Rencontre avec Henri Bozo pour pousser l’exploration des problématiques de l’élevage, des courants de sang et des familles fondatrices. Au cours d’une interview, il dévoile l’histoire des « P », famille fondatrice de l’Écurie des Monceaux, et nous livre sa stratégie d’élevage.
Galorama. La famille de Prudenzia a particulièrement marqué votre élevage. Pouvez-vous nous présenter cette lignée ?
Henri Bozo. La famille des « P » représente énormément pour l’histoire de l’Écurie des Monceaux et pour son avenir. Platonic a fait partie des premiers achats lorsque je suis arrivé au haras et qu’il n’y avait pas encore de juments pour l’Écurie des Monceaux, qui venait d’être créée. À cette époque, on achetait beaucoup avec Lady O’Reilly et Patricia Boutin nous accompagnait pour sélectionner les juments. Le pedigree de Platonic comportait des courants de sang Classiques avec des chevaux performants sur les distances de 2 000 à 2 400m qui me plaisaient beaucoup comme Zafonic, Mr Prospector, Shirley Heights ou encore Darshaan. La jument possède également des particularités physiques de grande qualité : pas un grand modèle, pas trop puissant, mais très raffiné et près du sang. On l’a achetée sans savoir qu’elle deviendrait la famille fondatrice du haras. Elle était pleine de Dansili et nous a donné une pouliche que nous avons nommée Prudenzia . Nous l’avons gardée pour l’association afin de constituer notre patrimoine génétique. Elle est partie à l’entraînement chez Pascal Bary et a gagné le Prix de la Seine (Listed). C’était vraiment une pouliche magnifique et elle est devenue une superbe poulinière. C’est elle qui nous a véritablement permis de devenir le haras que nous sommes aujourd’hui, en mettant les Monceaux sur la carte, car personne ne nous connaissait au début. Elle nous a permis d’investir, de nous diversifier et de développer le haras. Nous avons gardé beaucoup de femelles de la lignée de Platonic , nous pensons que c’est le genre de famille que les gens recherchent. L’autre famille emblématique du haras est celle de Starlet’s Sister , qui nous a malheureusement quitté prématurément l’année dernière à l’issue de coliques, ne nous laissant qu’une seule femelle : Snowpark . Cette dernière est pleine de Siyouni pour la première fois et sera envoyée à Wootton Bassett cette année. Les autres femelles appartiennent toutes à Peter Brant.
« ON L’A ACHETÉE SANS SAVOIR QU’ELLE DEVIENDRAIT LA FAMILLE FONDATRICE DU HARAS.»
G. Quels sont les courants de sang de cette famille ?
HB. C’est une famille très facile à croiser. Platonic est par Zafonic et sa mère est par Darshaan. Ce sont des familles qui fonctionnent très bien avec les courants de sang de Dubawi et Galileo . Cela a été le principal succès du haras, avec le croisement de ces deux courants de sang mâles. On peut retrouver l’assemblage de ces courants avec Night of Thunder , que nous avons beaucoup utilisé récemment.
G. Quelle est votre stratégie pour le renouvellement de votre jumenterie ?
HB. Je pense qu’il est vraiment important d’être pro-actif dans l’élevage, (exergue) quelle que soit son échelle en nombre ou en valeur. Je pense qu’il faut se remettre en question chaque année. Nous vendons tous les ans cinq ou six poulinières qui n’ont pas atteint les standards que l’on recherche et en rachetons le même nombre. Nous essayons de plus en plus de développer une politique d’achat de yearlings femelles, car il me semble que c’est le meilleur moyen de se constituer une jumenterie haut de gamme. Aujourd’hui, si vous voulez acheter une bonne jument avec un bon pedigree, des bonnes performances et un beau modèle, ce n’est pas possible. Cela est réservé à deux ou trois acheteurs dans le monde qui se battent entre eux. Et puis, il y en a très peu sur le marché, contrairement aux yearlings femelles. La majorité des éleveurs vendent leur production, donc vous pouvez choisir parmi une grande offre. Mais il faut savoir les garder, même quand elles sont bonnes !
G. Comment sélectionnez-vous les étalons pour votre jumenterie et comment alternez-vous entre étalons confirmés et nouveaux étalons ?
HB. J’essaie d’aller au maximum à des étalons confirmés, c’est la base. Mais ça ne nous empêche pas d’utiliser des jeunes étalons régulièrement. La logique veut qu’on utilise des étalons confirmés pour des jeunes juments, pour gagner du temps.
Les plus vieilles juments peuvent quant à elles aller à de nouveaux étalons, soit des premières productions – des chevaux qui ont performé à haut niveau et qui ont un pedigree qui nous plaît - soit des étalons qui montrent le bout de leur nez – comme Hello Youmzain , par exemple, qui montre sa qualité de reproducteur avec ses premiers produits. Comme je n’aime pas croiser un étalon âgé avec une poulinière âgée, ces dernières vont plutôt aller à un jeune étalon.
G. Vous avez récemment fait des acquisitions aux ventes, que recherchiez-vous dans ces pedigrees ?
HB. Je recherche avant tout la qualité mêlant pedigree, performances et physique. Je suis assez attaché au pedigree, je crois beaucoup que les bons chevaux sortent souvent de souches. J’aime donc quand le pedigree comporte une souche qui parle, solide et qui ne tienne pas juste sur une jument ou sur un performer. Cette année, j’ai acheté 5 juments : une jument aux États-Unis, Elounda Queen , lauréate d’un bon Prix de Lieurey (Gr.3), en battant de très bons chevaux. Je l’aime beaucoup, elle a un pedigree très solide, elle est par Australia, qui peut être un très bon père de mère. Elle va à un étalon américain qui est en train d’exploser, Not This Time, avant de revenir en France. À Newmarket, nous avons acheté Deadly Nightsade , pleine de Wootton Bassett. Je me suis associé à monsieur Foucher pour cet achat et nous avons un peu cassé la tirelire, mais c’est une jument avec un pedigree fantastique, l’un des plus beaux du stud book à mon avis. C’est un peu la marque de fabrique de chez nous : acheter des belles juments avec des pedigrees, plutôt que de privilégier la performance. Nous avons également acquis les parts d’un associé sur une jument, Run Away , placée de Listed en France et gagnante en Angleterre, et qui est la propre sœur de Blackbeard. On trouve dans son pedigree des courants de sang différents, avec plus de vitesse et de précocité que ce qu’on a généralement ici aux Monceaux. Elle ira à Wootton Bassett. Nous avons aussi acheté une Sea The Stars, propre sœur de The Lion in Winter, qui est l’un des favoris du Derby d’Epsom cette année. Je suis associé à Jenny Bianco et Charles-Henri de Moussac sur cette pouliche et nous avons fait le pari de l’envoyer au Japon pour rencontrer Kitasan Black. Cela nous permet d’amener un nouveau courant de sang. Je suis très impressionné par les performances de l’élevage et de l’entraînement japonais, par leur rigueur, leur passion et leur détermination.
G. Quelle est votre analyse du parc d ’ étalons en France par rapport à l ’ Irlande ou l ’ Angleterre ?
HB. Nous avons pris beaucoup de retard par rapport à l’Irlande et l’Angleterre, mais il se comble petit à petit grâce à l’arrivée de structures dynamiques qui ont l’ambition de redonner à la France des étalons de haut niveau. Je pense notamment à Etreham, Sumbe, l’Aga Khan, Al Shaqab Racing ou encore Beaumont. Nous avons de la chance et l’élevage français étant hyper dynamique, je suis confiant dans l’avenir de l’étalonnage en France.
G. Vous avez de nombreuses juments sous syndicats , pourquoi ?
HB. Quand nous avons commencé ici il y a 15 ans, nous n’avions aucune jument, il a fallu acheter. J’avais un réseau composé de gens qui souhaitaient également investir et nous nous sommes associés plutôt que de nous battre sur les rings de vente. Cela nous a permis de répartir les risques, d’amener beaucoup de personnes dans l’aventure Monceaux et c’était formidable. Nous le faisons toujours, mais cela prend du temps et il faut faire attention à ne pas être trop dilué dans les associations. J’ai un peu modifié cela cette année, en essayant de garder la majorité des investissements. Nous avons, de temps en temps, de nouveaux partenaires, ce qui permet aussi de faire découvrir l’industrie à de nouvelles personnes et je trouve cela très intéressant. Ce n’est pas toujours évident de trouver des gens qui partagent la même vision, la même philosophie et la même stratégie que vous. Il faut réussir à bien gérer sans frustrer personne, il faut être raisonnable dans le nombre d’associés que l’on prend.
G. Quelle émotion ressent-on quand on réalise un top price à 7 chiffres ?
HB. Je mets beaucoup d’énergie dans les ventes, mais très honnêtement, cela ne provoque pas une émotion intense chez moi. J’ai la satisfaction du devoir accompli, du bon travail de toute l’équipe et je me réjouis pour les partenaires, mais ce n’est pas une fierté. C’est très important pour la viabilité de l’entreprise, car cela nous permet de réinvestir et je suis très content que cela marche bien, mais ce n’est pas le même sentiment que lorsque l’on gagne Groupe 1.
G. Quel moment de la saison vous procure le plus d ’ émotions ?
HB. La vraie émotion est de gagner une belle course, cela me met vraiment dans un état de joie intense. C’est l’aboutissement de ce que l’on fait tous ensemble, du travail assidu de l’équipe. Mais j’aime toutes les étapes de la saison, nous avons un métier qui est très vivant et c’est pour cela que nous sommes tous passionnés.
G. Sur l ’ aspect technologique , utilisez-vous des outils particuliers pour vous accompagner dans votre activité ?
HB. Je suis un peu vieille garde pour ça, je n’ai pas du tout la fibre nouvelle technologie, mais je me soigne ! Je suis conscient de cette lacune et j’essaie de m’entourer de gens qui le sont un peu plus. Pour les croisements, je travaille avec une personne qui vaut tous les ordinateurs du monde, qui s’appelle Camilla. On passe beaucoup de temps à échanger sur la pertinence des croisements, sur ce qui marche dans une famille, sur la complémentarité physique. On essaie de se challenger l’un et l’autre. Je suis très en demande de moderniser l’outil de gestion quotidien du haras pour faciliter les soins. Je pense que nous sommes arriérés dans le domaine et j’aimerais bien progresser sur cette partie, cela fait partie des bonnes résolutions de l’année. Mais je pense que nous avons un métier qui est beaucoup basé sur l’observation, sur le sens du cheval, sur le sens du détail des équipes. Ce qui n’empêche pas d’apporter un peu d’optimisation technologique.