1Des images , des scènes d ’ Auteuil qui sont désormais si lointaines qu ’ elles se confondent parfois entre la mémoire et l ’ imagination … Quel est le premier de ces souvenirs ? Peut-être les longues files devant les guichets où , sortis en masse du métro Porte d ’ Auteuil , les turfistes achetaient leur entrée avant de traverser la piste par une allée de sable . Ou peut-être les trois pelouses , sur lesquelles la vie pétillait . S ’ y trouvaient des baraques de bois dans lesquelles des bonbonnes de verre , blanche pour la menthe , rouge pour la grenadine et jaune pour le citron , surplombaient un étal de tartines au pâté , au saucisson ou aux filets de hareng , étal sur lequel un percolateur antique , pyramide métallique , faisait jaillir un Viandox , un café ou un chocolat chaud par une manipulation mystérieuse . Peut-être encore est-ce la première cavalcade entre le gros Open-Ditch et la lice de la pelouse centrale ( le Tonkin , Madagascar ?) pour voir la fin de course ? Le petit garçon à la rambarde ne voyait alors pas grand-chose . C ’ est aux encouragements de la foule des tribunes qu ’ il savait que les chevaux venaient de franchir la double-barrière , encouragements devenus hurlements à la réception de la dernière haie , peu avant que les premiers apparaissent . Peut-être aussi le premier saut de la rivière des tribunes , cette suspension mouvante à l ’ issue incertaine ? Le premier retour des chevaux , suants et soufflants , qui traversaient alors le public entre la piste et les balances ? Ou la sortie de l ’ hippodrome , aux cris des multiples vendeurs de Paris-Turf et des chauffeurs de cars : « Porte Maillot-Place Clichy-Barbès ! », « Opéra-République-Bastille ! » etc . Le souvenir d ’ un cheval en particulier est moins ancien . Karcimont , à la belle carrière qui me semblait éternelle … Les modestes Zécil , Pique Puce , Ventôse , restés probablement dans la mémoire parce qu ’ ils étaient gris , et que les gris plaisent aux enfants . Ou , lointain mais si vivace , le souvenir de Spirou , première expérience de la tragédie , à la réception du moyen Open-Ditch ?
2Parmi ceux qui fréquentent Auteuil depuis quelques décennies , rares sans doute sont ceux à qui ne viendra pas spontanément avec enthousiasme le nom de Katko pour répondre à cette question . Grande carcasse alezane dégingandée , Katko , fils de Carmarthen , étalon qui a marqué l ’ élevage de l ’ obstacle , et de Kotkie , fille du roc Rheffic , n ’ a jamais couru ailleurs que sur une Butte Mortemart qu ’ il aura marquée à jamais . Maurice Gillois et Ferdinand Dufaure ( à 4 ans , bien sûr ) puis trois Grand Steeple-Chase de Paris d ’ affilée ! Katko , dans ses nombreux bons jours , courait seul . Dans son action immense , à son rythme , il distançait peu à peu ses adversaires et passait les obstacles en solitaire . Sans être vraiment impressionnante , sa domination était inexorable . Mais l ’ image la plus marquante qu ’ il m ’ a laissée , c ’ est celle de son saut du rail-ditch and fence . Je n ’ ai pas souvenir d ’ un cheval effaçant le plus redoutable obstacle d ’ Auteuil comme il le faisait . De l ’ appel à la réception , Katko semblait n ’ avoir qu ’ à peine bougé . Le « Juge de Paix » réduit au rôle d ’ un pion de cours élémentaire . Le gros dos noir hérissé de piques à celui d ’ un paillasson ! Puis il passait la ligne d ’ arrivée sans s ’ être jamais soucié de ses adversaires . Certes , il y eut notamment Hyères III avant lui , Ucello II et Mid Dancer ensuite , mais Katko laisse le souvenir du sauteur absolu . De l ’ avis même de son entraîneur , Bernard Sécly , il avait plus de classe que son autre pensionnaire fameux , Al Capone II . Ce dernier , auteur d ’ une série historique de sept succès d ’ affilée dans le Prix la Haye-Jousselin , a acquis l ’ admiration et l ’ affection , quand Katko approchait l ’ héroïsme . Al Capone II a sa statue -infidèle- près du rond de présentation , alors que Katko suscite quant à lui un émoi teinté de malaise lorsque l ’ on est devant son squelette , au musée d ’ Auteuil
3Auteuil ensablé ? Les pistes du « temple de l ’ obstacle » français cernées d ’ une bande de sable destinée aux chevaux de plat ? Passée la surprise en apprenant cette éventualité , les questions , les inquiétudes , se bousculent . Quelle largeur de terrain restera dévolue aux chevaux de haie , principalement dans la ligne « d ’ en face » ?