Par Céline Gualde
Pour un éleveur ou un pré-entraîneur, il n’est jamais anodin de recevoir un cheval de course au repos. Même si chacun a sa méthode pour offrir à ces vacanciers de luxe la pause qu’ils méritent, il faut pianoter, faire du sur-mesure. Chaque cas est particulier, même quand les chevaux ne présentent, a priori, pas de pathologie. Natacha Gimenez, vétérinaire spécialisée en imagerie et orthopédie mais également ostéopathe, suit des chevaux de course pour différents propriétaires. Elle explique pourquoi les périodes de repos sont indispensables : « L’entraînement consiste en un effort physique intense sur des chevaux généralement en croissance. Tous ne grandissent pas au même rythme. Bien souvent, on ne se rend compte qu’ils sont dans le rouge que lorsqu’ils se raidissent physiquement. Le plus important est donc d’être à leur écoute, attentif à tout signe d’inconfort. Si un cheval ne progresse plus dans le travail il est temps de l’arrêter, quel que soit le moment de l’année ». Le cheval au repos a toujours besoin d’une période d’adaptation à son nouvel environnement, excepté lorsqu’il revient à l’endroit où il est né et a grandi, qu’il reconnait généralement. Il retrouve alors rapidement, et avec un certain soulagement, les habitudes de la maison. Mais il faut néanmoins agir avec prudence ! Un galopeur fraîchement sorti de l’entraînement peut sauter une clôture, stresser au pré et s’y sentir désorienté, mal tolérer la remise à l’herbe sur le plan digestif... Le gardien méticuleux d’un coursier au repos doit donc être attentif à mille détails. Le cheval mange-t-il bien ? A-t-il beau poil ou des boutons sur le dos, au passage de sangle ? Grince-t-il des dents, signe de nervosité ou de douleurs gastriques ? Est-il raide ? Asymétrique dans sa musculature ? Triste ? Avec quel compagnon pourrait-on le « marier » pour ses quelques semaines de repos afin qu’il en profite au maximum ? Chaque galopeur sortant de l’entraînement est une énigme passionnante à résoudre. Son gardien n’a que très peu de temps - généralement de trois à six semaines - pour lui refaire une santé physique et mentale. « J’attends de la personne qui prend mes chevaux au repos qu’elle ait l’œil, s’adapte au cheval, ose le mettre avec des congénères si besoin », résume Jérôme Delaunay, à la tête d’un effectif d’une centaine de galopeurs dans l’Anjou.
« SI LES CHEVAUX N ’ONT RIEN AUX JAMBES, ON SOIGNE LEUR TÊTE »
Philippe Peltier, entraîneur
Du côté de l’écurie Papot, propriétaire leader dans la discipline de l’obstacle, le dossier des périodes de repos des chevaux est classé « secret défense ». Xavier Papot est persuadé que le système mis en place au fil des années est un facteur clé du succès de la casaque. Les détails de l’organisation ne sont donc pas dévoilés ! On apprend simplement que les « Papot » s’appuient sur une équipe de préentraîneurs et que leurs chevaux restent physiquement actifs même lorsqu’ils partent en vacances. Il y a en effet deux religions chez les responsables d’écuries : les adeptes du maintien d’un exercice allégé et ceux qui prêchent pour le repos total de leurs ouailles.
L’ Anglais Noel George, installé à Avilly-Saint-Léonard tout proche de Chantilly en binôme avec Amanda Zetterholm, 3 du classement des entraîneurs d’obstacle fin juin avec un effectif de 79 chevaux, appartient à cette deuxième catégorie. Les Britanniques sont globalement convaincus des bienfaits d’une vie à l’herbe pour les chevaux. Outre-Manche, les plus grands cavaliers de saut d’obstacles ou de concours complet mettent volontiers leurs chevaux au pré seuls ou en groupe, même les cracks olympiques à la valeur inestimable. « Ma vision des choses c’est : on enlève les fers et on laisse les chevaux dehors, tranquilles, vraiment en mode vacances », précise-t-il. « Cela vaut pour les bons chevaux de l’écurie qui ne courent pas l’été, mais aussi pour les trois ans. Ils font un gazon au printemps, puis je les envoie profiter de la bonne herbe en mars-avril et je les reprends quand il commence à faire chaud ». L’estomac des chevaux produit de l’acide en continu. La partie basse de cet organe est protégée des irritations par de la kératine. Lorsque le cheval est à l’entraînement, son bol acide est secoué et enduit les muqueuses fragiles de la partie supérieure de l’estomac, ce qui provoque des ulcères. Il n’y a pas de meilleur traitement à long terme qu’un séjour à l’herbe. La vétérinaire Natacha Gimenez explique : « Le cheval est un animal grégaire, qui a besoin de marcher beaucoup, le nez par terre. En le mettant au pré, on restaure tout ce pour quoi son organisme est fait ». Les vrais chevaux de terrain lourd de Noel George, ceux qui ne retrouveront les pistes que durant l’hiver, restent en vacances jusqu’au mois d’août. Leur mentor les envoie souvent chez son père Tom. Entraîneur lui aussi, il possède une propriété de deux cent cinquante hectares près de Cheltenham. « Là-bas, les chevaux ne souffrent pas de la chaleur, le climat est bien plus tempéré qu’en France », souligne Noel. Il préfère évidemment mettre ses chevaux au repos au printemps, considérant qu’ils profitent bien moins durant l’hiver, période où ils doivent être couverts et où l’herbe n’apporte que peu de nutriments. « S’ils ont un break hivernal, c’est plutôt pour changer d’air, pour leur redonner du moral. J’aime bien choisir en ce cas un endroit équipé d’une piscine par exemple, afin qu’ils aient une activité différente de ce qu’ils pratiquent au quotidien ».
« J’opte pour un repos total pour les chevaux de trois ans, qui ont besoin de bonne herbe et de grandir » confie Jérôme Delaunay. « En revanche, je n’aime pas arrêter les chevaux d’âge longtemps, pour eux je favorise les vacances studieuses : être montés un jour sur deux, faire du galop de chasse... Cela rend la reprise moins difficile. Donc on ne les arrête pas tout à fait, sauf s’ils ont besoin d’un vrai break mentalement ».
QU’EST-CE QUE L’HOMÉOSTASIE ?
Selon le dictionnaire de l’Académie de Médecine, l’homéostasie est un processus physiologique permettant le maintien constant du milieu intérieur de l’organisme afin d’en assurer le bon fonctionnement . Ce peut être le maintien de la température corporelle, de la pression artérielle ... Ce mot s’emploie aussi pour désigner la situation d'une cellule ou d'un tissu en état d'équilibre biologique, équilibre qu'une agression comme un entraînement mal dosé ou mal supporté peut venir perturber. Se produisent alors les tendinites ou la déminéralisation des os évoqués par le Dr Natacha Gimenez. L’étymologie du mot vient du grec homoios (semblable) et stasis (position).
La méthode Thierry Cyprès
Naisseur de Bipolaire , Figuero , Kargese , Kingland et bien d’autres cracks, Thierry Cyprès a une quarantaine de chevaux à l’entraînement , dont il gère les périodes de repos. Tout le monde rentre à la maison pour les vacances, à Montigny-sur-Canne dans la Nièvre, sur un domaine de plus de deux cents hectares. Thierry Cyprès travaille avec son fils Jules, qui fut perchiste de haut niveau. « Le fait d’avoir un fils athlète m’aide dans la prise en charge des chevaux car j’ai suivi sa carrière entre périodes de compétition, d’entraînement et de repos. Les chevaux doivent être considérés comme des athlètes de haut niveau eux aussi. Ils ne parlent pas : à nous de les déchiffrer et de les respecter ». Marius, l’autre fils de Thierry, est vétérinaire. Il fait un bilan complet à chaque cheval de course qui rentre au bercail. Tous ont donc un dossier médical qui les suit au fil de leur carrière. Ils sont pesés au début et à la fin de leur séjour. « La meilleure période de repos, c’est évidemment de mi-avril à fin mai, notamment pour les trois ans qui débuteront à l’automne, dit Thierry Cyprès. Au pré les chevaux ne sont jamais sous pression, ils se sentent bien et reprennent très vite de l’état. L’hiver, les chevaux ont du foin à volonté, ils ont de grands boxes dans lesquels ils peuvent marcher et être en contact avec les autres. Les chevaux sont là pour s’oxygéner, on fait tout pour les apaiser ». Alimentation et compléments alimentaires sont mis en place au cas par cas pour soutenir la flore intestinale, détoxifier l’organisme , guérir les ulcères, apaiser les douleurs éventuelles. Les chevaux qui ne restent pas au pré H-24 vont au marcheur et au paddock. En écoutant parler l’éleveur on réalise que non, accueillir un cheval au repos ce n’est pas juste le lâcher dans de la bonne herbe en attendant qu’il se remplume. « Aujourd’hui, la moindre course de province est difficile à gagner, affirme Thierry Cyprès. On ne peut plus laisser simplement faire la nature comme dans l’ancien temps ».
Longue ou courte pause ?
Pour Natacha Gimenez ce choix d’un exercice modéré mais constant est pertinent sur des chevaux adultes qui peuvent souffrir d’arthrose : « Si la période de repos prévue est courte, mieux vaut garder le cheval en mouvement. Avec l’arrêt de l’entraînement, il va perdre de la souplesse ligamentaire, ce qui aura pour conséquence de réveiller ses douleurs articulaires. On peut le maintenir en activité en changeant sa routine. L’envoyer en thalassothérapie est une option, d’autant que les ions négatifs du bord de mer sont très bénéfiques à l’appareil respiratoire ».
Les vacances des chevaux sans problème physique particulier durent généralement de trois à six semaines. Noel George estime qu’ils ne se relâchent pas vraiment si on les arrête moins d’un mois.
Philippe Peltier pense également qu’une pause trop courte « ne sert à rien ». La durée idéale des congés payés est selon lui de quatre à cinq semaines : « Cela évite qu’ils perdent trop de muscles, ils se remettent vite en condition à la reprise du travail. Ou nous envoyons les chevaux chez leurs éleveurs, ou nous les gardons chez nous puisque nous avons quatre-vingt-dix hectares. Ils sont toujours nourris, une fois par jour en mai quand l’herbe est très bonne et deux fois par jour le reste du temps. Je crois plus à la nourriture qu’au terroir ! Si les chevaux n’ont rien aux jambes, on soigne leur tête. On les déferre des postérieurs et on les met deux par deux au paddock ». Philippe Peltier peut donner des breaks beaucoup plus longs à ses jeunes chevaux : « On les met à l’herbe trois ou quatre mois et on voit vraiment la différence ». Les poulains font souvent une poussée de croissance en sortant de l’entraînement. Quelques mois au pré peuvent les métamorphoser !
Vérifier que tout va bien
Avant leur mise au repos les chevaux de Philippe Peltier ont un check-up vétérinaire, « afin d’éviter les mauvaises surprises à la reprise du travail, car toutes les tendinites ne se voient pas à l’œil nu ». Le Dr Gimenez est favorable à ces examens préalables aux vacances : « Faire un bilan locomoteur à la sortie de l’entraînement me semble être du bon sens, avec une échographie des tendons fléchisseurs. Cela permet de conserver des images de référence qui pourront s’avérer utiles plus tard. Des radios des os sésamoïdes des quatre boulets sont aussi de bons indicateurs car, si le cheval
a mal supporté le travail, une déminéralisation osseuse y est fréquemment détectée, de même que sur les carpes ». Un signal d’alerte qui permettra d’adapter la longueur de la pause et les soins. Natacha Gimenez conseille également un bilan sanguin complet et la prise de probiotiques durant une dizaine de jours lorsque le cheval arrive sur son lieu de repos, afin que son organisme gère mieux le changement d’alimentation et d’environnement. Réaliser une coprologie, qui permettra si besoin de vermifuger le cheval avec la molécule adaptée, est également fondamental.
« EN LE METTANT AU PRÉ, ON RESTAURE TOUT CE POUR QUOI SON ORGANISME EST FAIT ».
Natacha Gimenez, vétérinaire
PAS DE REPOS POUR LES CONTRÔLES ANTIDOPAGE
Selon l’article 32 du code des courses, les entraîneurs ont l’obligation de déclarer l’endroit où leurs chevaux vont au repos lorsqu’ils les placent en sortie provisoire d’entraînement ainsi que le nom de la personne responsable. Des contrôles antidopage peuvent être diligentés sur ces sites. Selon les chiffres de France Galop, dix contrôles ont été effectués en 2024 pour vingt chevaux prélevés. En 2025, onze contrôles avaient déjà été réalisés à la fin juin. Les personnes responsables de chevaux au repos doivent être en mesure de fournir une ordonnance pour tout traitement administré.