Retour vers le futur N°7 Avril 2025 | Reportage : LA SILICON VALLEY DU CHEVAL

LA SILICON VALLEY DU CHEVAL

Par Céline Gualde

Le 17 juin 2025 sera un grand jour pour Normandie Équine Vallée : à Goustranville, près de Caen, on inaugurera en grande pompe le nouveau campus, dernière étape d’un vaste projet lancé par les collectivités locales dès 1986. L’ambition est immense : faire de la Normandie l’épicentre mondial en matière de formation vétérinaire et de recherche équine.

On a du mal à suivre Céline Mespoulhes-Rivière dans les larges couloirs du Centre Hospitalier Universitaire vétérinaire de Goustranville, où elle exerce. La responsable du pôle médecine-chirurgie marche vite et parle beaucoup, intarissable au sujet de cet hôpital équin dont elle a suivi la genèse. Elle précède les visiteurs de salle en salle, détaillant le plan de circulation des chevaux dans ces locaux conçus pour optimiser la sécurité sanitaire, fière de dévoiler les équipements de pointe dont l’endroit est doté. L’hôpital, ouvert début janvier, est encore loin de fonctionner à plein régime. Le but est, in fine, de recevoir deux mille cinq cents chevaux par an sur le site de Goustranville tout en remplissant une mission d’enseignement et de formation.
« Si je dois faire ma liste au père Noël, comment je la formule ? », c’est la question que le 
Dr Mespoulhes-Rivière, autrefois basée à Maisons-Alfort, s’est posée avant d’imaginer ce nouvel hôpital. « Le projet a été initié fin 2015. Durant plus de deux ans, nous avons planché sur la programmation, c’est-à-dire la liste de tous nos besoins. Ce cahier des charges a été transmis à l’architecte qui a mis deux ans à élaborer les plans définitifs. Deux années de construction ont suivi ».
Les travaux n’ont pas été menés à l’économie : les espaces sont vastes et les boxes équipés de treuils.  Toutes les salles d’examen ou de chirurgie sont munies de caméras et d’écrans afin que les étudiants n’en loupent pas une miette. Les élèves de l’École vétérinaire de Maisons-Alfort désireux de se spécialiser dans le cheval termineront en effet leur cursus en Normandie. Certains sont déjà là, en éclaireurs, l’ambition étant, à terme, d’accueillir cinq cents étudiants internes ou résidents chaque année. Des logements ont été construits pour les accueillir ainsi qu’un amphithéâtre connecté de cent cinquante places.
Hervé Morin, président de la Région Normandie, est persuadé que toutes les écoles vétérinaires françaises imiteront bientôt Maisons-Alfort et investiront le campus normand. Le site de Goustranville a déjà prévu de pousser les murs en achetant une trentaine d’hectares supplémentaires le long de l’autoroute A13. De l’espace pour construire éventuellement d’autres logements et laisser la place à de nouveaux projets...
 

Quarante ans de travaux
Le chemin parcouru depuis l’achat d’une simple propriété agricole en 1986 est impressionnant. Le bâtiment historique de cette ferme trône toujours au cœur d’Équine Vallée, maison désuète cernée par les bâtiments modernes fraîchement sortis de terre. L’Institut de Pathologie du Cheval, avec sa salle d’autopsie, a été le premier à s’implanter sur le site, suivi par le CIRALE (Centre d’Imagerie et de Recherche sur les Affections Locomotrices Équines) en 1999, puis par Kinésia, centre de physiothérapie et de rééducation fonctionnelle en 2020. Sa piscine équine munie d’une fosse d’observation, qui permet d’étudier les mouvements du cheval, est unique au monde.
Simultanément à la construction du centre hospitalier universitaire vétérinaire, les laboratoires de l’Anses ont été agrandis, comme ceux du site de Saint-Contest avant eux. Pour Guillaume Fortier, directeur général de Labéo, « Normandie Équine Vallée est le plus gros cluster de recherche au monde. Les quatre entités Anses, Cirale-École nationale vétérinaire de Maisons-Alfort, Labéo et Biotargen, sont rassemblées au sein du Groupement d’Intérêt scientifique CENTAURE. Une centaine de chercheurs sont à l’œuvre, dont dix-huit directeurs de recherche, la plus haute qualification dans la profession ».
L’épidémiologiste Aurélie Merlin, responsable de l’équipe parasitologie digestive de l’Anses, souligne qu’il y a « de plus en plus de connections entre les structures, une mutualisation des connaissances et des ressources ». Ingénieure de recherche, cette jeune femme brillante travaille sur le sujet épineux des résistances aux vermifuges - l’une des problématiques majeures du monde de l’élevage. Un exemple parmi bien d’autres des chantiers scientifiques en cours au sein d’Équine Vallée...
« Un écosystème comme Normandie Équine Vallée n’existe nulle part ailleurs dans le monde, affirme Hervé Morin. L’argent public investi attirera des investissements privés. De soixante-huit permanents sur le site en janvier, on passera bientôt à cent-vingt. Normandie Équine Vallée va être un booster économique ».
Plus d’une centaine d’entreprises, à 80 % locales, ont travaillé sur la dernière tranche du chantier. Le site de Goustranville s’enrichira, dans les jours qui viennent, d’un « lieu de vie » comprenant une pépinière d’entreprises, des espaces de co-working, une salle de sport, un foyer de restauration... de quoi renforcer l’âme de Normandie Équine Vallée. 

 

Un projet, deux sites


Normandie Équine Vallée est un syndicat mixte créé en 2010 par la Région Normandie et le département du Calvados.
Le site de Goustranville, historiquement propriété de la Région, accueille le nouveau Centre Hospitalier Universitaire Vétérinaire Équin mais aussi le CIRALE, centre de référence mondialement reconnu pour l’étude des troubles locomoteurs et des causes de contre-performances chez les chevaux de sport et de course. Le Centre de santé animale de l’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail) où sont pratiquées les autopsies y est basé aussi, de même qu’une unité de recherche du laboratoire dévolu à la lutte anti-dopage de la Fédération Nationale des Courses Hippiques. Le Conseil des Chevaux et le Comité Régional d’Équitation de Normandie emménageront bientôt à Goustranville, ainsi que le Pôle Hippolia.
Le site de Saint-Contest, distant d’une trentaine de kilomètres, quant à lui, appartenait historiquement au département du Calvados. Inauguré en 2016, il est dédié à la santé équine et aux biotechnologies. Cette plateforme vient de bénéficier de grands travaux d’agrandissement. Elle accueille Labéo mais aussi Biotargen, unité de recherche de l’université de Caen, le RESPE (Réseau d’Epidémiosurveillance en Pathologie Équine) et des start-ups dédiées à la biosécurité et à la génétique équine. 

 

Labéo, un pôle de recherche 
au cœur de la filière équine

De Labéo, les éleveurs connaissent généralement le logo imprimé sur les feuilles de résultat des tests d’artérite et de métrite effectués avant une saillie. Mais ce GIP (Groupement d’Intérêt Public) basé à Saint-Contest, l’un des deux sites de la Normandie Équine Vallée, a bien d’autres missions dans le monde du cheval et au-delà.
L’analyse de l’eau potable et celle des eaux de baignade en Normandie ? Réalisées par Labéo. Idem pour celles de la centrale nucléaire de La Hague. Même les coquilles Saint-Jacques pêchées dans la Manche passent au crible de ce laboratoire avant de finir dans nos assiettes. Labéo gère également les analyses sanitaires de deux millions de bovins par an et de cent mille chevaux. C’est le laboratoire où sont pratiqués les tests de filiation de tous les stud-books. C’est là aussi que les échantillons de virus responsables d’épizooties sont envoyés pour analyse afin qu’on puisse leur opposer les traitements les plus efficaces. La branche équine est importante pour Labéo, mobilisant une soixantaine de personnes, dont treize à temps plein pour sa seule activité de recherche. Parmi eux, trois directeurs de recherche rattachés à l’université de Caen.
Labéo, le pôle d’analyse et de recherche interdépartemental de Normandie, a été créé en 2014 en fusionnant les laboratoires préexistants du Calvados, de la Manche et de l’Orne. Les racines sont anciennes puisque le laboratoire de bactériologie du Calvados a été fondé dès 1896 ! Le docteur Guillaume Fortier est directeur général de Labéo depuis l’origine, mais aussi vétérinaire conseil de la Fédération des éleveurs du galop. « Labéo compte quatre cents salariés. Le laboratoire de l’Eure nous a rejoints en 2017. L’activité équine a débuté entre les deux guerres mondiales avec les chevaux de travail. Nous sommes aujourd’hui un laboratoire intégré à la filière, à son service pour améliorer l’élevage, la sélection et la santé des animaux. C’est notre fierté ! »
Un million d’euros est consacré à la recherche pour l’axe santé équine chaque année. Les thématiques ciblées sont multiples autour des maladies bactériennes (la gourme entre autres) et virales (grippe et rhinopneumonie en fers de lance), mais aussi l’asthme du cheval...
« Depuis plus d’un an, nous développons une approche génomique des maladies du cheval avec une très grosse unité de séquençage qui emploie huit personnes à plein temps, explique Guillaume Fortier. Aujourd’hui, on est capable de décoder l’ADN d’un cheval en deux heures ! Nous étudions les résistances génétiques à certaines maladies. Concernant les myosites par exemple, on va prendre un groupe de chevaux qui en font et un autre de chevaux qui n’en font pas. On va observer si les signaux sanguins sont différents d’un cheval à l’autre : il y a environ sept mille molécules distinctes dans le sang d’un cheval, certaines sont-elles spécifiques au groupe de chevaux atteints ? Le savoir permettrait de créer des outils de détection précoce ». Un test de dépistage des résistances à la rhodococcose, l’une des maladies les plus graves des poulains, est en cours d’élaboration. L’idée est de créer des outils de dépistage commercialisables, au service des éleveurs.
Le plateau technique extraordinaire de Normandie Équine Vallée attire également des chercheurs étrangers. Un jumelage a été signé avec le Hidaka Training and Research Center d’Hokkaido de la JRA (Japan Racing Association) au Japon. « La JRA est un organisme hyper puissant au plan mondial, et elle nous a envoyé un chercheur post-doctorant qui travaille sur une molécule et a besoin d’une de nos machines pour valider son protocole, détaille Guillaume Fortier. En retour, les Japonais vont nous aider pour la piroplasmose, maladie sur laquelle ils ont une réelle expertise. C’est un partenariat gagnant-gagnant ! ».