Jeux d'Enfants N°5 Février 2025 | A LA UNE

01 . PREMIERS PAS EN DOUBLE PARENTALITÉ

UN JOUR, J’AI DEMANDÉ À ANDRÉ FABRE CE QU’IL ATTENDAIT DE MOI ET IL M’A RÉPONDU : QUE LES CHEVAUX AIENT CONFIANCE EN EUX. JE PENSE QUE C’EST UN TRÈS BON RÉSUMÉ DE CE QUE L’ON DOIT PRODUIRE

Alban Chevalier du Fau
The Channel Consignment

13 MINUTES CHEZ VOUS

Un nouveau format immersif réalisé par Clélia Moncorgé pour Karisma Consulting pour 13 (passionnantes) minutes chez vous. Ce mois-ci, chez vous se conjugue à deux pour explorer la synergie entre entraîneur et débourreur pré-entraîneur dans le travail du jeune cheval.

Première immersion sur les pistes cantiliennes avec Mickael Seror, entraîneur d’obstacle qui s’est hissé dans le top 5 des meilleurs entraîneurs de la discipline en 2024 par les gains. Qu’ils arrivent du débourrage pré-entraînement en ayant déjà sauté, ou non, c’est à l’entraîneur de s’adapter à chaque profil et de travailler méticuleusement ses jeunes pousses sur les obstacles pour préparer le début de saison. « C’est important de bien faire les choses dès le départ. Notre rôle est de leur apprendre correctement à aller dans l’effort physique maximum, avec envie. Quelqu’un qui aime courir, plus il court, plus il a envie de courir. C’est le même état d’esprit ».

Remontée à la genèse de l’apprentissage avec une deuxième immersion en terres angevines avec Alban Chevalier du Fau au sein de son écurie privée The Channel Consignment, consacrée au débourrage-pré-entraînement, à l’élevage, à la convalescence de chevaux de course et au consignment pour les ventes. « Ma mission est d’avoir des chevaux beaux physiquement, prêts à attaquer l’entraînement intensif et surtout bien dans leur tête. Qu’ils aient confiance en eux, c’est un très bon résumé de ce que l’on doit produire, et qu’ils soient contents d’aller travailler ».

On taille des diamants bruts avant que les entraîneurs ne prennent le relais

Écurie de Grenoux

À l’ouest de Laval, en Mayenne, l’Écurie de Grenoux s’est spécialisée dans l’amont de l’entraînement, le débourrage pré-entraînement. En douze ans, elle a acquis la confiance de belles casaques et ses 80 boxes affichent « sold out ». Son secret ? Jacques Brel, le compatriote d’Audrey de Clerck, n’a cessé de le chanter : « l’amour », tout simplement.

Cinq partants dans le prix de Diane 2021, 24 yearlings recrutés à la Vente de Yearlings d’Août ARQANA 2019, plusieurs «top chevaux» comme Sealiway , Kenway , Rougir , Sweet Lady , Angel Bleu , Sunway ... Longtemps associée à Michel Dréan, Audrey de Clerck n’a pas tardé à marquer les esprits. En métamorphosant un poney-club en centre de débourrage et préentraînement , l’Écurie de Grenoux a vite mis les petits plats dans les grands. La structure fait 30 hectares, compte une piste de 1 200 mètres avec un léger dénivelé, deux lignes droites de 400 mètres , 80 boxes… Et tout cela avec deux maîtres-mots : « gentillesse et calme ».

Galorama. Vous suivez les résultats de vos graduates ?
Audrey de Clerck.
Oui, un maximum. Ça nous tient à cœur de voir ce qu’ils deviennent. On les a découverts tout jeunes, un peu paumés. On a toujours envie de comparer leurs résultats avec notre ressenti de départ. À 75 %, ceux-ci nous donnent raison. On sent vite si un cheval va devenir un cheval de course ou simplement « gagner sa croûte ». Pour les chevaux « utiles », c’est plus compliqué : on ne sait pas s’il sera en 25 ou 35 de valeur.

G. Les futurs cracks, les décèle-t-on tout de suite ?
A.d.C.
Ils ne réagissent pas pareils. Ils dégagent déjà une assurance et donnent l’impression d’avoir déjà vécu une autre vie. Ils comprennent plus vite. C’est presque si ce n’est pas eux qui vous apprennent des choses… Ils ont déjà une façon de galoper au-dessus de la norme, savent se servir de leur corps en très peu de temps. J’ai la chance d’avoir eu pas mal de chevaux de Groupe 1, cinq partants dans le prix de Diane 2021...

G. Précisément, votre activité est rapidement montée en flèche.
A.d .C.
On a eu de premiers gros clients comme Gousserie Racing et le courtier Paul Nataf qui nous ont lancé. Kenway nous a apporté notre premier Gr.1. Et puis, il y a eu Sealiway , Rougir , Sweet Lady , Angel Bleu , Sunway … En principe, on croise un cheval de ce niveau dans sa vie. C’est fantastique. Nos 80 boxes sont pleins. Des entraîneurs comme Pia Brandt, avec qui je travaille beaucoup, Christophe Ferland, Francis-Henri Graffard, des propriétaires comme Gousserie Racing, le Haras de Colleville nous font confiance. À 95 %, ce sont des chevaux de plat. J’ai la chance d’avoir une équipe formidable. Je lui dois autant qu’aux propriétaires qui me font confiance.

G. C’est quoi la « méthode Grenoux » ?
A.d.C.
Je préfère parler de façon de faire. Les mots clés sont : « gentillesse, gentillesse et calme ». Jamais on ne crie sur un cheval, jamais on ne sort le fouet. Ce qu’il n’a pas compris aujourd’hui, il le comprendra demain. C’est un animal très sensible, qui réfléchit en termes de confort et d’inconfort. S’il n’est pas bien construit mentalement, il y aura des failles et sera mal dans sa peau.

G. Votre activité, c’est un peu une école maternelle, non ?
A.d.C.
Oui et ça me va comme un gant ! On taille des diamants bruts avant que les entraîneurs ne prennent le relais. On leur donne un maximum de confiance en eux, en leur faisant croire que ce sont les plus beaux, les plus forts. Comme un enfant qu’on encourage, leur faire aimer l’être humain est fondamental pour la suite de leur carrière. Ça prend 2 secondes de faire un gros câlin avant de sortir du box.

ILS DÉGAGENT DÉJÀ UNE ASSURANCE ET DONNENT L’IMPRESSION D’AVOIR DÉJÀ VÉCU UNE AUTRE VIE. ILS COMPRENNENT PLUS VITE. C’EST PRESQUE SI CE N’EST PAS EUX QUI VOUS APPRENNENT DES CHOSES…

G. Techniquement, comment se passe le débourrage exactement ?
A.d.C.
Il faut deux mois pour faire du super boulot. Un mois pour le débourrage, un mois avant d’aller à la piste, même si c’est généralement un peu moins. Tout dépend du cheval. D’abord, on le laisse descendre 2-3 jours en pression. Passer du pré au box est un changement de vie. Ensuite vient la « désensibilisation ». Avec un stick ou la longe, on passe à droite, à gauche, au-dessus de sa tête, entre ses jambes pour voir comment il réagit. On serre la longe, on lui apprend à céder à la pression. Après l’avoir sécurisé, on passe à la selle : on saute à côté de lui, on se met en « patate ». Après, la phase de la bouche devient plus facile. Puis, on passe au manège, où on lui apprend les trois allures, à tourner et à s’arrêter en autonomie.

G. Et puis le cheval passe en piste ?
A.d.C.
Avec des séances très légères pour commencer : 1 200 mètres, marche, trot, galop pendant 4-5 jours, pour lui communiquer que c’est agréable d’être monté. Après, on les lâche 4-5 jours au manège pour décompresser et voir le dentiste. Puis retour en piste en montant le cardio.

ON LEUR DONNE UN MAXIMUM DE CONFIANCE EN EUX, EN LEUR FAISANT CROIRE QUE CE SONT LES PLUS BEAUX, LES PLUS FORTS.

G. C’est ensuite que commence le préentraînement …
A.d.C.
Oui, beaucoup de fond d’abord, très peu de galop de chasse. Un poulain doit apprendre à avancer les épaules pour monter le garrot et aller chercher plus loin l’amplitude. On les laisse dans leur action ensuite : du bon galop de chasse, des foulées bien détendues, sans aller vite. Et puis on monte le cardio sur 4 500 mètres en bon galop de chasse sans tirer la langue. La vitesse vient après. Il doit être capable d’accélérer en gardant l’équilibre et en respirant. On l’oblige à changer de jambe, à prendre son « bol d’air ». Enfin, on passe à 400 mètres, bien dans l’action, voire un petit canter.

G. Allez-vous sur les hippodromes ?
A.d.C.
Non, je suis très bien dans l’ombre. Mon terrain, ce sont plus les ventes. Mais je reste aussi à ma place : je ne prends jamais de part.

G. Comment jugez-vous votre profession ?
A.d.C.
Hélas, on est inexistants aux yeux des instances. On n’est pas considéré comme des acteurs des courses. Pourtant, on remet les chevaux clé en main. On ne va pas rester un « jeune métier » 30 ans non plus…

G. Avez-vous aussi des chevaux arabes ?
A.d.C.
Oui, ce sont des princesses ! (rires) Des chevaux très attachants, très câlins, avec un petit côté « drama queen ». J’en ai pas mal qui partent à Dubaï, au Qatar. Pour la première année, le cheikh Mansour m’en a confié douze.

Écurie PREVOST BARATTE

« J’aime beaucoup parler d’éducation, plutôt que de débourrage, car je pense que dans ce terme il y a cette relation qui est importante de créer avec un jeune cheval pour qu’il évolue toujours dans le bon sens. Chaque étape doit être assimilée avant d’être validée, il n’y a jamais de retard avec les chevaux ». Philip Prévost-Baratte compte parmi les acteurs majeurs du débourrage pré-entraînement depuis son installation en 2005. Poser les fondations d’une future carrière de course requiert du temps, de l’observation et de la minutie, mais les étapes franchies sont nombreuses et la communication avec les propriétaires a rapidement figuré parmi ses avantages concurrentiels. « Ce que je voulais, c’est avoir des chevaux qui soient vraiment très bien au travail et leur offrir des infrastructures pour leur permettre la meilleure des évolutions. Ce qui est important, c’est de livrer un cheval qui soit fort et serein dans sa tête ».

CE QUI EST IMPORTANT, C’EST DE LIVRER UN CHEVAL QUI SOIT FORT ET SEREIN DANS SA TÊTE.

Écuries DIANE

L’Ecuries Diane fête, en 2025, ses 25 années dédiées à l’apprentissage des jeunes athlètes et figure parmi les pionniers de la profession. « S’adapter à chaque cheval en fonction de ses besoins, à tout niveau, que ce soit la nutrition, le mental, le travail ou encore le protocole de soins. On essaie de faire à la carte, en fonction de chaque être. On s’adapte nous, humain, autour pour avancer dans le bon sens et atteindre notre objectif de les envoyer à l’entraînement ». Une philosophie de bien-être à long terme que sa fondatrice Diane Lybeck a toujours défendu pour ses chevaux, mais aussi son personnel et l’environnement, se voyant notamment recevoir le label EquuRes.

ON S’ADAPTE NOUS, HUMAIN, AUTOUR POUR AVANCER DANS LE BON SENS ET ATTEINDRE NOTRE OBJECTIF DE LES ENVOYER À L’ENTRAÎNEMENT

Écurie DE LA DENTELLE

« On se compare un peu à la maternelle du cheval, on doit leur apprendre à lire et à écrire dans un temps assez réduit ». Après avoir forgé leur expérience en France et à l’international, Pauline Bottin et Nicolas Martineau ont créé l’Écurie de la Dentelle en 2018 et compte depuis plus de 800 chevaux débourrés et préentraînés . Leur satisfaction professionnelle est d’« avoir un poulain qui arrive brut, et qui repart clef-en-main ». Elle témoigne d’un processus éducatif dans le respect du cheval, en prenant le temps d’être à la carte et en cohérence avec les attentes des entraîneurs.

ON SE COMPARE UN PEU À LA MATERNELLE DU CHEVAL, ON DOIT LEUR APPRENDRE À LIRE ET À ÉCRIRE DANS UN TEMPS ASSEZ RÉDUIT

« La voix a un rôle fondamental » : les petits secrets de la fameuse méthode BLONDEAU

Axée sur une « relation de confiance » entre l’homme et le cheval, la méthode Blondeau est répandue dans les centres de débourrage et reste la référence écrite en la matière. Entretien avec son auteur Nicolas Blondeau.

Galorama. Quelles sont les grandes caractéristiques des chevaux ?
Nicolas Blondeau.
Ce sont des animaux sociaux dont l’organisation repose sur deux types de relations fondamentales : la hiérarchie et les relations affines. Ce sont de véritables négociateurs dans leurs interactions, capables de tisser des liens affectifs forts et durables. Le cheval est un être d’une sensibilité exceptionnelle, doté d’un intellect structuré et d’une grande capacité d’adaptation.

G. Un cheval est-il fait pour travailler ?
N.B. Le fondement de sa relation avec l’homme est d’avoir quelque chose à accomplir. Rompre ce lien de travail avec les chevaux entraînerait leur disparition. Ils sont capables de s’engager dans une relation de coopération, de nouer des liens forts avec les humains et le métier qu’ils exercent. À condition qu’ils comprennent les attentes et qu’ils trouvent motivation à le faire, le travail devient un élément structurant de leur individualité.

G. Quel est l’esprit de la méthode Blondeau et en quoi consiste-t-elle ?
N.B. Elle favorise une relation de confiance et de coopération entre l’humain et le cheval, quelle que soit la discipline. En analysant le mental et le physique de chaque cheval, elle préserve son potentiel et garantit un apprentissage durable. Elle consiste à entrer directement dans l’éducation du cheval, en s’adressant à lui comme à quelqu’un. L’objectif est de l’amener à participer pleinement à tout ce qui lui est proposé. Elle est applicable à tous les chevaux, car elle prend en compte la personnalité de chacun à chaque étape.

G. Quelles sont les différentes étapes du débourrage selon votre méthode ?
N.B. La méthode Blondeau se déroule en 20 étapes progressives, permettant au poulain d’intégrer chaque nouvelle situation avec confiance. Parmi ces étapes essentielles, on retrouve : les premières manipulations réalisées à l’intérieur du box, l’embarquement et le débarquement dans un van, le premier montoir réalisé au box, les premiers pas montés à l’extérieur du box.

G. Que faut-il absolument faire et ne surtout pas faire avec un cheval ?
N.B. D’abord, rendre le cheval confiant. Il ne faut pas chercher à le pousser par l’arrière pour obtenir le mouvement, mais plutôt appliquer le procédé Bauchériste, qui consiste à solliciter la marche en avant en utilisant la baguette sur l’avant-main. La seule difficulté à surmonter pour le cheval est la peur de l’homme ou de ce qu’il peut lui demander. L’objectif est de devenir au plus tôt son référent. Il est également essentiel de ne pas sédater un cheval qui endormi ne peut rien apprendre.

G. Vous débourrez des chevaux de plat, de trot et de sport : quelles sont les différences d’approche ?
N.B. Aucune.

G. Combien de personnes formez-vous en moyenne ?
N.B. Entre les formations intra-entreprise d’une journée et les formations en apprentissage d’une année, 230 personnes par an.

G. En quoi consiste le programme de recherche CHEVALDUC et où en est-il ?
N.B. Dirigé par Jocelyne Porcher (INRAE) en partenariat avec la région Normandie, il a exploré la question suivante : « Le débourrage du jeune cheval est-il une formation professionnelle ? » L’École Blondeau a été retenue comme terrain d’observation. L’étude a porté sur un panel de 100 jeunes chevaux, mâles et femelles, en interaction avec des hommes et des femmes, permettant de recueillir de riches données statistiques. Les résultats ont mis en évidence le rôle fondamental de la voix dans l’accompagnement affectif du cheval, en pleine transformation lors du débourrage. Ce programme a donné lieu à de nombreuses publications scientifiques.