Tour de France N°10 Juillet 2025 | Hippodromes : des nouveaux lieux d ’événements

HIPPODROMES : LES AUTRES STADES DE LA MUSIQUE

Par Serge Okey

L’été, la musique succède ou s’entremêle au bruit des sabots sur les hippodromes. Ces vastes enceintes offrent un formidable terrain et un écrin idéal, collant parfaitement à la taille des festivals et autres concerts géants toute l’année.

De Vincennes à Clairefontaine, via Nancy et la Côte d’Azur, les hippodromes aiment à se présenter sous ce slogan fédérateur : « Bien plus qu’un champ de courses ». Par les temps qui courent, les arènes dédiées aux courses ont tout intérêt à diversifier leurs activités. Et c’est tout sauf un hasard si deux des plus grands festivals de France, Solidays et Lollapalooza ont envahi ParisLongchamp ou s’apprêtent à le faire.

Les plus grandes stars à ParisLongchamp
Troisième événement musical de France derrière Les Vieilles Charrues et le Helfest, Solidays vient encore de rassembler un quart de million de fidèles, devant Damso, Gims et Zaho de Sagazan, durant trois jours, la semaine passée. « De deux scènes et 20 000 festivaliers en 1999, date à laquelle on a lancé l’aventure, on est passé, aujourd’hui, à six scènes et 250 000 entrées », rappelle Raymond Lopez, qui aime à se présenter comme le « directeur des solutions » de ce festival engagé dans la lutte contre le Sida tout en prônant la solidarité. À Paris 16e, l’adresse est exceptionnelle. Et les 57 hectares du site, dont 17 ha de pistes, ont permis à Solidays de voir les choses en grand. « La pelouse est belle, tout est clôturé même si on ajoute 10 km de barrières, on profite des bâtiments à disposition, on a un bon relationnel avec France Galop, avec des accords pour les jardiniers, la mairie et la Région nous soutiennent avec beaucoup de bienveillance ». Tels sont les nombreux avantages de la formule. Après, il faut composer avec quelques contraintes. « On commence à s’installer un mois et demi avant le coup d’envoi du festival. Or, les courses s’arrêtent une semaine avant. Cela oblige à ralentir l’activité, à libérer le parking central les jours de courses. Il faut cohabiter aussi avec le golf, la base arrière de Roland-Garros ». Autre écueil : malgré l’immensité du site, Solidays est arrivé « au point de saturation » en termes de jauge. « On s’est développé pendant quinze ans, aujourd’hui on est victime de notre succès. On s’étend sur 38 ha, on ne peut plus s’agrandir ». Au point que le festival a étudié la possibilité de déménager dans le bois de Vincennes, là où se tient le festival We Love Green. Piloté par le géant des concerts Live Nation, Lollapalooza est venu s’ajouter à l’offre en 2017. C’est le quatrième festival le plus important de France, juste après Solidays. Justin Timberlake, David Guetta et Olivia Rodrigo sont les têtes d’affiche de la 7e édition, du 18 au 20 juillet. Mis sur orbite avec 110 000 entrées dès sa première édition, cet événement profite de la position dominante de Live Nation pour empiler les stars : Lana Del Rey, Kendrick Lamar, Rosalia, Dua Lipa, Aya Nakamura, Charli XCX, The Strokes ont déjà marqué l’histoire de ce jeune festival importé de Chicago. Le record d’affluence s’élève à 170 000 entrées et date de 2023.

Des festivals qui poussent
ParisLongchamp n’a pas le monopole des festivals. Dans des formats plus réduits, plusieurs événements se mettent en selle en province. À Clairefontaine, par exemple, le Gärten on the Beach, festival électro-pop, se lance avec deux jours de concerts autour d’Ofenbach, Feder et Yuksek, les 9 et 10 août. À Maure-de-Bretagne, dans un esprit « rock et celte », le festival du Feu jongle entre concerts, spectacle pyrotechnique, cascades équines et voltige, le 23 août. Dans une ambiance cette fois latino, le festival Cuba Me Mucho a débarqué en janvier à l’hippodrome du Lions-d’Angers. Dans le cadre d’Halloween ou de la fête de la musique, le collectif Invasion Nocturne y organise aussi des « afters » de musiques électroniques. Ce n’est pas nouveau, mais le festival Rock in Evreux a encore envahi fin juin l’hippodrome de Navarre pour voir Louis Bertignac, UB 40 et Nada Surf.

Les nouveaux night-clubs ?
À l’autre bout de Paris, l’hippodrome de Vincennes enchaîne lui aussi avec deux événements très tendance : Yardland, un rendez-vous marqué « rap et cultures urbaines », du 4 au 6 juillet avec Gazo, Tiakola en tête d’affiche. Puis un festival électro, le Peacock Society, les 11 et 12 juillet, avec Charlotte de Witte et Joy Orbison. À l’opposé, au nord-Ouest de la capitale, le Mad Jacques Fromage, un concept gourmand mêlant « 847 kg de raclette et 12 h de festival électro » revient sur l’hippodrome d’Enghien-Soisy pour une 3e édition en novembre et une 4e au printemps prochain. En 2026 est aussi annoncé le Verso festival, un événement 100 % techno, avec « deux scènes indoor, 10 dj’s, de 23 h à 9 h du matin ».

Des lieux de fête
Très courus, les fameux « after work » JeuXdi à ParisLongchamp témoignent d’une volonté de faire des hippodromes des lieux de fête. Dix soirées encore au programme cette année, depuis le 15 mai, jusqu’au 11 septembre. Régulièrement « sold out », ces cocktails de Dj sets en plein air, dans une ambiance « chill et festive »(dixit France Galop), les pieds dans l’herbe, avec « battles », donnent un vrai coup de jeune aux courses.

Cet été, cet état d’esprit s’exporte à Deauville. France Galop annonce « une ambiance musicale au Black Type, la guinguette de l’hippodrome, avec des musiciens ou Dj’s, chaque jeudi après les courses, lors du meeting Barrière ».
À ParisLongchamp, une nouvelle fois, la fête se répand encore le 13 juillet avec une « Garden Party » en marge du Grand Prix de Paris, avec le duo électro Trinix aux platines. En province, les Estivales de Marseille-Vivaux se doublent de concerts. À Cherbourg, l’hippodrome peut accueillir tout aussi bien 5 000 personnes devant un concert de vedettes des années 80 que s’ouvrir à des cascades de motos ou « Monster Trucks ». L’hippodrome Le Bouscat a fêté les dix ans du Bordeaux Open Air et vibré au son d’une grande « house party ». Le concert des 1 000 enfants a fait son retour à Chantilly. À Caen, le collectif Hello Caen monte des rendez-vous musicaux depuis l’an passé. À Toulouse, c’est Garden Party l’été et Halloween à l’automne. Tout le long de ses Estivales, l’hippodrome de Cabourg confie à deux reprises sa scène au festival voisin de Cabourg mon Amour cet été. Chaque vendredi rime avec concert. Ce 4 juillet par exemple, c’est soirée « Disco 2 Chevo ». Cette liste ne prétend pas être exhaustive. On remarque cependant une nouvelle tendance, incarnée par le Drone Art Show. Un spectacle éclairé par des milliers de bougies, mêlant musique classique (quatuor à cordes) et show visuel à base de drones « transformant le ciel en un tableau lumineux et coloré ». Ce concept débarque les 11 et 12 juillet à l’hippodrome de Lyon Parilly, les 25 et 26 à Vincennes, puis au Bouscat les 5 et 6 septembre.

Les théâtres de concerts géants
Les hippodromes sont aussi les théâtres de concerts XXL. On se souvient que les Rolling Stones avaient rameuté 150 000 fans à Auteuil, en 1982, pour deux concerts, avec Téléphone en première partie, avant de fêter leurs soixante ans de carrière en 2022 à ParisLongchamp, qui a viré métal l’an passé, le temps d’un concert historique d’AC/DC devant 80 000 personnes. Le record de Vincennes remonte à 1992 avec le plus grand concert de la tournée européenne de Michael Jackson devant une foule de 85 000 âmes. Entre 1986 et 1993, le temple du trot était aussi celui des stars : Queen, U2, Bruce Springsteen, Johnny pour un meeting du RPR, Elton John et Eric Clapton, Metallica, le festival Monsters of Rock avec Aerosmith et AC/DC… Auteuil a joué les pionniers. Outre les Rolling Stones, le haut lieu de l’obstacle a programmé Simon and Garfunkel en 1982, puis David Bowie en 1983. Pas étonnant que sa Pelouse B ait été baptisée « Billie Holyday ».

Fête nationale et grande messe
Dans les archives, on retrouve aussi des événements de taille assez surprenante. ParisLongchamp a ainsi servi de cadres aux défilés du 14 juillet de 1880 à 1914. Record toutes catégories : la messe du pape Jean-Paul II en 1997 devant plus d’un million de fidèles lors des Journées mondiales de la jeunesse. Suite aux attentats, le Téléthon de 2015 y a aussi été délocalisé.

L’histoire de Vincennes présente aussi deux originalités : la fête nationale de 1920 présidée par Pétain et le festival aérien Paris Air Folies en 1988. Le sport s’est aussi invité sur les champs de courses. ParisLongchamp est lié de près à la « petite reine » et particulièrement au Critérium des As, remporté quatre fois par Louison Bobet et Jacques Anquetil après la guerre. Aujourd’hui, l’anneau cyclable de Longchamp (3,6 km) serait encore le « segment vélo » le plus emprunté de France avec 13 millions de kilomètres de coups de pédales annuels.

BAIN DE FOULE ET DE STARS À L’HIPPODROME JEAN-GABIN
Perce-Neige ou l’heureuse rencontre des courses et des stars pour la bonne cause. Sensible au combat de son grand ami Lino Ventura, Jean Gabin a ouvert grand les portes de son hippodrome à Moulins-la-Marche, dans l’Orne, à cette fondation d’aide aux personnes handicapées créée en 1966. Au profit « des enfants pas comme les autres », comme disait Lino, concerné par la maladie de sa fille Linda. Michèle Morgan, Platini, Delon, Serrault, Brasseur, Sardou, Aznavour... De 1987 à 2007, tout le gratin du showbiz avait pour habitude de s’y réunir une fois par an pour la journée de gala Perce-Neige. Point d’orgue de ce déferlement de stars : 12 000 personnes pour la venue de Johnny en 2004. Ce jour-là, la foule est massée derrière les barrières pour voir apparaître « l’idole des jeunes » en hélicoptère, piloté par son ami Michel Drucker. « Record pulvérisé », apprécie alors Mathias Moncorgé, fils du « Pacha » et président de la société des courses de l’époque. Ce jour-là, 110 000 euros seront misés. Signées de grands noms comme Uderzo, Moebius ou Jean Marais, les affiches « Perce Neige », souvent dédicacées par les stars présentes, avaient de leur côté beaucoup de succès. En plus des recettes des affiches, une partie des bénéfices des ventes de polos, casquettes et autres objets, étaient reversés à Perce-Neige. « Bouton d’or, toque lilas ». Ainsi Jean Gabin décrivait-il les couleurs de son écurie d’une quinzaine de pur-sang à « la Pichonnière ». Un domaine où, à l’aube de ses 50 ans, il réalisa son « rêve de gosse » en 1952 : devenir agriculteur. Audelà de la « Moncorgerie », il y éleva près de 300 bovins et fit donc bâtir à deux pas « un hippodrome avec sa tribune et ses buttes naturelles, offrant un beau panorama sur le Perche », rappelle la mairie. En 1989, l’hippodrome servit de théâtre à une scène du film « Ripoux contre ripoux ». Acteur lui aussi des courses, Mathias Moncorgé en est l’héritier. Il y a quatre ans, il a émis l’hypothèse de céder l’enceinte au Département de l’Orne, mais l’idée semble « au point mort », selon Serge Huot, président de la société des courses du Perche. En attendant, les trois à quatre réunions annuelles restent très courues par « 2 000 à 3 000 spectateurs en moyenne ». En sus d’un prix Lino Ventura, les courses portent le nom de films de Jean Gabin. Et à deux pas, la Maison Perce-Neige poursuit le combat du célèbre duo.

12 000 PERSONNES POUR LA VENUE DE JOHNNY EN 2004