Feel Good N°8 Mai 2025 | A la Une : Phytotherapie

LE POUVOIR DES PLANTES MÉDICINALES : PHYTOTHÉRAPIE

UN FORT ENGOUEMENT DANS UN MARCHÉ DE NICHE

Par Serge Okey

Dans une activité portée par la quête de la performance, où chaque petit détail peut faire la différence, la phytothérapie tire parfaitement son épingle du jeu. En France, le marché pèse quelque 25 millions d’euros. C’est peu et prou à la fois. Peu en regard des millions dépensés pour d’autres cheptels tels que les bovins. Prou si l’on se réfère à des chiffres d’affaires en constante augmentation. 


Dans les écuries, les soins complémentaires à base de plantes médicinales sont très répandus et relèvent pour beaucoup de pratiques ancestrales. Chacun a ses petites manies ou recettes, ses petits secrets de « grand-mère », transmis de père en fils. Même s’il pèse assez peu en réalité, le petit monde de la phytothérapie équine s’étoffe et va de concert avec le souci du bien-être animal.


« Toute une filière autour des soins alternatifs »
Basé en Normandie, du côté de Lisieux, Edhya fait partie des acteurs phares du marché avec « 70 produits en catalogue, dont 90 % à base de phytothérapie », détaille Ludovic Rey, responsable du pôle cheval pour le groupe Bernard, expert du secteur agricole. « L’Europe poussant à la démédicalisation, toute une filière s’est construite autour des soins alternatifs ».
Dans le giron animalier, le cheval n’est pas très « betfood ». Sous-entendu : « bankable » en comparaison des gigantesques cheptels de bovins. « Mais c’est un animal de valeur, axé sur la performance ». Un animal encadré par une réglementation stricte, en parallèle des monopoles de la pharmacopée. « À l’instar de l’huile de citron ou de la coumarine, plusieurs matières premières naturelles sont interdites en nutrition animale ou par le code des courses pour des questions de dopage ».
Dans l’ensemble, les compléments alimentaires répondent de trois visées : « diminuer le stress, apporter du qualitatif comme du calcium et répondre à des besoins antioxydants ». La tendance du moment ? « L’accompagnement vers l’immunité pour maximiser les résistances aux pathologies hivernales et aux voyages durant les meetings ».
Au niveau de l’élevage, l’inflation des saillies va aussi de pair avec une attention privilégiée envers « la naissance et la croissance des poulains ». Certains produits promettent d’augmenter les embryons, les qualités articulaires et tendineuses.
Les écuries connaissent par cœur les pouvoirs antiinflammatoires et antioxydants de produits comme la spiruline ou le curcuma. « Mais encore faut-il se pencher vers la qualité de ces plantes et de leur dosage », prévient Ludovic Rey. « Selon les produits sur le marché, le taux réel de curcuma varie de 0,1 à 12 %. Le nôtre vient du Pakistan, il est testé avant d’être expédié. C’est un produit très cher avec une grosse molécule non soluble. Le challenge, c’est de bien la lisser avec des extraits végétaux pour ouvrir les parois intestinales ». Le milieu connait les vertus du poivre noir en la matière. Edhya s’est tourné vers le pamplemousse. Mais la recette est frappée du « secret maison ».


L’asthme a la dent dure
Au niveau des pathologies, les coliques et autres troubles digestifs ont passé le témoin, aujourd’hui, aux ulcères, principaux soucis du moment. Mais l’asthme reste un souci constant. « Il provient principalement d’une part génétique et de facteurs environnementaux comme la poussière. Les problèmes respiratoires sont le premier facteur de contre-performance équine. Le problème, c’est qu’on ne peut pas augmenter le potentiel des poumons. Toute la question est de réussir à maintenir 100 % des capacités respiratoires ».
La meilleure « ventoline » ? « L’air libre, une écurie bien ventilée, du fourrage de qualité ». Basique, simple. Après, la phyto intervient. À base d’eucalyptus ou de grindélia. Mais encore une fois : « la qualité de la plante fait la qualité du produit ».
« Un fort engouement pour le bien-être animal »
En Sarthe, au Pôle européen du cheval, Alliance Equine est passée, en 2010, de la sellerie classique aux aliments complémentaires. Cette entreprise familiale, de 30 ans d’âge, repose sur une belle clientèle : Gabriel Leenders, Édouard Monfort, Mathieu Brasme, Jérôme Delaunay côté galop, Étienne Dubois, Mathieu Mottier, Franck Leblanc, Charles Dreux, Julien Le Mer, jusqu’à Sébastien Guarato côté trot.
« On a créé notre propre unité de fabrication en 2013, ce qui nous permet de maîtriser la chaîne de A à Z », explique Thomas Cholat. « Il y a un fort engouement pour le bien-être animal, tout le monde s’engouffre dans ce marché ». Passons sur les « apprentis sorciers », qui expérimentent sans droit de vente dans leur « garage ». À Chateaubourg, près de Rennes, trois salariés sont dédiés à la production dans des cuves de 6 000 à 8 000 l. « On achète nos plantes chez le grossiste, elles macèrent dans l’alcool et on récupère les matières actives pour nos assemblages. On est en quête perpétuelle de nouvelles plantes et de formules innovantes ».

« Les maîtres chocolatiers et les grandes surfaces »
Les produits phares ? « Le Dermatol (contre la dermite estivale) en saison, l’Arti’Flex (souplesse articulaire) toute l’année ». Au « hit-parade » figure aussi le goudron de Norvège, « durcissant » sous les pieds apprécié des trotteurs l’hiver.
Alliance Equine présente une cinquantaine de produits, dont 70 % dédiés aux compléments alimentaires. Et met en avant une qualité de conseil. « Notre particularité, c’est que chaque produit est automatiquement analysé au laboratoire. C’est un gage de sécurité en cas de contamination. Leur traçabilité est certifiée par un organisme externe ». Là encore, la différence tient des matières premières et du savoir-faire. « L’efficacité de la spiruline peut être très différente selon le taux de phycocyanine, elle peut être chargée en métaux lourds. C’est comme pour les chocolats de Pâques : il y a les maîtres chocolatiers et les grandes surfaces ».

Une recherche peu conséquente
L’étroitesse du marché fait que les laboratoires ne se bousculent pas au portillon de la recherche. « Ceux qui produisent des compléments alimentaires mènent des études en interne, mais il n’existe pas à proprement dit de centres de recherche, confirme Lucile Falque, vétérinaire à Chantilly. Les laboratoires font tester leurs formules et présentent ensuite l’étude qui s’y réfère, mais dans l’ensemble, les professionnels se basent sur le vade-mecum qui explique les propriétés de chaque plante ».
Les tests se faisant généralement sur un petit nombre de chevaux, il serait incongru de parler de « conclusions scientifiques ». La validation vient principalement du retour client. « Les effets sont moins palpables par définition qu’un médicament, qui va rendre une plaie propre par exemple. Les clients marchent surtout à la confiance avec les laboratoires et s’en remettent beaucoup aux vétérinaires ».


CBD : le « buzz » chez les chevaux de selle
D’après cette spécialiste, les brevets sont assez fréquents. « La France est un pays très réglementé, mais de nouveaux produits sortent fréquemment », nuance Lucile Falque. La nouvelle mode, c’est le « CBD ». « Il fait office de calmant, soigne l’arthrose, plein de propriétés lui ont été découvertes. On nous le demande en complément alimentaire. Il faudrait pouvoir donner un délai par rapport aux questions de dopage. Dans les courses, c’est interdit. Mais c’est le buzz dans les chevaux de selle et de loisirs ».


« Tout le monde est prêt à mettre le prix »
Tous les professionnels s’accordent à le dire : pour le cheval, la phytothérapie est un marché « extrêmement concurrentiel », mais reste un « marché de niche », évalué à la louche à 25 millions d’euros en France. Les compléments alimentaires représentent les deux tiers du marché. Hors effectif, l’alimentation reste un des premiers spots de dépense dans les écuries. Mais qu’il s’agisse de substituts ou de produits de soins, « ce sont des produits assez chers », pèse Lucile Falque. « Mais tout le monde est prêt à y mettre le prix ».
Ce qui est amusant de constater, c’est la différence d’approche entre les entraîneurs de trot et de galop. Les professionnels du marché sont unanimes : les premiers sont plus « expérimentaux », les seconds plus « conservateurs ». A fortiori dans les jeunes écuries. Mais lorsqu’un entraîneur de galop a trouvé ses petites recettes miracles, celles-ci font partie des petits secrets de réussite maison pour longtemps.