Par Céline Gualde
Dans une vie antérieure, Pierre Laperdrix était journaliste hippique. À cette époque, le programme des courses lui semblait être d’une simplicité biblique. Il suivait les jeunes chevaux prometteurs depuis leur éclosion jusqu’à leur sacre dans le « Diane » ou « l’Arc », relatant leurs exploits. Mais Pierre Laperdrix a changé de casaque et intégré l’institution des courses en février 2017. Depuis, sa vision des choses a radicalement changé !
« En tant que journaliste, je ne traitais que les épreuves ayant un enjeu sportif élevé sans mesurer le volume énorme des courses inscrites au calendrier. C’est ce qui m’a interpellé à mon arrivée chez France Galop ! Le programme doit être établi aussi bien pour les entraîneurs de chevaux dits « classiques », qui gèrent un effectif important et de grande qualité, que pour d’autres acteurs ayant des chevaux d’un niveau moindre. Les meilleurs sujets doivent avoir un programme leur permettant de progresser jusqu’au plus haut niveau, mais il faut qu’en parallèle, tout cheval à l’entraînement trouve des courses qui lui conviennent. Notre mission est d’agir pour l’intérêt général ».
Dans un environnement contraint où les réunions françaises et étrangères sont nombreuses chaque jour, la moindre petite brique du programme doit être déplacée ou façonnée avec précaution (voir par ailleurs l’illustration sur la journée du Prix du Jockey Club).
Le distingo entre calendrier et programme
Pour commencer, il ne faut pas confondre programme des courses et calendrier, explique Pierre Laperdrix, qui s’appuie sur une équipe d’une dizaine de personnes chez France Galop, dont Stephan Kalley pour l’obstacle et David Aelion pour le programme régional. « Le calendrier des courses, c’est quel hippodrome court quelle journée. Le calendrier français est très spécifique, car il est partagé entre deux sociétés mères, France Galop et Le Trot, et trois disciplines. Le programme des courses désigne l’ensemble des épreuves qui composent une réunion de courses ».
Il existe ensuite une hiérarchie entre les types de réunion, Premium ou PMH. « Les réunions Premium sont celles qui financent le système. Elles sont équitablement partagées entre le Trot et le Galop et placées en premier au calendrier avec un créneau horaire désigné ». Le reste du programme se tisse autour de la réunion Premium. « Ce calendrier est soumis aux autorités de tutelle au mois de novembre de l’année N-1, poursuit Pierre Laperdrix. Une fois validé, il n’est modifiable qu’en cas de force majeure, si un hippodrome est dans l’incapacité d’accueillir la réunion prévue par exemple. Une fois le calendrier gravé dans le marbre, il nous reste à construire le programme ».
La France est un cas à part, le seul pays où une course événement se déroule chaque jour -le pari Quinté+ pour le PMU. « À Hong Kong par exemple, il n’y a que deux réunions par semaine, deux hippodromes et une seule discipline, le plat. Ils n’ont pas d’élevage local, donc pas de programme de sélection à établir. Il n’y a pas non plus de courses pour les inédits, seulement pour les chevaux aguerris et prêts à courir. Calendrier et programme sont donc bien plus faciles à monter qu’en France où nous devons mener de front une mission de sélection et une autre d’animation du territoire ». Car les courses sont dispatchées entre une multitude d’hippodromes, partout en France, et si elles ont été organisées sous leur aspect moderne à partir de 1833, c’est bien pour « encourager l’amélioration des races de chevaux en France ».
Les réunions PMH (Pari Mutuel Hippodrome, celles où la prise de paris n’est possible que sur site) sont positionnées par les fédérations régionales. « Nous essayons de les guider afin que leur offre soit complémentaire à celle des réunions Premium et non concurrente. Chaque hippodrome se voit réattribuer le même nombre de journées que l’année précédente, on ne part pas d’une feuille blanche ».
Objectif optimisation
Il s’agit ensuite d’optimiser le programme pour favoriser les paris hippiques qui sont le nerf de la guerre puisqu’ils financent l’institution des courses. « On essaie de positionner les réunions les plus porteuses sur les meilleurs créneaux, quelle que soit la discipline. En France, l’une des données principales est le nombre de partants, car notre système de pari est basé sur les jeux de combinaisons et une course « creuse » engendrera moins d’enjeux ». Des études démontrent l’importance d’avoir huit partants au moins dans une épreuve, car ce huitième partant déclenche une bascule des enjeux qui grimpent de 40 % ! « Notre travail consiste à ajuster l’offre de courses et à éviter la concurrence géographique », conclut Pierre Laperdrix. Les chevaux sont en effet bien plus mobiles qu’avant. Il y a quelques décennies, « monter à Paris » était une aventure pour un cheval de province. La mobilité des chevaux est une révolution qui complique la tâche des responsables du programme : « Il y a quarante ans, les chevaux bénéficiaient d’une remise de poids pour aller courir en région parisienne, ils faisaient carrière dans leur fédération. Aujourd’hui, ceux qui sont entraînés à Royan courent à Paris et les entraîneurs de l’Ouest engagent à Strasbourg ! Nous devons être particulièrement pertinents au sujet des courses sensibles en termes de partants, car une épreuve à Lyon entre en concurrence avec une autre du même type à Saint-Cloud ». Enfin, les équipes de Pierre Laperdrix ne sont pas seules décisionnaires pour les courses « black type ». Si l’une d’entre elles doit être rétrogradée ou déplacée, ils consultent le Comité français des courses principales, composé de neuf membres – entraîneurs, éleveurs, racing managers... Le Conseil du plat, dont le tour de table est moins resserré, se réunit quatre fois par an. Il a son pendant pour l’obstacle. Dans les deux disciplines les décisions concernant les courses les plus importantes doivent être entérinées par le Conseil d’administration de France Galop.
Les multiples défis du calendrier d’obstacle
La mission de Stephan Kalley, responsable du programme d’obstacle, est d’une complexité extrême. Le commerce autour des chevaux d’obstacle, souvent exportés dès qu’ils ont démontré leur qualité en piste, ne l’aide pas dans sa tâche. « Le profil des propriétaires n’est plus celui d’il y a cinquante ans, quand nous avions des chevaux « captifs » qui n’étaient jamais à vendre. Aujourd’hui, pour faire tourner une écurie ou un élevage, il faut parfois céder un bon cheval. On garde généralement les tout meilleurs éléments qui appartiennent aux grosses casaques, mais les chevaux de qualité intermédiaire sont souvent exportés. Dans les handicaps divisés, il manque donc le milieu de la première épreuve. On est obligé de faire « monter » des chevaux qui devraient être en seconde épreuve. La course qui a le plus de partants est choisie comme support du Quinté+ ». Le calendrier d’obstacle est bâti en partant des programmes d’Auteuil et de Compiègne. Le niveau régional suit.
Stephan Kalley se heurte à deux autres écueils dans sa quête de partants. La première : les chevaux d’obstacle ne peuvent pas courir trop fréquemment, ils foulent les pistes moins souvent que les chevaux de plat. La seconde : il n’est pas évident d’attirer les candidats étrangers sur le steeple d’Auteuil, alors qu’ils sont nombreux sur la piste de ParisLongchamp : « Les obstacles d’Auteuil sont bien particuliers. Un cheval de Pau ne s’y adapte pas forcément. Le profil du parcours est encore plus déroutant pour les concurrents britanniques ».
Mais le plus gros chantier actuel de l’obstacle est celui de la saisonnalité, les évolutions climatiques rendant de plus en plus aléatoire l’organisation de courses sur l’herbe en été. Auteuil a déjà décalé sa saison, rouvrant ses portes dès le 15 février pour les clore le 31 mai au lieu du 25 juin. « Nous avons fait un gros travail sur le programme parisien. En région, de nombreux hippodromes sont pluridisciplinaires donc il faut que le Trot valide les changements de date, on ne peut procéder que par petites touches », souligne Stephan Kalley. Et les sociétés de courses sont attachées aux dates qui leur sont attribuées parfois depuis des décennies...
Enfin, le programme d’obstacle s’adapte le plus possible à la demande : « Si on constate une pression sur les courses d’inédits de trois ans par exemple, on fait en sorte d’y répondre l’année suivante ». L’une des évolutions majeures de ces dernières années est le développement des épreuves réservées aux femelles, valorisées dans les réunions Premium par une prime de 15 % aux propriétaires. L’idée est d’inciter à conserver les femelles à l’entraînement et, in fine, d’améliorer la qualité des poulinières et de l’élevage français.
Dans les coulisses du calendrier des courses
Pour formaliser le calendrier des courses, Pierre Laperdrix et son équipe utilisent le logiciel Calpin, créé par les équipes de France Galop. La SETF possède des accès pour l’utiliser et le consulter, tout comme d’autres membres de l’institution des courses.
Cette capture d’écran de la journée du Prix du Jockey Club, le 1er juin 2025, est un parfait exemple de la densité et de la complexité du calendrier.
Pierre Laperdrix, qui nous a transmis ce document de travail, l’a également détaillé pour Galorama :
« La journée du 1er juin comporte
• 4 réunions Premium françaises : Chantilly, Chartres, Reims & La Roche Posay (Trophée Vert) qui propose 1 course Premium
• 2 réunions Premium étrangères : Baden-Baden & Duindigt
• 1 réunion CSI* française : Dax
• 1 réunion CSI* étrangère : Maronas
• Les autres réunions sont des réunions PMH françaises
Le calendrier Premium, France et étranger, est réalisé par les Sociétés Mère (France Galop & La SETF). Le calendrier PMH est à la main des Fédérations régionales qui peuvent prendre des recommandations auprès des Sociétés Mères pour l’établir ».
Les noms de courses, entre tradition et poésie
France Galop « baptise » les courses disputées sur les hippodromes de ParisLongchamp, Saint-Cloud, Deauville, Clairefontaine et Chantilly selon un modus operandi bien établi. « Pour les épreuves courues à ParisLongchamp, les noms sont liés à Paris et à sa banlieue, explique Pierre Laperdrix. À Saint-Cloud on a des noms évoquant les Yvelines et les Hauts-de-Seine. À Chantilly, ils sont inspirés de la forêt, des allées cavalières, de l’Oise... À Deauville, on a beaucoup de noms relatifs à la Normandie ». Lorsqu’une course est déplacée d’un hippodrome à l’autre, son nom ne suit pas, sauf s’il s’agit d’une épreuve de niveau Listed ou Groupe.
Les calendriers de Chantilly et de Deauville se sont beaucoup densifiés avec le développement des courses sur la PSF. Pierre Laperdrix a donc dû faire appel à son imagination pour baptiser ces nouvelles venues ! « Je fais des recherches. J’ai réalisé qu’il n’existait pas encore de Prix du Mont-Saint-Michel et j’ai donc attribué ce nom. S’agissant d’un handicap divisé, j’ai ensuite décliné les noms évoquant le Mont : Prix de la statue de l’archange par exemple, ou de la Maison de la Truie qui file... »
Les propositions de noms de personnes -anciens jockeys, propriétaires, entraîneurs... doivent être validées par le Conseil d’administration de France Galop. Concernant les noms de chevaux, les ex-stars des hippodromes sont nombreuses à avoir une course à leur nom, en obstacle notamment. Mais attention, pas de publicité déguisée ! Si les propriétaires d’un étalon en exercice souhaitent donner ponctuellement son nom à une course, ce sera dans le cadre d’un partenariat/d’un sponsoring.
L’European Pattern Committee, autorité supérieure du plat
Chaque changement qui touche une course de sélection de plat (niveau Listed et au-dessus) fait l’objet d’une demande aux membres de l’EPC (European Pattern Committee) pour être examiné lors de sa réunion plénière de début d’année.
L’EPC, créé en 1971, a un rôle de régulation des courses de sélection en Europe. La France est l’un de ses membres fondateurs. Les changements les plus impactants sont discutés et doivent se faire dans l’intérêt général du programme de sélection à l’échelle européenne. Il serait par exemple impensable de placer un Groupe 1 concurrent aux Prix du Jockey Club ou de l’Arc de Triomphe dans un autre pays européen.
L’EPC édite également les règles de rétrogradation des courses de sélection si celles-ci n’atteignent pas le rating requis (donc si les chevaux qui la disputent ne sont globalement pas du niveau attendu).
Le Comité Français des Courses Principales a été créé en 2024 (pour le Plat). L’Angleterre et l’Irlande en ont un également. Son objectif est de soumettre des propositions qui seront ensuite poussées au sein de l’EPC. Il n’existe pas d’équivalent pour l’obstacle..