Louis Baudron entraîne dans les trois disciplines : trot, plat et obstacle. Cette polyvalence peu commune est une tradition familiale, leg de son grand-père Jean-Pierre Dubois et de ses oncles Jean-Philippe et Jean-Etienne, qui ont tous trois gagné le Prix d’Amérique.
Le bureau de Louis Baudron est une immense pièce aux murs parés de boiseries, très haute de plafond et qu’une large cheminée réchauffe. Bien des patrons et des propriétaires terriens s’y sont isolés pour décider des orientations de leur élevage, depuis la création du haras par le dénommé Céneri Forcinal dans les années 1850. Parmi ces hommes... une femme, Camille Olry-Roederer, qui tint la maison de champagne du même nom et éleva ici, entre autres cracks, Jamin, né en 1953 et qui devint à cinq ans « le trotteur le plus rapide de l’histoire », avec une réduction kilométrique de 1’13’’6.
Chapelles et cousinades
Les méthodes d’entraînement des trotteurs et des galopeurs, qu’ils soient des chevaux de plat ou d’obstacle, sont évidemment bien différentes. Certaines techniques peuvent toutefois passer les frontières entre les disciplines.
CE QUI LES RASSEMBLE...
La mécanisation
Les trotteurs et les chevaux d’obstacle sont ceux dont l’apprentissage présente le plus de similitudes. Il s’agit d’abord de les « mécaniser » afin qu’ils assimilent parfaitement le mouvement du trot pour les uns, le geste à l’obstacle pour les autres. « On privilégie une piste assez ferme pour les jeunes trotteurs afin qu’ils se cadencent et prennent le jeu de jambes », précise Louis Baudron. Pour ces deux spécialités, il est beaucoup question de répétition dans l’entraînement.
Le travail de fond
Chez les chevaux d’obstacle comme chez les trotteurs, l’endurance et la capacité à s’oxygéner durant des parcours, généralement assez longs, sont des points essentiels. Certaines phases de leur entraînement se font donc sur de longues distances et à allure modérée, ce qu’on appelle au trot des « américaines ». En plat, un sprinter va fournir en course un effort en quasi-apnée et n’aura donc pas ce type de préparation. On travaille néanmoins beaucoup le cardio des « stayers », les chevaux de plat qui s’expriment sur des longues distances.
Le saut
Il est assez fréquent que les entraîneurs de trot fassent sauter leurs chevaux dans une arène, et pourtant ils ne les préparent pas à affronter le steeple ! « J’ai toujours vu mon grand-père faire cela, dit Louis Baudron, qui pratique cet exercice avec ses chevaux. Cela permet d’assouplir leur dos, de les dénouer. C’est également très bon pour leur moral de sortir de leur routine. »
L’Interval training
Il est plus fréquent chez les trotteurs, mais également pratiqué par certains entraîneurs d’obstacle, en Grande-Bretagne notamment. Il s’agit d’enchaîner efforts intenses et phases de récupération. Louis Baudron le pratique pour ses trotteurs sur une ligne droite en côte. « On monte à un train soutenu, puis on fait le chemin inverse gentiment afin que le rythme cardiaque redescende et on recommence. » Un exercice destiné à affûter la pointe de vitesse des chevaux qui ne se pratique pas en plat « car cela leur monterait à la tête ».
CE QUI LES DIFFÉRENCIE...
Le mental
« Un trotteur pardonnera les erreurs de son entraîneur, alors que chez un pur-sang de plat ou d’obstacle, elles resteront gravées à vie », affirme Louis Baudron. Le dosage du travail des galopeurs et la préservation de leur mental est l’une des clés de leur carrière, encore davantage que chez les trotteurs.
L’entraînement multi-phases
L’entraînement quotidien des trotteurs se fait fréquemment en plusieurs étapes : un jogging, puis un retour aux écuries où le cheval est dételé, peut souffler et uriner, avant une ou plusieurs phases de travail plus intense avec entre chaque une pose aux écuries. Cette pratique n’est pas de mise au galop.
L’assistance technologique
Les entraîneurs de trot sont adeptes des technologies modernes telles que l’usage du cardiofréquencemètre, alors qu’au galop (en France et en Europe, en tout cas) le ressenti des entraîneurs reste généralement plus empirique et basé sur leur « œil ». Toutefois, Christopher Head, dont les résultats ne sont plus à démontrer, utilise beaucoup ces aides à l’entraînement et étudie soigneusement ses relevés.
L’échauffement avant la course
Les trotteurs font des heats, ces phases de préparation que l’entraîneur ou le driver gère avant la course en fonction de chaque cheval : une ou plusieurs sorties en piste, avec un travail plus ou moins poussé sur la vitesse et parfois des ajustements dans le harnachement. Les chevaux d’obstacle sautent, pour certains, la haie d’essai avant de se rendre au départ, dans le cas contraire, la phase de petit galop jusqu’au lieu du départ est leur seul échauffement, de même que pour les chevaux de plat qui se rendent aux boites.
Les Rouges Terres sont donc un haras historique de l’Orne, acquis par Louis Baudron en 2006 alors qu’il n’avait que vingt ans, lui qui a remporté son premier Groupe 1 au trot en tant qu’entraîneur un an plus tard, le Critérium des quatre ans. Une victoire d’autant plus savoureuse que la lauréate, Pirogue Jénilou, était issue de l’élevage de son père Gilles, aujourd’hui décédé. Des photos de la championne ornent les murs du bureau de Louis, côtoyant Singalo, gagnant du Prix de Cornulier en 2013, Village Mystic, qui s’adjugea le Prix de Sélection 2013, ou encore la jument Draft Life, lauréate des Prix du Président de la République 2017 et des Centaures 2018... Autant de vainqueurs de Groupe 1 élevés mais aussi entraînés par Louis Baudron : « J’ai obtenu ma licence à tout juste dix-huit ans, avant même d’avoir le permis de conduire ! »
L’école des grands-pères
D’autres photos ont pris place sur les murs du grand bureau au fil des ans : celles des galopeurs et chevaux d’obstacle que Louis a élevé ou entraîné et qui ont fait briller sa casaque blanche, écharpe rouge, toque rouge à coutures blanches - une variante des couleurs historiques de l’arrière-grand-père Baudron dont la toque est unie rouge. « Mon grand-père, Jean-Pierre Dubois, m’a transmis cette curiosité des chevaux en général. Je l’ai toujours vu entraîner dans les deux disciplines et il avait chez lui, à une époque, les cracks sauteurs Kotkijet et Indien Bleu, entre autres... cela m’a marqué. Plus jeune, je rêvais de devenir jockey de plat, mais à quinze ans, j’étais déjà trop lourd ! J’ai beaucoup appris également de mon grand-père paternel, un homme de cheval exceptionnel. » Cet autre grand nom du trot, Roger Baudron, a remporté le Prix d’Amérique 1989 avec Queila Gédé, battant le favori Ourasi... Les deux grands-pères de Louis ont été de formidables, bien qu’officieux, maîtres d’apprentissage, « un peu comme à l’école du cirque », sourit-il. Avec Jean-Pierre Dubois il a beaucoup voyagé, aux États-Unis notamment, où celui que l’on surnomme « le chef » a une base. Comme lui, Louis est touche-à-tout et aventurier : n’est-il pas parti un an en Australie pour entraîner des galopeurs à Sydney ? « Il n’y a pas une discipline que je préfère, car ce que j’aime, c’est justement mêler trot et galop, même si en ce moment j’ai un peu moins de chevaux d’obstacle. Mais j’ai racheté beaucoup de poulains de mon étalon King Edward ! » Ce fils de Martaline a été élevé aux Rouges Terres, après que Louis a acquis sa mère Kotkari. « J’ai su que cette jument était à vendre, or elle était issue de la formidable souche Montesson, comme Kotkijet, un cheval qui a marqué mon enfance. J’ai marié Kotkari à Martaline mais elle est morte peu après le sevrage du poulain qui était King Edward. Il ne me restait que lui et j’en étais amoureux, je n’ai donc pas voulu l’entraîner moi-même, car je craignais de manquer d’objectivité. Je l’ai confié à Arnaud Chaillé-Chaillé. » King Edward a remporté le Prix Duc d’Anjou (Gr.3) sur le steeple d’Auteuil.
Tant de cordes à son arc
Le fait d’entraîner à la fois au trot et au galop est « une formidable ouverture d’esprit » selon Louis Baudron. « Ce sont des activités complémentaires et qui me permettent de rencontrer des personnes que je n’aurais jamais croisées sans cette mixité. » Le matin, il peut aussi bien mener un trotteur -surtout les jeunes, pour se faire une idée de leur potentiel- que monter un galopeur à l’entraînement, lui qui a été un excellent jockey au trot et a disputé des courses de gentlemen au galop. « Au Haras des Rouges Terres, les pistes de trot et de galop sont parallèles. De mon sulky, je peux observer les canters », explique-t-il. Louis aime également entretenir les pistes lui-même et suivre ses troupes depuis la cabine d’un de ses tracteurs. Très « signé » Jean-Pierre Dubois, il est insaisissable : « J’ai du mal à me cantonner à une activité, avoue-t-il. Lorsque j’étais gamin et que je partais avec mon grand-père, on ne savait jamais vraiment ce qu’on allait faire et cela me plaisait. J’essaie de ne pas avoir de journée type, car je déteste la routine. Je veux être libre d’aller faire le tour de l’élevage, aux qualifications, aux ventes... Je fais donc en sorte de n’être indispensable nulle part ! Pour cela je m’entoure de gens autonomes et capables, l’équipe étant composée d’une vingtaine de personnes durant l’hiver. » Louis Baudron a trente-huit ans aujourd’hui. Sa ressemblance avec Jean-Pierre Dubois est de plus en plus frappante, dans ce regard très bleu qu’ils ont en commun, mais surtout dans leur attitude, mélange de discrétion et d’assurance, de respect des racines et d’esprit pionnier épicé par une bonne dose d’anticonformisme. « J ’ai la chance de faire ce qui me plaît, conclut Louis. J’ai eu des facilités, je n’ai pas débuté en partant de rien, mais j’apprécie ce qui m’a été donné et surtout je ne veux pas le déprécier. Sportivement, j’aimerais toujours faire mieux. J’ai déjà remporté plusieurs Groupes 1 au trot, Groupe 3 en obstacle, Listed en plat... Mon objectif est de gagner Groupe 1 dans les trois disciplines en tant qu’entraîneur. » Un sacré challenge que Jean-Pierre Dubois lui-même n’a pas réussi !
Le pur-sang anglais est un « améliorateur » qui a été utilisé pour fixer les races de chevaux sportifs, qu’il s’agisse du trotteur français, du selle français ou de l’AQPS.
Le pur-sang anglais est lui-même issu de trois étalons fondateurs qui étaient des arabes, les « étalons premiers ». On ne connait pas avec certitude le pays de naissance de Byerley Turk, qui aurait vu le jour en 1680. Darley Arabian est né en 1702 en Syrie et Godolphin Arabian au Yémen en 1724. Darley Arabian fut acheté à deux ans par lord Thomas Darley, alors consul de Grande-Bretagne à Alep. Il est l’arrière-grand-père d’Eclipse, né en 1764, que l’on retrouve dans les pedigrees de quasiment tous les pur-sang anglais contemporains. En 1791, l’avocat James Weatherby jugea utile d’établir la généalogie de tous les chevaux participant aux courses anglaises. Il élabora donc la première mouture du « General Stud-Book » qui fixait leur pedigree et marquait la naissance officielle du pur-sang anglais.
La genèse Eclipse
Une étude autrichienne de 2013 a démontré qu’Eclipse, qui fit la monte près d’Epsom, en Angleterre, de 1771 à 1789, est présent dans le pedigree de 95 % des pur-sang du XXIe siècle mais aussi de 50 % des chevaux de sports équestres européens ! Le crack alezan, invaincu en dix-huit courses, a également marqué de son empreinte les trotteurs et les AQPS, puisque ces deux races sont issues de juments militaires ou de ferme, qui ont été croisées notamment à des pur-sang anglais pour affiner leur modèle et améliorer leur potentiel athlétique. En ce qui concerne le trotteur, ces mariages ont été faits à partir de 1830. Le premier tome du stud-book est publié en 1907 et le nom de « trotteur français », officialisé en 1922.
Prenons le cas de Jamin, le fameux crack né au Haras des Rouges-Terres en 1953 et qui remporta deux fois le Prix d’Amérique, en 1958 et 59, mais aussi l’Elitloppet et une multitude d’autres championnats, à commencer par la première édition du « Championnat du Monde », l’International Trot, à Roosevelt Raceway, près de New York, sur une piste de de 800 mètres, face aux meilleurs américains et à l’italien Tornese. Sa grand-mère maternelle, Gladys, était pur-sang, si bien qu’en remontant le fil des ascendants de Jamin, on retrouve plusieurs fois le nom d’Eclipse. Pour prendre une référence plus actuelle, Eclipse est l’un des ascendants de Kingman, le père de Sparkling Plenty, élevée par Jean-Pierre Dubois et lauréate du Prix de Diane 2024. Mais on le retrouve aussi plusieurs fois dans le pedigree d’Idao de Tillard, tenant du titre dans le Prix d’Amérique !
« ECLIPSE EST L’UN DES ASCENDANTS DE KINGMAN, LE PÈRE DE SPARKLING PLENTY, […] ON LE RETROUVE AUSSI PLUSIEURS FOIS DANS LE PEDIGREE D’IDAO DE TILLARD.