Retour vers le futur N°7 Avril 2025 | A LA UNE

RETOUR VERS LE FUTUR

L’IA, UNE RÉVOLUTION EN MARCHE DANS LE MONDE DES COURSES

Par Serge Okey

Comme d’autres disciplines, le monde des courses est touché par le développement en masse des nouvelles technologies. Leur utilisation a déjà infusé la filière bien au-delà des simples trackings. On ignore si demain, l’IA sera capable de produire le cheval parfait, si les chevaux seront pilotés par d’autres mains que celles des jockeys, si les courses basculeront à terme dans un monde totalement virtuel. Encore que certains pans de sa recherche sont à la pointe du progrès, la France n’est pas leader en la matière, loin de là. Mais la révolution vient de sortir des stalles de départ.

Et dire que ce n’est qu’un début… « L’IA va transformer tous les domaines dans un temps record », prédit Anne Bouverot, la grande prêtresse du Sommet international consacré à l’IA en février dernier à Paris. Symbole de ce virage XXL, ChatGPT ne serait qu’un balbutiant aperçu, un embryon de tous les progrès technologiques à venir.
Pour bien saisir le poids de cette révolution en marche, il convient de distinguer trois types d’intelligence artificielle. Celle d’aujourd’hui, dite « Narrow IA » (IA étroite), conçue pour accomplir des fonctions spécifiques. L’œuvre des Chatbot, assistants vocaux… Celle de demain, dite IA générale. Là, l’intelligence de la machine promet de se substituer à celle de l’homme de manière parfaitement autonome. Quant à après-demain, certains prédisent l’avènement d’une « Super IA », capable de surpasser l’intelligence humaine et dotée d’une propre conscience.
En attendant l’avènement, ou non, de ce destin digne de la série d’anticipation « Black Mirror », quel est le degré d’imprégnation actuel des nouvelles technologies dans les courses hippiques. Dans un webinaire publié fin janvier, Benoit Pasquiet, ingénieur à l’IFCE (Institut français du cheval et de l’équitation), fait un point assez global sur sa présence au gré de divers exemples : « Détection des asymétries et évolution de la cadence en matière de locomotion, suivi de trajectoire par une équipe Google lors du saut d’obstacle, extraction des images, reconnaissance faciale, superposition de deux galops pour les comparer, visualisation en 3D permettant de cerner l’entière morphologie du cheval, capteurs renseignant précisément sur les forces et mouvements… »
Le tracking prend place dans les écuries
ChatGPT l’affirme lui-même : la présence de la data dans le monde des courses est déjà « considérable » et celle de l’IA « en plein développement ». C’est ce qui ressort effectivement du dossier sur la question. Même si certains entraîneurs en sont déjà revenus, et d’autres s’y convertissent, en France ou à l’étranger, l’utilisation du tracking fait figure de vent nouveau dans les écuries. Les professionnels n’ont certes pas le nez collé à leur tablette, mais la mode est lancée. Incarné par Christopher Head et ses probants résultats, validé par la mestria de Joseph O’Brien, ce virage fait des émules, de Tim Donworth jusqu’à Stéphane Wattel.
La France n’est pas Hong Kong. Mais à son échelle, supérieure en nombre d’hippodromes, le pays s’équipe au petit trot. Depuis le Qatar Prix de l’Arc de Triomphe 2019, France Galop déploie le tracking sur ses hippodromes au travers de son prestataire McLloyd. Ces outils courent après une fiabilité optimale, mais le pli est pris.
Du côté des pistes de Chantilly, même constat. Les capteurs n’aiment guère l’humidité, se perdent parfois dans les radars des GPS, mais certains entraîneurs n’imaginent déjà plus s’en passer, tout comme certains propriétaires déjà accros aux courses. Rythme cardiaque, amplitude des foulées, étude des trajectoires… Oui, les dadas sont passés à la data.
En regard de places fortes motrices telles que les États-Unis, l’Australie, Hong Kong et le Japon, et maintenant l’Afrique du Sud, la France n’a pas été la plus rapide dans les boites de départ. Sans s’attarder sur les trackings, au pays de l’oncle Sam, le site du Jockey Club propose déjà l’équivalent de 30 000 noms aux éleveurs et propriétaires pour baptiser les nouveaux nés. Nom de code : Naming AI, comme Inspiration Artificielle.

Le mythe du cheval parfait
En matière de santé, les projets sont nombreux et hyper pointus. « En imagerie médicale et en recherche infectieuse, on est quand même à la pointe au Campus Normandie Équine Vallée, précise Guillaume Fortier, patron du laboratoire Labéo en Normandie. On a du retard sur le reste en France, mais la génomique devrait nous aider dans deux-trois ans à le combler ».
Du côté de l’élevage, plusieurs trains sont déjà passés. Mais les experts d’une start-up comme Fairway AI, spécialisée dans la Big Data et l’IA, séduisent déjà les compagnies d’assurance, éleveurs, propriétaires et courtiers via des rapports compilant des milliers de courses et ventes aux enchères. Nombre d’écuries sont déjà équipées de vidéosurveillance, branchées sur des mouvements inhabituels ou des changements de température pour certaines. On reste encore loin, très loin, de jouer les apprentis sorciers. Aucun outil n’est encore à même de faire naître le croisement du cheval parfait.
Certains professionnels suivent quand même du coin de l’œil un certain Bob Wilson, qui se prévaut d’avoir créé un algorithme capable de déceler les futurs champions passés par les ventes. Son appli Racing2 va même jusqu’à cartographier les mouvements de chaque yearling et deux ans prêts à courir. Comme pour les courses, cela fonctionne par un système de cotes jusqu’à 100. « La perfection est inaccessible, personne n’atteindra jamais un taux de conversion de 100 % en élite, convient-il, mais l’exploitation de la science des données et de l’apprentissage automatique peut nous permettre d’augmenter nos chances de trouver le bon cheval ».
Il y a aussi tout ce qu’on ne voit pas. En plein boom du métaverse, le PMU a investi dans ce monde virtuel en entendant y bâtir des hippodromes et piloter des courses en mode futuriste. L’affaire en est restée là, mais les paris sont de plus en plus connectés et des expériences de type Jockiz ou Eqwin, qui vient d’être vendu à une société américaine, en sont l’illustration. Dans le même temps, l’IA a aidé l’opérateur historique à optimiser ses horaires de Quinté+. De là vient le glissement des courses phares à 18 heures les jours d’été, tandis que pointe la perspective du « live beeting ».
En matière de pronostics, le rêve est vendu à tous les coins d’adresses IP. Il suffit d’ouvrir ses réseaux sociaux pour être abreuvé de sollicitations. « 350 000 courses analysées, 60 filtres », avance l’un, « analyse des cotes en temps réel » garantit l’autre. Beaucoup d’apprentis GPI - mais jusqu’à preuve du contraire, ce sont elles qui font les meilleurs coups. Même si de rares exceptions comme Billy Walters, le fameux « flambeur de Las Vegas », reconnu comme le plus grand parieur sportif de tous les temps, confirment la règle.

Du retard sur les sports leaders
Au regard des autres sports, les courses sont connectées, mais loin encore des virages pris en F1, au tennis, au basket ou en NFL. Aux États-Unis, les footballeurs américains sont reliés par des puces RFID à une trentaine de caméras autour du terrain. Lesquelles calculent 100 millions de positions sur le terrain pour prévenir les blessures (Digital Athlete). Outre-Manche, Liverpool utilise l’IA pour optimiser ses corners, la seule phase de jeu où les Reds ont dominé le PSG récemment. En rugby, un data scientist fait partie du staff de Fabien Galtier. Ses données décortiquent toutes les stratégies des adversaires du XV de France depuis 5 ans. Un virage qui va de pair avec le renouveau des Bleus. Sans parler du club de foot de Toulouse, qui recrute ses joueurs uniquement à partir de data, et de données arrosant 70 championnats dans le monde.
Qu’on soit convaincu ou non, le train de l’IA est lancé. La Matrix est dans la place et rien n’arrêtera le progrès. Pourvu qu’il soit bien encadré, ce qui était l’objet du grand Sommet de février, l’IA est déjà un sparring partner dans de nombreux sports, y compris les courses. « L’humain doit garder la main », prévient néanmoins la CNIL (Commission nationale de l’informatique et des libertés), tandis que la majorité des professionnels des courses interrogés, y compris parmi ceux qui ont déjà basculé, professent que « rien ne remplacera (totalement) l’œil humain ». Entre progrès et menace, le 14 mars 2023 continuera de faire date. C’est celle du fameux lancement de la nouvelle version de ChatGPT, déjà dépassée par DeepSeek. Celle que beaucoup de spécialistes entendent comme le début du « Big Bang » numérique. Le « hI hA » des courses.