Par Jocelyn de Moubray
À titre d’estimation approximative, on peut dire qu’il y a environ vingt gagnantes de Groupe 1 chaque année en Europe. Le plus souvent, une ou deux d’entre elles remportent plusieurs Groupes 1, et une jument reste en moyenne active pendant huit ans ; il y a donc probablement environ cent cinquante lauréates de Groupe 1 en Europe en activité comme poulinières. Si l’on retranche celles qui se révèlent infertiles ou décèdent jeunes, ainsi que celles vendues pour courir ou reproduire à l’étranger - les Japonais étant particulièrement friands d’acheter des femelles gagnantes de Groupe 1 -, il est probable que sur les vingt mille poulinières présentes en Europe, environ une centaine, soit 0,5 %, soient des gagnantes de Groupe 1. Si l’on inclut les pouliches et juments placées de Groupes 1, on peut atteindre jusqu’à 1 % de la population.
Parmi les vingt-quatre Groupes 1 réservés aux femelles en Europe, dix se disputent en Grande-Bretagne, huit en France, cinq en Irlande et un, le Preis der Diana, en Allemagne. Douze d’entre eux se courent sur 2 000 mètres ou plus, la France étant en tête dans ce domaine avec cinq de ses huit Groupes 1 pour femelles disputés sur des distances intermédiaires ou longues : le Prix de Diane, le Prix Jean Romanet, Le Prix de L’Opéra, le Prix Vermeille et le Prix Royallieu. Seules quatre courses sont réservées aux deux ans : le Prix Marcel Boussac en France, les Fillies’ Mile et Cheveley Park outre-Manche, et les Moyglare Stakes en Irlande. Beaucoup de ces courses ont été reclassées, des épreuves comme les Prix de Royallieu (promue Gr.1 en 2019), Rothschild (anciennement Astarte devenu Gr.1 en 2008), l’Opéra (Gr.1 en 1990), les Falmouth Stakes, Nassau Stakes ou encore les Sun Chariot Stakes étaient auparavant courus à un niveau inférieur. La situation est inévitablement différente au Japon, et il n’est pas surprenant que les éleveurs japonais cherchent à acheter des gagnantes de Groupe ou Grade 1 à l’étranger. Le Japon ne compte que vingt-cinq Groupes 1, contre quatre-vingt-trois en Europe (France, Angleterre, Irlande et Allemagne), et parmi eux, seulement six sont réservés aux femelles. La proportion de juments gagnantes ou placées de Groupe 1 parmi les dix mille poulinières japonaises doit donc être bien inférieure à 1 %, même en incluant les importations.
Empreinte confirmée en 2025
Pour se faire une idée de l’influence de ces juments, il suffit de regarder les résultats des courses préparatoires Classiques disputées cette année en France. Quatre des principaux vainqueurs de ces préparatoires sont issus de mères gagnantes de Groupe 1. Ridari, le vainqueur du Prix de Fontainebleau (Gr.3), est issu de Ridasiyna, elle-même gagnante du Prix de l’Opéra ; Mandanaba, gagnante du Prix Vanteaux (Gr.3), est issue de Mandesha, lauréate des Prix Rothschild, Vermeille et Opéra ; Tajlina, gagnante du Prix Pénélope (Gr.3), est, comme son demi-frère aîné gagnant de Groupe Map of Stars, issue de Bateel, lauréate du Prix Vermeille ; et Cualificar, vainqueur du Prix La Force (Gr.3), est issu de Qualify, lauréate des Oaks. En plus de ces quatre gagnants, Silius, deuxième du Prix Djebel (Gr.3), est issu de Silasol, lauréate du Prix Marcel Boussac et du Prix Saint-Alary, et Gezora, troisième du Prix Vanteaux, est issue de Germance, lauréate du Prix Saint-Alary, tandis que la mère de Zarigana, lauréate du Prix de la Grotte (Gr.3), Zarkamiya, s’est classée troisième du Prix Vermeille. La sprinteuse de trois ans en tête de sa génération, Polyvega, est quant à elle issue de Polydream, lauréate du Prix Maurice de Gheest. Enfin, la très estimée pouliche Cankoura est issue de Candarliya, qui avait terminé deuxième de Trêve dans le Prix Vermeille.
Peu mais si précieuses
Les gagnantes et placées de Groupe 1 ne représentent peut-être que 1 % de la population de juments, mais au moment de l’écriture de cet article (mi-avril), elles avaient produit sept des vingt et un trois ans ayant couru cette année en France avec un rating officiel de 47 ou plus, soit 33 %. Si l’on élargit légèrement le champ et que l’on inclut les produits de juments ayant déjà produit un gagnant de Groupe 1, on compte deux candidats supplémentaires : Uther, vainqueur du Prix Noailles (Gr.3), est un demi-frère de Sosie, lauréat du Grand Prix de Paris (Gr.1), et Tito Mo Cen, noté 46,5, est un demi-frère de Ramatuelle, gagnante du Prix de La Forêt (Gr.1). Les lauréates, productrices et placées de Groupe 1 sont donc bien plus susceptibles que n’importe quelle autre sous-catégorie de poulinières de produire la prochaine génération de gagnants et de performers de Groupe 1.
Cette prépotence est encore plus évidente lorsqu’on observe les performances des fils de juments gagnantes de Groupe 1 en tant qu’étalons. En consultant une liste des étalons européens actifs avec plus de 200 produits, classés selon leur pourcentage de performers de Groupe 1, on passe de Frankel, en première position, à Gleneagles en vingtième. Parmi les fils de juments gagnantes de Groupe 1 présents dans cette liste figurent Dubawi, Zarak, Farhh, Sea The Stars, Australia, Kingman, Too Darn Hot et New Approach, tandis que la mère de Lope de Vega et Lady Vettori, s’était placée dans le Prix Marcel Boussac. On retrouve également Frankel, Oasis Dream et Gleneagles, tous demi-frères ou propres frères de gagnants de Groupe 1. Pas moins de douze, soit 60 %, des meilleurs étalons producteurs de performers de Groupe 1 en Europe sont issus de juments gagnantes ou placées de Groupe 1, ou sont demi-frères d’autres gagnants de Groupe 1. Parmi les étalons de tête ne figurant pas dans cette liste, on retrouve Kodiac, Ghaiyyath et Saxon Warrior, tous fils de juments lauréates de Groupe 1 en piste, ainsi que Siyouni, Nathaniel, Churchill et Make Believe, tous demi-frères d’autres gagnants de Groupe 1.
Il existe de nombreuses choses sur le marché du pur-sang qui sont, ou semblent être, absurdes et illogiques, mais le fait que les jeunes pouliches et juments gagnantes de Groupe 1 valent très cher n’en fait certainement pas partie. Les juments gagnantes au plus haut niveau ont plus de chances que n’importe quelle autre catégorie de produire des chevaux de Groupe 1, et leurs fils performants à ce niveau ont toutes les chances de devenir des étalons influents.