Jeux d'Enfants N°5 Février 2025 | Pédago

TERRAINS DE PRÉDILECTION

Qu’est-ce qui détermine l’aptitude d’un cheval à courir sur telle ou telle surface : gazon, piste en sable fibré ou même le dirt sur lequel se déroule le programme de sélection aux États-Unis ? La génétique entre en compte, l’audace de l’entraîneur aussi !

Par Céline Gualde

C’est l’histoire d’un parieur qui priait le Seigneur chaque jour de toucher le gros lot. Excédé, Dieu finit par lui dire : « Mais jouez, au moins ! » Tenter sa chance, c’est ce que l’entraîneur Nicolas Caullery n’a pas hésité à faire en engageant, cette année encore, King Gold dans les Firebreak Stakes, un Groupe 3 sur le mile de l’hippodrome de Meydan. Le fils d’Anodin s’est imposé, coiffant sur le poteau Laurel Rivel , tenant du titre dans la Dubaï World Cup et sacré meilleur cheval de l’année 2024 ! Le gris King Gold , huit ans, n’a pourtant pas un pedigree de « dirt ». Cette surface en vogue dans de nombreux autres pays que la France est, pour schématiser, une descendante des pistes américaines en terre battue dont la composition diffère selon les champs de course. La couche supérieure de celle de Hong Kong, par exemple, est faite de quinze centimètres de sable fin mélangé à des copeaux d’écorce de pin. « C’est le cheval qui prend le départ et non son pedigree ! affirme Nicolas Caullery, qui ne craint pas d’affronter ces pistes potentiellement déroutantes. Je n’ai pas d’a priori alors je cours mes chevaux, j’essaie ! King Gold a une action rasante, il est serein dans un parcours donc maniable et a une vitesse de base impressionnante ». Des qualités qui ont valu au cheval de Mme Christian Wingtans de triompher sur le dirt après avoir remporté un Groupe 1 sur le gazon de Deauville, le Prix Maurice de Gheest (1 300 m) en août 2023. Une prime à l’audace ! « Quand on engage dans un maiden et que l’on voit qu’il y a aussi un Fabre ou de grandes casaques, on se dit qu’on ne va pas gagner... C’est la même chose lorsqu’il s’agit d’aller courir à l’étranger. On se met parfois trop de barrières, ajoute Nicolas Caullery, qui a envoyé cet hiver cinq chevaux à Dubaï où il réussit bien depuis 2017. Tout le monde va aux États-Unis pour acheter des chevaux de dirt, mais si au départ de ces courses ont avait six chevaux anglais et six américains, les américains ne s’imposeraient pas toujours... D’ailleurs, il est amusant de constater qu’à Dubaï, tous les chevaux s’entraînent sur le dirt le matin, même si certains courent sur le gazon l’aprèsmidi ! »

Le dirt à quitte ou double
Les statistiques de la Breeders’ Cup Classic, créée en 1984, semblent démentir l’entraîneur cantilien. Deux chevaux européens, seulement, ont réussi à s’imposer sur les 2 000 m de la plus prestigieuse des épreuves américaines avec le Kentucky Derby. Le Wildenstein Arcangues restera comme le premier tombeur des Américains sur leur surface, en 1993. Entraîné par André Fabre, il affichait la côte astronomique de 133 contre 1 ! Les chances de ce fils du vainqueur de l’Arc de Triomphe Sagace, lui-même gagnant du Prix d’Ispahan, Groupe 1 à Lonchamp, ne sautaient pas aux yeux. Ses quinze courses précédentes s’étaient déroulées sur le gazon, mais Arcangues s’est tout de même imposé sur le dirt de Santa Anita face au favori Bertrando. « Le talent de son entraîneur n’y est pas pour rien, mais Arcangues aimait les pistes plates et régulières , analyse Hubert Guy, courtier français installé aux États-Unis depuis plus de quarante ans. Le dirt c’est de l’endurance, des courses par élimination, peu techniques, où les chevaux partent à fond et c’est le moins fatigué qui gagne. Le rythme, la vitesse de base des courses américaines sont impressionnants. Elles demandent une énorme résistance à l’effort de la part des chevaux, qui ont un gros moteur, une arrière-main puissante ». Un cheval français s’essayant au dirt doit aussi supporter les projections importantes lors de ces courses : « Lorsque King Gold est rentré aux écuries, il était jaune ! », sourit Nicolas Caullery. Le crack-entraîneur irlandais Aidan O’Brien, s’est toujours cassé les dents sur la Breeders’ Cup Classic malgré... 18 tentatives ! Il a pourtant dégainé ses meilleurs talents comme Giant’s Causeway , 2e en 2024. Le passage du gazon au dirt n’a pas réussi à ces cracks, même ceux qui, comme Giant’s Causeway , fils de Storm Cat et d’une gagnante de Breeders’Cup Distaff sur le dirt, avaient des origines américaines.

La France entre PSF et gazon
En France, les PSF se sont développées ces vingt dernières années. Elles ont pour Éric Hoyeau, ancien patron des ventes ARQANA, trois avantages majeurs : « En période estivale, on les utilise pour des courses de moindre importance, ce qui permet de ménager les surfaces en gazon destinées à la sélection. Les PSF donnent également aux jeunes chevaux l’opportunité de débuter dans des terrains moins pénibles en hiver. Enfin, ces pistes permettent de courir toute l’année ». Elles restent en effet praticables malgré le gel et les intempéries grâce aux matières grasses inclues dans leur composition et à leur grand pouvoir drainant. Les pistes en PSF peuvent sembler « lourdes » l’été car la chaleur les détend : « C’est l’effet du beurre qui fond au soleil », indique Marin Le Cour Grandmaison, responsable du site de Chantilly pour France Galop. Les PSF deviennent alors plus collantes et les chronos des chevaux sont moins rapides qu’en hiver. Les courses de sélection françaises se disputent sur le gazon, mais lorsque les conditions météo rendent le terrain particulièrement profond et collant, les dés sont pipés. Alain de Royer-Dupré, qui entraînait notamment les Aga Khan, raconte que Sendawar (Priolo), vainqueur de quatre groupes 1, détestait le lourd : « Ce n’était pas la peine de le courir, on faisait non-partant. Mais certains de mes tout meilleurs éléments, comme Dalakhani et Zarkava , allaient dans tous les terrains ».

Éric Hoyeau ne pense pas que le développement des courses sur la PSF ait eu une réelle influence sur l’élevage : « C’est plutôt la réalité économique qui fait la tendance. Pour miser sur des exportations possibles, on a évolué de la production de chevaux de 2 000 mètres et plus, appréciant les pistes très souples, vers des chevaux de distance plus courte allant sur des terrains plus légers. Les familles de terrain souple ont été réorientées vers l’obstacle ». « Il y a vraiment des étalons qui donnent des chevaux avec ces aptitudes, je pense notamment aux lignées de Dom Pasquini ou Saint des Saints , indique l’entraîneur Yannick Fouin. Les chevaux qui galopent du genou et ont une petite action sont avantagés dans ce terrain, ceux qui sont trop lourds peinent à s’en sortir ». Comme Nicolas Caullery, Yannick Fouin, pourtant grand connaisseur des origines, ne se fie pas qu’à la génétique pour sélectionner ses chevaux d’Auteuil. Il vient de réclamer, à Marseille-Vivaux, un cheval « de PSF » qu’il espère convertir à l’obstacle. « Il a de la vitesse évidemment, et l’action qui convient ». Le cheval se nomme No Bay (New Bay) et on saura vite si le pari de son nouvel entraîneur est gagnant !

Les courses sur PSF représentaient 21,2 % de l’ensemble des courses disputées en France en 2015, contre 23,4 % en 2024

Candy Ride, l’exception qui justifie la règle

Le courtier Hubert Guy aime à dire qu’il y a « deux races de pursang aux États-Unis, les chevaux de dirt et ceux de gazon ». Les étalons ayant réussi à dominer ces deux univers sont rarissimes tant les qualités requises pour performer sur le turf (gazon) et le dirt (terre) diffèrent. Le chef de race Northern Dancer (Nearco), né en 1961, fut l’un d’entre eux. Culminant à 1,56 m, musculeux et doté d’une action extraordinaire , Northern Dancer ne courut qu’une fois sur le gazon, à deux ans (victoire au Canada dans les Summer Stakes, Listed). Cinq groupes 1 qu’il s’est adjugé se disputaient sur le dirt. Cela n’a pas empêché Northern Dancer de devenir l’étalon le plus emblématique du XXe siècle et de produire des stars du gazon, à commencer par ses fils et petit-fils Sadler’s Wells et Galileo !

L’Argentin Candy Ride marche dans ses traces. À vingt-six ans, il est toujours actif à Lane’s End, dans le Kentucky, où sa saillie est tarifée 75 000 dollars. « Son père, Ride The Rails, était un cheval de dirt américain exporté en Argentine. Sa mère Candy Girl, une jument autochtone plutôt orientée gazon, explique Hubert Guy. Candy Ride est resté invaincu en six courses et a gagné des Groupes 1 sur toutes les surfaces : le dirt, le gazon et même la polytrack lorsqu’il a battu Medaglia d’Oro sur les 2 000 m du Pacific Classic à Del Mar en 2003, s’adjugeant le record de l’épreuve ». En Argentine, Candy Ride avait également battu le record du monde du mile, sur le gazon ! Un crack polyvalent devenu un père de pères exceptionnel. « Candy Ride est certainement le meilleur « import » fait aux États-Unis, un reproducteur capable de sortir à la fois des chevaux – et des étalons- de dirt et de gazon », analyse Hubert Guy. Le bai est le père de Gun Runner (2013), étalon-star aux USA, vainqueur de six Groupes 1 sur le dirt dont le Breeders’ Cup Classic 2017, et qui affiche quinze millions de dollars de gains. Gun Runner est le géniteur de Sierra Leone, qui vient de l’imiter en remportant lui aussi le Breeders’ Cup Classic sous la selle de Flavien Prat. Candy Ride est également le père des étalons Twirling Candy (2007), qui a produit des gagnants de Groupe 1 sur le dirt mais aussi sur le gazon, et Vekoma (2016), meilleur sire de première production aux États-Unis en 2024. Ses rejetons semblent également briller par leur polyvalence.

Les PSF, des pistes à chouchouter
De nombreux hippodromes français sont équipés d’une piste en sable fibré, celles où on court en hiver et qui accueillent suffisamment de réunions pour justifier un investissement conséquent : Chantilly, Deauville, Pornichet, Pau, Marseille-Vivaux, Lyon-la- Soie, Cagnes... Ces surfaces sont, comme leur nom l’indique, un mélange de sable et de diverses fibres plastiques ou textiles recyclées, éléments liés par une sorte de vaseline. La réfection de la piste de Cagnessur-Mer , en 2022, a nécessité un budget de 3,2 millions d’euros, sachant qu’elle recouvre six hectares . L’ancienne piste a été retirée, l’enrobé drainant qui constitue la première couche entièrement refait avant la pose de sable fibré sur quinze centimètres d’épaisseur. À Chantilly, la PSF date de 2011 et a subi depuis deux gros liftings, le rajout de fibres en 2019 puis d’huile en 2023. Marin Le Cour Grandmaison, responsable du site de Chantilly pour France Galop, explique que l’entretien des PSF est extrêmement technique et méticuleux : « Il y a beaucoup de réunions de courses en février-mars sur notre hippodrome et on herse donc souvent sur cette période. Si on le fait toujours à la même profondeur, cela créé des zones de compaction et on sépare les éléments de cette « pâte » qu’est la PSF, on la disloque ». Il s’agit alors de la « rebattre » afin qu’elle retrouve son liant et ses qualités techniques. Cela se fait grâce à trois machines différentes dont le rotospike, qui malaxe la piste très lentement. Traiter l’ensemble de la PSF de Chantilly demande une semaine entière pour deux salariés. « Il ne s’agit pas simplement de passer un petit coup de herse , s’amuse Marin Le Cour Grandmaison. L’enrobé drainant installé sous la piste est extrêmement fragile et le moindre accroc l’endommagerait. On commence donc par sonder l’ensemble de la piste pour mesurer son épaisseur et décider d’une profondeur de traitement qui préserve l’enrobé ». À Chantilly, la mission du directeur de site ne concerne pas que la PSF de l’hippodrome mais également les cinq pistes en sable fibré du centre d’entraînement, que foulent deux mille cinq cents chevaux.