par Olivier Villepreux
Les spécialistes de l’IA ont fait leur apparition dans l’encadrement sportif. Son utilisation dans le rugby va, par exemple, de la préparation physique des joueurs à la construction d’une décision de l’entraîneur.
Les données chiffrées sont consubstantielles au sport. Elles constituent un attrait supplémentaire au seul résultat d’une course ou d’une compétition pour le public comme pour ses acteurs. En ne considérant que la seule notion de « record » (apparue dans l’athlétisme masculin en 1914), elle a permis de créer des standards (des minimas, des temps qualificatifs) mais aussi d’examiner plus précisément comment et pourquoi un athlète était plus performant qu’un autre dans telle circonstance, ou sur un plus ou moins long terme.
Le travail de collecte de données ne date donc pas d’hier, mais l’interprétation de celles-ci a, dans le temps, donné lieu à des versions très différentes selon qu’il s’agisse d’exploiter des statistiques pour créer une stratégie, notamment dans les sports collectifs, ou de décortiquer une performance pour tenter de la reproduire, par un entraînement s’inspirant d’une gestuelle, ou de la préparation particulière d’un autre athlète.
L’humain, en dépit de l’abondance des sources d’informations, capteurs, images, chiffres, données médicales, demeure encore maître de la préparation d’un athlète ou d’une équipe, même si l’IA est entrée dans le sport aussi rapidement qu’elle répond à des questions. Attention, cependant, comme le dit Saad Drissi, responsable de la data pour l’équipe de rugby du Stade Toulousain, « le contexte conditionne l’utilisation des processus algorithmiques ».
Dans un sport collectif comme le rugby, on peut distinguer deux utilisations possibles. « D’abord ce qui peut aider à la préparation physique, sa planification, la prédiction de charge de travail. On parle beaucoup de prévention de blessure grâce à l’IA, mais la blessure, par nature, ne dépend pas de l’IA. Alors, on intègre certains algorithmes qui peuvent nous intéresser. Cela fait trois, quatre ans qu’on l’utilise en ce sens. La bonne utilisation de l’IA est en réalité très complexe, le champ est vaste et, donc, l’idée est de tester ». Beaucoup d’entreprises vendent des systèmes « révolutionnaires » mais ils ne le sont pas. « L’IA peut aider à déceler des tendances, mais à une semaine ou un jour près, il est impossible de prévoir la moindre blessure. En fait, on continue à croiser des données, lesquelles sont toujours plus importantes ». Dans le domaine de la santé/performance, des paramètres échappent toujours aux calculs. « L’hygiène de vie, le contexte familial, affectif, sont difficiles à faire entrer dans des modèles. Aucun algorithme ne le permet ». L’IA est donc un outil de plus au service du sport, mais la machine ne prend toujours pas de décision. « Par exemple, on peut essayer d’obtenir des informations à partir d’un chatbot mais comme on n’a pas une confiance totale, on vérifie humainement. Là, on voit si des choses coïncident ou pas. On essaie d’humaniser l’examen et, c’est là que réside toute la beauté de la performance. On monitorise de plus en plus, mais la performance se mesure encore par la victoire, tandis que nous n’avons pas accès à la psychologie d’un joueur à un instant T. L’homme conserve sa place centrale pour son entourage et dans ces process ».
Le deuxième aspect est relatif au travail collégial qui implique les spécialistes des datas, les analystes vidéo et les entraîneurs qui formulent des demandes sur des sujets précis. Notamment, sur la stratégie collective mais aussi sur le rendement d’un joueur au sein de ce collectif. « Notre travail est de croiser toutes ces informations, de filtrer tous les va-et-vient entre coachs, analystes vidéo et des datas pour produire une réponse la plus fine possible aux entraîneurs ». En fait, les trois visions d’un même problème sont généralement complémentaires. Ou les trois visions vont dans le même sens, soit c’est nuancé et, à la fin, c’est toujours l’entraîneur qui tranche. « Et le staff ne montre pas tout aux joueurs, il ne faut pas les noyer d’infos, on en garde une, deux, ou trois, maximum. Imaginez que l’on traite quelque 300 paramètres par match et que si vous multipliez cela par le nombre de matchs dans la saison, obligatoirement, à la fin, seules nos conclusions les plus pertinentes en ressortent. On fait un travail de filtrage. Les coachs ne se focalisent jamais sur plus de deux ou trois éléments. Et c’est là que la pluridisciplinarité des staffs est primordiale pour arriver à filtrer et donner une réponse fine ».
Est-ce que les joueurs s’intéressent à l’IA et à ce qu’elle peut leur apporter sur un plan personnel ? « L’ensemble des joueurs est désormais familiarisé à l’IA. Évidemment, les joueurs s’y intéressent du point de vue de leur performance. Ils aiment bien avoir des retours de données sur le temps d’un match, mais l’idée n’est pas de savoir si un tel a couru plus que les autres mais d’établir en quoi il a servi le collectif. Ça c’est notre travail. Sinon, on se plante. Surtout, il ne faut pas que les joueurs manipulent les chiffres eux-mêmes, ils pourraient, par exemple, considérer qu’ils ont performé physiquement alors que dans le jeu ils ont été inefficaces. Nous, ce qui nous intéresse, c’est la performance du collectif ».