraînement, sinon en extrapolant la statistique communément admise, voulant que 95 % des chevaux passent aujourd’hui par ces deux étapes de formation. Si l’on se fie aux tous derniers chiffres clés de l’ECUS (observatoire de l’IFCE), parus ce 31 janvier : au sein d’un cheptel équin français d’ 1,005 million d’animaux impliquant 26 700 entreprises spécialisées, 6 488 galopeurs sont ainsi nés en 2023 (-5 %) : 5 412 pur-sang et 1 076 AQPS. Parallèlement, 8 992 trotteurs ont été immatriculés l’an passé, en marge de 16 595 nouveaux nés chez les chevaux et poneys de sport-loisir. Sur ces bases, et partant du principe qu’un cheval de course est débourré entre 12 et 18 mois, on peut estimer que 5 141 pursang - arrondissons ce nombre à 5 000 - sont appelés à passer entre les mains de débourreurs et pré-entraîneurs en 2025. Idem pour 8 542 trotteurs (8 500). La seule statistique liée directement à cette profession est publiée au chapitre « Marché du travail » : 60 des 228 offres concernant l’élevage s’adressent à des cavaliers « débourrage / pré-entraînement ». L’activité est de loin la plus porteuse : 94 % des embauches promettent de déboucher vers un CDI.
La profession de débourreur et pré-entraîneur demande à être reconnue : où en est ce dossier ?
Le principe de la reconnaissance des déboureurs/ pré-entraîneurs est un sujet depuis plusieurs années. Jusqu’à présent, aucun consensus ne s’est dégagé sur le principe et les modalités de reconnaissance, car la mise en action est complexe. Une piste intéressante porterait sur une référence aux déboureurs/pré-entraîneurs dans le décret du 5 mai 1997 portant organisation des courses et ce au même titre que les propriétaires, les entraîneurs et les jockeys. Cette option permettrait de reconnaitre cette profession dans un texte étatique et d’harmoniser son régime social et fiscal et surtout de garantir la moralité des personnes exerçant cette profession au travers de l’avis qui serait émis par le SCCJ, le Service Central des Courses et Jeux. Cette option nécessite une position commune Trot/Galop et un accord du ministère de l’Intérieur et du ministère de l’Agriculture avant d’obtenir une modification du décret de 1997, qui est un décret avec un formalisme particulier puisqu’il est pris après avis du Conseil d’Etat.
L’activité est bien différente au trot. « Nous avons peu de structures spécialisées comme on peut le voir au galop, commente Stéphane Meunier, président du syndicat des entraîneurs, drivers et jockeys de trot (SEDJ). Chez nous, la plupart des débourreurs et pré-entraîneurs sont déjà entraîneurs, ce qui fait que les chevaux, durant cette période, sont inclus dans les effectifs à l’entraînement ». Des entraîneurs de renom comme Sébastien Guarato, Thierry Duvaldestin ou Jean-Michel Bazire font systématiquement appel à des confrères débourreurs. Dans le sud par exemple, des entraîneurs comme Yannick-Alain Briand ou Romuald Mourice « font débourrer tous leurs chevaux en Normandie ». Selon les cas, les chevaux reviennent chez leur entraîneur seulement débourrés ou déjà pré-entraînés. Entre une vente et une qualification, il faut compter huit mois environ. Le débourrage dure un mois et se rapproche du galop. Le pré-entraînement, lui, est plus en lien avec l’obstacle. « C’est très différent du galop, qui est une allure naturelle. Cela suppose une grosse mécanisation qui peut prendre six mois jusqu’aux qualifications ». Comme la préparation aux ventes, l’activité tend à « se développer ». « Mais la question d’une reconnaissance n’est pas vraiment un sujet. Nous, on dit : pourquoi pas. Mais on a déjà intégré cette activité en annexe dans nos conventions collectives ».