Quiconque a consulté récemment un catalogue de ventes de yearlings est conscient des nombreux changements significatifs survenus sur le marché des étalons européens au cours des dix dernières années. Le plus évident, et dont les effets à long-terme restent incertains, est l’essor des « super books » de juments pour les étalons les plus populaires, et ce, dans toutes les gammes de prix. Parallèlement, il y a eu une évolution au sein des trois principaux pays d’élevage en Europe. L’Allemagne, en termes de quantité et non de qualité, ne représente plus aujourd’hui qu’un bas de page. Pendant environ trente ans, à partir du début des années 1980, les étalons basés en France suscitaient peu d’intérêt et n’avaient aucune importance sur le marché européen dominé, à cette époque, par les reproducteurs en Irlande et en Grande-Bretagne. Les termes ont évolué, et bien que toujours le plus petit des trois, la France a récemment compté plusieurs étalons d’importance, tout en investissant également pour sortir de futurs étalons. Le marché des étalons en Grande- Bretagne est quant à lui en déclin, notamment en raison des désavantages liés au Brexit. Cela est particulièrement vrai en termes de nombre, et même si les grands étalons de Juddmonte et Darley maintiennent temporairement le chiffre d’affaires, un déclin supplémentaire semble probable à court terme.
Des books de juments de plus en plus importants
Les étalons comptant un important nombre de juments font l’objet de débats depuis des décennies, mais ce qui évolue constamment, c’est la définition de « grand ». Lors du dernier boom de l’élevage au début des années 1980, les meilleurs étalons comptaient sur des prix de saillie très élevés en prix actuels, mais saillissaient des books de juments relativement faibles en comparaison avec nos standards actuels. Mill Reef, un grand cheval de course et un top étalon en Grande-Bretagne de 1974 à 1985, a produit un total d’environ 380 foals en douze années de carrière, soit une moyenne de 30 à 35 foals par an.
MILL REEF, A PRODUIT UN TOTAL D’ENVIRON 380 FOALS EN DOUZE ANNÉE DE CARRIÈRE. GALILEO, A QUANT À LUI PRODUIT PRÈS DE 2 600 FOALS EN 19 ANNÉES DE CARRIÈRE
Sadler’s Wells , entré au haras en Irlande en 1985 au tarif de 600 000 € (en valeur réelle actuelle), saillissait à l’époque un grand nombre de juments, avec une première génération comptant 52 foals (c’est hors de propos, mais comptabilisant six gagnants de Groupe 1, un pourcentage en succès impossible à imaginer aujourd’hui). Tête de liste des étalons européens, Galileo , le fils et successeur de Sadler’s Wells, a quant à lui produit près de 2 600 foals en 19 années de carrière en Irlande, pour une moyenne de 137 foals par an. Le prochain champion étalon qui arrivera à se maintenir au somment pendant autant d’années produira sans aucun doute encore davantage.
Les étalons les plus populaires saillissent des books de juments de plus en plus importants depuis des décennies, mais cette tendance s’est accélérée ces dernières années. En 2013, aucun étalon de plat européen ne comptabilisait 200 juments ou plus, et seulement 15 saillissaient 150 juments ou plus. En 2022, ces chiffres sont passés à cinq étalons saillissant plus de 200 juments et 42 comptabilisant plus de 150, pour un total au-delà de 11 000 juments à eux seuls. Aujourd’hui, les étalons les plus populaires produisent un grand nombre de poulains, de yearlings pour les ventes et de chevaux pour les courses. Mehmas a enregistré 207 foals en 2022, et parmi eux, 153 ont été catalogués aux ventes de yearlings et 159 ont déjà couru. Laissant de côté l’effet que peut porter sur la race pur-sang cette concentration sur le long terme, l’inbreeding apparaît dorénavant plus ou moins comme une nécessité plutôt qu’un choix, transformant d’ores et déjà le marché des étalons et de l’élevage.
Une époque dorée pour ceux détenant les meilleurs étalons
Les soixante-dix étalons ayant sailli cent juments ou plus en 2022 ont généré un chiffre d’affaires d’environ 400 millions d’euros. Ce chiffre n’est qu’une estimation pour donner une idée de la somme globale obtenue en multipliant le prix de saillie par 80 % sans prendre en compte le foal sharing ou les juments détenues par les propriétaires d’étalons. Les meilleurs étalons et les plus populaires génèrent des revenus pour leurs propriétaires de l’ordre de 30 à 40 millions d’euros par an. Si le boom actuel du haut du marché trouve une justification, c’est évidemment ici. Ce siècle s’est avéré être une époque dorée pour ceux détenant les meilleurs étalons, qui ont découvert non seulement qu’il était techniquement possible de saillir 200 juments ou plus chaque année, tout en conservant un taux de fertilité constant, mais également que le nombre de juments saillies n’a que peu ou pas d’impact sur le prix du service. Au cours des vingt-cinq dernières années, les tarifs des principaux étalons européens ont augmenté de 70 % en termes réels, tandis que le nombre moyen de juments saillies a progressé de 150 %. C’est ce qu’on appelle une situation gagnante-gagnante dans toute entreprise.
EN 2022, LA FRANCE REPRÉSENTAIT 19 % DES JUMENTS SAILLIES ET 11 % DES REVENUS
Évolution du parc d’étalons en Europe
Aussi récemment qu’en 2013, la France était encore en marge du marché des étalons européens. Les étalons basés dans l’Hexagone saillissaient 13 % du total des juments et généraient 2 % des revenus. En 2022, la situation est déjà différente, la France représentant 19 % des juments saillies et 11 % des revenus. La part de l’Irlande dans les revenus totaux est passée sur la même période de 58 % à 52 %, tandis que celle de la Grande- Bretagne a chuté de 40 % à 37 %. Pour la Grande- Bretagne, la baisse des chiffres est encore plus marquée, mais des étalons comme Frankel, Kingman et Dubawi génèrent un fort revenu. Une autre différence significative entre la France et les autres pays est que Coolmore, Darley et Juddmonte, qui représentent environ 60 % du marché européen des étalons, sont à peine actifs sur le marché français. Le succès des étalons français repose sur des étalons syndiqués, avec
LA POPULARITÉ DES ÉTALONS SUSCEPTIBLES DE PRODUIRE DES CHEVAUX RAPIDES ET PRÉCOCES EN GRANDE-BRETAGNE ET EN IRLANDE EST ÉVIDENTE, CONTRAIREMENT À LA FRANCE
un large groupe d’éleveurs et d’investisseurs partageant les bénéfices générés par des chevaux comme Siyouni , Wootton Bassett , Le Havre et d’autres. Plus les tarifs des meilleurs étalons augmentent, plus les risques pour les éleveurs commerciaux augmentent également. Sauf bien sûr, s’ils sont eux-mêmes propriétaires de parts d’étalons qui leur garantissent l’accès aux meilleurs étalons commerciaux au prix auquel les parts ont été achetées. Les principaux acteurs des marchés irlandais et britanniques des étalons proposent rarement, voire jamais, des parts à la vente pour leurs nouveaux étalons.
Le programme de courses influence également le parc d’étalons
Au-delà du nombre de juments, du tarif et de la localisation géographique d’un étalon, un dernier facteur, qui influence fortement le marché des étalons, est le programme de courses. Ce facteur est peut-être plus obscur, bien que chaque entraîneur y soit confronté au quotidien en recherchant des courses dans lesquelles engager et tenter de faire gagner ses chevaux. Sans entrer dans les détails des changements survenus au cours des vingt-cinq dernières années, on observe des différences marquées entre les trois pays concernés. En France, 77 % des courses de plat se disputent sur gazon, contre 23 % sur la PSF. Il en va de même pour l’Irlande, où la proportion est de 75 % pour le gazon et de 25 % pour la PSF. La Grande-Bretagne, en revanche, est très différente, avec seulement 59 % des courses sur gazon et 41 % sur des pistes all-weather. En Grande-Bretagne et en Irlande, 18 % des épreuves sont réservées aux deux ans, tandis que 34 % et 32 %, respectivement, sont pour les trois ans uniquement. En France, la situation est différente avec seulement 12 % des courses réservées aux deux ans, mais avec une proportion similaire de 34 % pour les épreuves de trois ans.
Dans les trois pays, environ 50 % des courses plates sont destinées aux chevaux de deux et trois ans, mais l’accent mis sur les courses de deux ans est nettement plus marqué en Grande- Bretagne et en Irlande. En Grande-Bretagne et en Irlande, ces courses pour jeunes chevaux sont également disputées sur des distances plus courtes qu’en France. Pour celles réservées aux trois ans en France, 35 % se disputent sur des distances inférieures ou égales à 1 600 mètres, 64 % sur 2 000 mètres ou moins, et 36 % sur des distances supérieures à 2 000 mètres. Le programme britannique est très différent, avec les mêmes proportions comptabilisant respectivement 63 %, 83 %, et seulement 17 %. Une grande partie des courses plates en Grande-Bretagne sont des sprints sur PSF pour deux et trois ans, ce qui explique en grande partie le succès des étalons dont les produits remplissent ces conditions. En Irlande, il y a davantage d’épreuves sur des distances moyennes qu’outre-Manche, et les mêmes proportions y sont de 57 % sur 1 600 mètres ou moins, 80 % sur 2 000 mètres ou moins, et 20 % au-delà de 2 000 mètres. La popularité des étalons susceptibles de produire des chevaux rapides et précoces en Grande-Bretagne et en Irlande est évidente, tandis qu’en France, la situation est naturellement autre.
Coup de projecteur sur la nouvelle génération
Les étalons qui auront leurs premiers partants en 2025 sont, en termes de résultats en course, menés par St Mark’s Basilica et Palace Pier , deux chevaux exceptionnels à trois ans, et pour Palace Pier , également à quatre ans, avec des Racing Post Ratings de 128 et 127. Ils ont remporté les courses considérées par le passé comme révélatrices de futurs grands étalons : la Poule d’Essai des Poulains (Gr.1) et le Prix du Jockey Club (Gr.1) pour le premier, et le Jacques le Marois (Gr.1) pour le second. Cependant, leurs premiers yearlings n’ont pas suscité un grand enthousiasme sur le marché. Tous deux ont enregistré un prix médian yearlings inférieur à celui de leurs produits vendus foals en 2023. Le prix médian des yearlings de St Mark’s Basilica représentait 1,9 fois son tarif de saillie, tandis que pour Palace Pier, il n’était que de 1,3 fois. Dès que leurs produits commenceront à courir, ces chiffres deviendront bien sûr caducs, et de nombreux étalons prestigieux comme Danehill ou Dubawi, ainsi que des chevaux comme Le Havre, Siyouni ou Lope de Vega, n’avaient pas non plus été bien accueillis par le marché initialement. En termes de ratings, ces deux chevaux sont suivis par Japan , Starman et Space Blues , qui ont obtenu des notes maximales de 125, 124 et 123 respectivement. Un rating inférieur à 120 n’est pas forcément un handicap pour un futur grand étalon : des chevaux comme Havana Grey et Showcasing, tous deux notés à 115, ou encore Mehmas et Dark Angel, avec des ratings maximums de 114, en sont des exemples. Parmi ceux qui auront le plus de partants en 2025 figurent probablement Starman et Supremacy , avec respectivement 170 et 109 yearlings passés sur le ring cette année.
Si un accueil décevant sur le marché ne signifie pas forcément la fin de carrière d’un étalon, un accueil positif ne garantit pas non plus un succès à long terme - il demeure cependant un signe encourageant. À cet égard, même si l’échantillon est très réduit, il est extraordinaire que le vainqueur du Derby allemand, Windstoss, ait atteint un prix médian pour ses yearlings quatorze fois supérieur à son tarif de saillie. D’autres étalons, dont les yearlings ont affiché un prix médian nettement supérieur à leur tarif de saillie, incluent A’Ali, Lope Y Fernandez, Space Blues et Victor Ludorum. Ceux qui feront leurs débuts au haras en 2025 sont, en termes de ratings, menés par City of Troy, Charyn, Big Rock, Auguste Rodin, King of Steel et Bradsell, avec des ratings respectifs de 129, 128, 126, 125, 125 et 124. Le fait que deux chevaux aussi remarquables que Big Rock et Charyn prennent leur retraite en France la même année, tout comme plusieurs autres gagnants de Groupe 1 tels que Metropolitan , Feed The Flame et Puchkine , reflète bien les changements en cours. À l’inverse, seuls trois étalons parmi ceux cités feront leurs débuts en Grande-Bretagne : Bradsell , Issac Shelby et Vandeek .