CHEVAL
Ses premiers produits ont 10 ans et il est pour la deuxième année consécutive sacré meilleur étalon d’obstacle en 2024. Cokoriko est peut-être entré au Haras de Cercy, dont c’était le premier achat, en chantant, mais sans tambours ni trompettes. Né en mai 2009 en Saône-et-Loire, chez l’entraîneur Jean-Paul Gallorini et sa compagne Alexandrine Berger, le fils de Robin des Champs avait couru seulement quatre fois et s’il avait remporté deux victoires, la meilleure des deux était simplement une Listed.
Toutefois, à cette occasion, et sous les couleurs d’Alexandrine, il avait battu deux 4ans dont on allait beaucoup entendre parler : Milord Thomas et Un Temps pour Tout. Le premier a ensuite remporté cinq courses de Groupe 1, dont trois Prix La Haye Jousselin et un Grand Steeple. Le second, lui, a gagné une Grande Course de Haies d’Auteuil et plusieurs courses de Groupe outre-Manche…
Cette victoire si prometteuse devait pourtant être sa dernière : « C’était un poulain doué, puissant et très bien dans sa tête, rappelle son éleveur-entraîneur. Il a commencé par gagner pour ses débuts à Auteuil, en avril de ses 4 ans. Je l’avais laissé entier car j’avais regretté d’avoir castré son frère aîné de deux ans, Caesar’s Palace, premier produit de sa mère Cardounika, qui était magnifique et a très vite été un champion. Ensuite, Cokoriko a terminé 5e et comme son jockey est parti vivre sa vie, il m’a fallu en trouver un autre pour sa 3e sortie, et il n’a pas compris le poulain. Ensuite, avant de courir sa dernière course, il s’est blessé à l’entraînement. Il n’était pas carré le jour de la course mais il s’était habitué à son problème. Je n’infiltrais jamais mes chevaux. Après cette magnifique victoire, pourtant, il fallait se rendre à l’évidence : sa carrière était terminée… »
Comme le rappelle Jean-Paul Gallorini, la mère de Cokoriko, Cardounika (Nikos) avait déjà donné un poulain très doué, Caesar’s Palace, gagnant de trois Gr3s à Auteuil à 4 ans. Après Cokoriko, elle a aussi donné Chanducoq (Voix du Nord), propre frère de Voix du Nord, et étalon, lui aussi. « Cokoriko et Chanducoq s’appellent comme ça parce qu’en passant le matin devant chez Yannick Fouin pour aller au Rond Adam à Maisons-Laffitte, j’entendais le chant de son coq, et ça me rappelait ma jeunesse marseillaise, où nous l’entendions aussi », explique le Mansonnien le plus méditerranéen du monde.
Cardounika, Jean-Paul Gallorini l’a achetée à 3 ans pour 16 000 € aux ventes de juillet, qui se tenaient alors à Saint-Cloud. « J’aime tous les produits de Nikos, explique-t-il, et avec Cadoudal du côté maternel, c’était encore mieux. Voilà de belles origines françaises ! Et puis, elle me plaisait. On m’a dit que Robert Collet la voulait aussi, et pour les mêmes raisons que moi. On la ramène à la maison et lorsqu’il la voit, mon premier garçon, Rémi Passelande, me dit qu’il la connait pour l’avoir débourrée et qu’elle n’est pas facile. On la débute en plat à Evreux parce qu’on l’a travaillée sur la vitesse et que sur cette piste, si on se débrouille bien en partant, on peut faire la différence. Elle termine 4e, bien : je l’engage dans le Finot à Auteuil en haies (une course de débutants sur les haies très convoitée, ndlr). Avec qui est-elle à la lutte dans le dernier tournant ? Maia Eria ! La future crack ! Sauf qu’elle glisse et manque de tomber : elle finit arrêtée. C’était une jument difficile, mais elle avait de la qualité. »
Cardounika a couru 20 fois, gagné une seule course mais pris plus de 77 000 € avant d’entrer au haras. L’histoire ne s’arrête pas là. En effet, Jean-Paul Gallorini a aussi entraîné Relayeuse, la mère de Robin des Champs, le père de Cokoriko. Cette jument a gagné sept courses pour 26 sorties… « Toujours est-il qu’après sa courte carrière de courses, Cokoriko n’intéressait pas grand monde, rappelle Jean-Paul Gallorini. Jean-Louis Berger, le père d’Alexandrine, un grand éleveur de Saône-et-Loire, m’a alors rappelé que le Haras de Cercy cherchait des étalons. C’est lui qui a négocié sa vente auprès de Andrée et Jacques Cyprès. Je dois dire qu’ils ont fait avec lui un travail exceptionnel. Sa carrière au haras est très bien gérée par tout le staff et j’en suis très heureux. C’est un vrai plaisir de le voir là-bas. Je n’ai en revanche pas été très heureux avec les filles de Cardounika au haras, qui n’ont pas eu de chance. Mais Cesarine Palace m’a quand-même donné le très bon Chichi de la Vega. »
Lequel a pris près de 300 000 € chez Robert Collet.
Peut-être s’était-il rappelé de Cardounika ?
Parmi les grandes juments entraînées par Jean-Paul Gallorini, il y en a une qui, semble-t-il, tient une place particulière dans son cœur, et c’est Néoménie. Elle nait en Irlande en 1978 pour l’élevage Wildenstein. Selon Jean-Paul Gallorini, son premier entraîneur décide d’abord de l’écarter de son effectif. Son destin ne tient qu’à un fil quand Jean-Paul Gallorini, qui entraîne alors les Wildenstein pour l’Obstacle, la récupère. « Elle était très laide, résume-t-il. Une tête de trotteur, des oreilles démesurées, du ventre, des sabots larges comme des plats… Mais elle avait du cœur. Je préviens M. Wildenstein, qui avait préféré en faire cadeau à sa femme Sylvia, qu’elle va débuter mais comme je ne veux pas risquer de déception, on va courir à Dieppe en haies et elle finit 9e. Très bien. Je la cours à Enghien et elle finit 2e, puis à Auteuil, elle gagne de six longueurs ! Deux semaines plus tard, elle remet ça. Mes éminents collègues hurlaient au scandale, criaient au dopeur, tellement elle était laide. Ils disaient que ce n’était pas possible qu’une jument aussi laide gagne aussi facilement sans être dopée… Deux semaines plus tard, on m’annonçait que j’avais sept chevaux positifs, qu’on disqualifiait, dont Néoménie, et on me retirait ma licence à vie… J’ai vécu un an comme un paria avant de récupérer cette licence, mais Néoménie a gagné trois fois encore la saison suivante. »
Blessée aux tendons à l’été de cette année 1982 à Auteuil, Néoménie est condamnée mais sa propriétaire Sylvia Wildenstein veut à tout prix sauver « sa » jument. « En plein restaurant panoramique à Auteuil, elle hurle à son mari : Daniel, si tu tues ma jument, je divorce ! », raconte Jean-Paul Gallorini.
L’intervention chirurgicale fut un succès, et la jument est entrée au haras.
« Pour sa deuxième année au haras, j’ai proposé qu’elle aille à Crystal Palace. Lui aussi avait été sauvé du pire par François Mathet, lorsqu’il avait récupéré des chevaux de Guy de Rothschild, dont ce futur gagnant du Jockey Club qu’on avait déjà condamné ! C’est écrit en toutes lettres dans le livre qui lui est consacré, La Course Parfaite »
De cette union naîtra Nile Palace, la 2e mère du crack Docteur de Ballon, de Scarlet Row, qui a donné Politologue et Starlet du Mesnil…
Les cinq produits de Néoménie ont gagné, d’ailleurs, Nil Bleu ayant fait siens le Prix Berteux (Gr3) à Chantilly et le Prix de Pépinvast (Gr3). Après Nile Palace, elle a donné une mère plus prolifique encore, Newness. À son actif, N’Avoue Jamais (1er du Alain du Breil-Gr1, mère de Nickelle), Nom d’Une Pipe, Nickname (étalon et gagnant de Gr1 en Irlande), New Saga, tous de niveau groupe, mais aussi un des meilleurs étalons de l’Obstacle français, No Risk At All, également entraîné par Jean-Paul Gallorini et double gagnant de Groupe 3 en plat dont le Grand Prix de Vichy (Gr3).
Néoménie, en plus de cette beauté cachée des laids, que chantait Serge Gainsbourg, avait aussi du cœur, car elle a soigné celui de son entraîneur banni : « Pour quelqu’un qui était censé doper ses chevaux, j’ai quand-même sorti beaucoup de poulinières et d’étalons extraordinaires… »