JOCKEY
Marie Vélon est au sommet de sa profession de jockey professionnel en plat en France. Elle affiche un pourcentage de réussite proche des 10 % et avec près de cent victoires, elle est en 10e position au classement des jockeys sur l’année 2024. Depuis son premier titre parmi les femmesjockeys , en 2020 pour sa cinquième saison (la 4e complète), elle est également chaque fois dans les dix premiers jockeys du pays. Déjà 7e en 2020, elle affichait alors un pourcentage de réussite supérieur à 12 %. En 2023, elle a remporté 99 courses pour 984 montes, encore un résultat sportivement remarquable. Ces réussites bâties sur la durée, c’est-à-dire sur un effort au quotidien, ont toutefois moins fait pour sa carrière et son renom que les victoires qu’elle a obtenues avec Irésine , le champion de Jean-Pierre Gauvin. C’est d’ailleurs aussi pour l’entraîneur de la Loire qu’elle a gagné sa première course, à Cavaillon, en 2017. Elle montait un ancien poulain de l’Aga Khan, d’ailleurs, elle qui avait démarré sa carrière chez Alain de Royer-Dupré. À posteriori, on peut y voir comme un présage, un encouragement à suivre les voies que le destin avait tracées pour elle. 2017, c’est aussi la première saison de la décharge pour femmes-jockeys, qui a donc accompagné son apprentissage. Sujette à controverse, cette mesure s’est installée dans les mœurs et elle poursuit son but de conviction, mais aussi de justice. Si elles restent minoritaires dans les pelotons, les femmes sont aujourd’hui majoritaires dans les effectifs des écuries. Elles remplissent les pelotons quand moins d’hommes pratiquent ce métier si difficile de jockey, qui demande une performance athlétique de haut niveau et conditionne l’exercice à des poids devenus plus rares avec l’évolution récente de notre espèce (lire notre étude sur la place des femmes-jockeys dans les pelotons français dans ce dossier). C’est l’intensité de cette performance brutale qui, très souvent, fait douter des aptitudes des femmes à rivaliser à armes égales avec les hommes.
Marie Vélon
Gagner à poids égal
Ainsi, les femmes sont toujours aussi rares dans les courses de haut niveau, car elles ne bénéficient pas de leur décharge à ce niveau de compétition. Aussi les exploits de Marie Vélon avec Irésine sont-ils cruciaux pour la cause des femmesjockeys en France. Le champion de Jean-Pierre Gauvin a gagné le Prix Royal-Oak (Gr.1) en 2022, et le Prix Ganay (Gr.1) en 2023, et sa cavalière ne recevait pas de poids de ses adversaires. Aucune des victoires d’ Irésine au top-niveau ne témoignait non plus d’une supériorité écrasante du cheval, qui aurait pu « rattraper » un défaut de son jockey. C’est un couple qui a gagné ces championnats.
« Je le connais depuis son tout début de carrière, explique Marie. Il avait toujours des problèmes de santé et ce n’était, au début, qu’un cheval lambda, plutôt fragile, mais Jean-Pierre Gauvin a su le respecter, lui donner sa chance, et je ne sais pas s’il aurait fait une telle carrière ailleurs. Il a débuté sans moi, mais je l’avais déjà monté à l’entraînement. C’est ensuite Alexis Larue qui s’en est occupé puis Jean-Pierre a pris la relève l’année dernière, au départ de son jockey habituel. Irésine a gagné son maiden dès sa 2e sortie, à Vichy, et je ne l’avais pas bien monté, ce qui m’a fait penser qu’il avait quelque chose. Puis, il a couru à Lyon avec de bons chevaux et il les a déposés dès que j’ai mis le clignotant. C’est alors que nous avons compris qu’il était exceptionnel. Mais il préfère vraiment les terrains souples. Il a toujours été battu en terrain plus léger. Avec sa grande action et son port de tête, il ne s’aide pas vraiment de son dos. Avec lui, je suis fixée dès le canter. Comme je le connais bien, je sais s’il est dans son élément ou pas ». Irésine sera à nouveau parmi nous cette année 2025 et sa cavalière espère bien encore défrayer la chronique avec lui. Pour le reste, il faudra continuer de parcourir tout le pays avec son bâton de pélerine, pour rester au sommet : « Ce n’est jamais facile et il a fallu lutter jusqu’à la fin de 2024, rappelle Marie, qui a fini avec 8 longueurs d’avance sur sa meilleure rivale, Maryline Eon, 12e au classement général. Il y a des filles de plus en plus performantes et il faut un apport régulier de partants et de gagnants pour être compétitive. Ça correspond à un millier de montes environ, quoi qu’il arrive, et demande une condition physique irréprochable. Et un peu de chance, bien sûr ».
Ici comme partout
Jules Susini, l’agent de Marie, pratique ce métier depuis 2009, et il travaille avec la cravache d’or depuis 2019. Selon lui, la perception qu’ont les hommes de cheval des femmes-jockeys s’est améliorée sensiblement depuis quinze ans : « Il est devenu extrêmement rare qu’on me dise d’un cheval qu’il n’est pas adapté aux femmes, explique-t-il. Des jockeys comme Marie, qui montrent au quotidien qu’elles peuvent lutter avec un homme dans une ligne droite, ont beaucoup fait pour que la situation s’améliore. Elles ont aussi souvent l’avantage de pouvoir monter à de petits poids, ce qui devient de plus en plus difficile pour de nombreux jockeys. Globalement, je dirais donc qu’on va dans le bon sens. Des barrières psychologiques sont tombées. Les grandes victoires de Marie ont aussi beaucoup compté, mais je trouve qu’aux courses, les états de grâce ne durent pas longtemps. Le lendemain des grands succès, tout est possible, mais on retombe vite dans le courant habituel. Les femmes-jockeys doivent davantage faire leurs preuves pour obtenir un statut de jockey de haut niveau, alors que, honnêtement, des pilotes capables de monter 600 à 1 000 courses par saison ont tous le même niveau ». N’allons pas nous flageller pour autant : dans de nombreux autres secteurs concurrentiels, les femmes doivent en faire plus que les hommes pour obtenir le même statut.
Jules Susini, agent de Marie Vélon
Les femmes dans le peloton : la décharge a été un signal, mais un grand écart demeure
À partir de 2017, sous l’égide d’Édouard de Rothschild, qui en avait fait une priorité, les femmes-jockeys ont bénéficié d’une décharge systématique de 2 kg, ramenée à 1,5 kg l’année suivante. Quelques aménagements à la marge ont suivi pour plafonner le différentiel pour les apprenties, mais globalement, le principe n’a plus beaucoup évolué. Les courses de sélection et la plupart des handicaps étant exclus des courses où la règle de décharge est appliquée. Ce sont les courses de Groupes et les Listed Races (toutes races), les courses à conditions de Classe 1, les courses à conditions de Classe 2 pour 2 ans et pour 3 ans, les autres courses de dotation égale ou supérieure à 31 000 € et les courses supports d’événement.
La lecture des statistiques publiées dans le précieux Baromètre du Galop désormais disponible sur le site de France Galop permet de mesurer l’impact de ces mesures sur l’activité des femmes-jockeys en France en plat. Si l’on considère toutes les licences « professionnelles », c’est-à-dire à l’exception des amateures, on note que de 2014 à 2023, nous sommes passés de 30 à 36 % de femmes licenciées. Toutefois, l’effectif total baisse de 29 %, et plus particulièrement de 36 % chez les hommes. Si l’on s’en tient au seul périmètre des jockeys professionnels, on note que le nombre de femmes jouissant de ce statut est passé de 35 à 46 (+31 %) en dix ans, soit de 12 à 22 % de cette population. Dans le même temps, les hommes ont perdu 39 % de licenciés. En somme, les femmes-jockeys comblent en partie un recul du nombre de jockeys professionnels en France. Pourtant, elles accèdent moins facilement à ce statut que les hommes. En effet, si en 2023 encore, un jockey homme sur 1,7 était professionnel seulement une femme sur 3,3 avait sauté le pas. Cette statistique s’établissait tout de même à une pour cinq en 2014 et en 2017. Il y a donc un progrès. Pour faire court, 20 % des femmes-jockeys en activité étaient professionnelles en 2017, contre 30 % l’an dernier. On peut donc dire qu’on assiste à un phénomène de professionnalisation des femmes-jockeys dans ce pays. S’agissant des performances, on note là encore de nets progrès de la cause féminine. Les femmes-jockeys représentaient 30 % de tous les licenciés avant que la décharge ne soit effective. Elles ne représentaient pourtant que 8 % des montes et remportaient 7 % des victoires. En 2023, on est passé à 36 % des licences, 21 % des montes et 18 % des victoires (21 % pour ces deux dernières données en 2020, soit une correspondance entre la part des montes et la part des victoires). On observe une même tendance chez les jockeys professionnels. D’un point de vue purement quantitatif , on semble ainsi être arrivé à une situation plutôt vertueuse. Toutefois, il est encore difficile d’analyser l’impact de ces mesures sur le plan qualitatif. Le fait que Marie Vélon soit entrée ces quatre dernières années dans le top 10 des jockeys français, et qu’elle ait pu remporter deux courses de Groupe 1 avec Irésine , semble indiquer que désormais, on puisse confier des chevaux de valeur et de vraies « chances » à des femmes-jockeys. La réalité est malheureusement bien plus nuancée. Outre-Manche, aucune décharge n’est réservée aux femmes et malgré tout, même sur les obstacles , certaines s’illustrent quotidiennement et au meilleur niveau. En revanche, les statistiques des jockeys en France en 2024 sur le seul périmètre des courses de Groupe et des Listed-races témoignent d’un grand décalage. Marie Vélon compte 26 participations sur ce programme de sélection, en 24e position au classement général sur le créneau au nombre de victoires. Elle en compte deux, avec Irésine . Les femmes-jockeys en exercice en France les plus sollicitées à ce niveau de compétition sont Coralie Pacaut et Frida Valle Skar avec respectivement 5 et 4 participations . Elles sont 13 à avoir également monté au sommet en 2024, dont les visiteuses Laura Pearson, Hollie Doyle, Hayley Turner et Saffie Osborne, et aucune autre n’a monté plus de deux fois dans cette catégorie dans l’année. Autrement dit, quand les enjeux sont importants et qu’aucune décharge n’est au programme, les femmes-jockeys sont, la plupart du temps, écartées de l’équation. Plafond de verre, es-tu là ?