ont accepté de nous répondre.
Quel est votre tout premier souvenir d ’ Auteuil ?
Quel est pour vous le plus grand chaser de tous les temps ?
Une PSF à Auteuil , vous y croyez ?
L ’ Arc 24 : grande année ?
Jacques Détré
1. Ça n’a pas grand-chose à voir avec les courses, à vrai dire. Et ce n’est pas mon premier souvenir dont je vais parler mais de la première fois où j’y ai emmené ma femme, Marie. Nous venions tout juste de nous marier, c’était au début des années 80. Je me faisais une joie de lui montrer Auteuil et j’avais réservé deux couverts au restaurant panoramique. Nous avons commandé et le vin est arrivé. Une heure plus tard, nous n’avions toujours rien d’autre alors… nous sommes partis sans avoir déjeuné ! Et le vin était parfait…
2. Al Capone II, quand-même ! Ce déboulé, ce finish, c’était vraiment quelque chose à voir !
3. Je n’ai pas tellement de recul sur ce projet. C’est difficile à dire. Mais si on peut le faire à Auteuil, c’est pour rentabiliser sa rénovation. Techniquement, le projet est-il envisageable ? Je serais d’accord avec tout projet qui permette d’accélérer et de faciliter la rénovation d’Auteuil, d’en faire un endroit où nous puissions à nouveau accueillir nos amis, nos clients, et tous ceux qui partagent notre amour de l’obstacle. Alors même une idée aussi incongrue qu’une PSF à Auteuil m’irait si elle va dans le sens du renouveau d’Auteuil. Aujourd’hui, ce site est coûteux et si nous le rénovions, il le serait moins, et ce serait un investissement vertueux. L’obstacle a sans doute de belles années devant lui car il s’est ressaisi, car il attire à nouveau une clientèle internationale, malmenée en Grande-Bretagne et en Irlande. Nous avons une belle carte à jouer avec Auteuil.
4. Le rating de l’Arc est régulièrement assez faible et cette édition ne devrait pas rattraper la moyenne. Mais après tout, qu’importe ! Ce fut une très belle journée, comme la veille samedi, et c’est ce qui compte par-dessus tout. On n’a peut-être pas vu un crack, mais tous ceux qui sont venus ont vécu une belle journée.
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NICOLAS BERTAN DE BALANDA
1. C’est sans doute Trypolo, un des meilleurs chevaux de mon père quand j’étais enfant. Il avait été rétrogradé d’un Prix La Haye Jousselin, sévèrement à mon avis, et avait gagné le Maurice Gillois. C’était un gris, et les enfants aiment les gris. Il y a Katko, aussi, bien sûr.
2. C’est vraiment une question difficile car il y a différentes sortes de chasers, chacun avec leur style et leur palmarès. Vautour m’avait fait une énorme impression à Cheltenham. En France, je dirais So French. Il avait toutes les qualités et je l’adorais. La très grande classe. Il respirait la qualité. Et puis, j’aimais aussi beaucoup la casaque de Magalen Bryant, qui a tant fait pour l’obstacle français.
3. Évidemment, comme ça, c’est une idée qui fait bizarre, mais il faut connaître le dossier. Un habitué d’Auteuil, attaché à ce paysage, aura d’abord une réaction de rejet, mais si le projet est plus faisable à Auteuil qu’à Longchamp, il ne faut pas fermer les portes. J’essaye d’avoir un esprit ouvert et il faut donc regarder les tenants et les aboutissants. Si ça peut contribuer à améliorer la situation, il ne faut rien s’interdire.
4. La gagnante était ma favorite et j’étais donc content de la voir gagner (pronostic annoncé la veille de la course, ndlr). J’ai trouvé que c’était une belle course, comme souvent dans l’Arc. Il n’y avait peut-être pas de grand champion au départ mais la gagnante sort tout de même de l’ordinaire. C’est une magnifique pouliche et ses performances au long de la saison sont très bonnes. Elle a bien tenu la distance, a accéléré nettement et elle s’est battue. C’est une bonne gagnante. Le doublé Vermeille-Arc n’est jamais facile.
Bernard DE CROIX
1.Des images, des scènes d’Auteuil qui sont désormais si lointaines qu’elles se confondent parfois entre la mémoire et l’imagination… Quel est le premier de ces souvenirs ? Peut-être les longues files devant les guichets où, sortis en masse du métro Porte d’Auteuil, les turfistes achetaient leur entrée avant de traverser la piste par une allée de sable. Ou peut-être les trois pelouses, sur lesquelles la vie pétillait. S’y trouvaient des baraques de bois dans lesquelles des bonbonnes de verre, blanche pour la menthe, rouge pour la grenadine et jaune pour le citron, surplombaient un étal de tartines au pâté, au saucisson ou aux filets de hareng, étal sur lequel un percolateur antique, pyramide métallique, faisait jaillir un Viandox, un café ou un chocolat chaud par une manipulation mystérieuse. Peut-être encore est-ce la première cavalcade entre le gros Open-Ditch et la lice de la pelouse centrale (le Tonkin, Madagascar ?) pour voir la fin de course ? Le petit garçon à la rambarde ne voyait alors pas grand-chose. C’est aux encouragements de la foule des tribunes qu’il savait que les chevaux venaient de franchir la double-barrière, encouragements devenus hurlements à la réception de la dernière haie, peu avant que les premiers apparaissent. Peut-être aussi le premier saut de la rivière des tribunes, cette suspension mouvante à l’issue incertaine ? Le premier retour des chevaux, suants et soufflants, qui traversaient alors le public entre la piste et les balances ? Ou la sortie de l’hippodrome, aux cris des multiples vendeurs de Paris-Turf et des chauffeurs de cars : « Porte Maillot-Place Clichy-Barbès ! », « Opéra-République-Bastille ! » etc. Le souvenir d’un cheval en particulier est moins ancien. Karcimont, à la belle carrière qui me semblait éternelle… Les modestes Zécil, Pique Puce, Ventôse, restés probablement dans la mémoire parce qu’ils étaient gris, et que les gris plaisent aux enfants. Ou, lointain mais si vivace, le souvenir de Spirou, première expérience de la tragédie, à la réception du moyen Open-Ditch ?
2.Parmi ceux qui fréquentent Auteuil depuis quelques décennies, rares sans doute sont ceux à qui ne viendra pas spontanément avec enthousiasme le nom de Katko pour répondre à cette question. Grande carcasse alezane dégingandée, Katko, fils de Carmarthen, étalon qui a marqué l’élevage de l’obstacle, et de Kotkie, fille du roc Rheffic, n’a jamais couru ailleurs que sur une Butte Mortemart qu’il aura marquée à jamais. Maurice Gillois et Ferdinand Dufaure (à 4 ans, bien sûr) puis trois Grand Steeple-Chase de Paris d’affilée ! Katko, dans ses nombreux bons jours, courait seul. Dans son action immense, à son rythme, il distançait peu à peu ses adversaires et passait les obstacles en solitaire. Sans être vraiment impressionnante, sa domination était inexorable. Mais l’image la plus marquante qu’il m’a laissée, c’est celle de son saut du rail-ditch and fence. Je n’ai pas souvenir d’un cheval effaçant le plus redoutable obstacle d’Auteuil comme il le faisait. De l’appel à la réception, Katko semblait n’avoir qu’à peine bougé. Le « Juge de Paix » réduit au rôle d’un pion de cours élémentaire. Le gros dos noir hérissé de piques à celui d’un paillasson ! Puis il passait la ligne d’arrivée sans s’être jamais soucié de ses adversaires. Certes, il y eut notamment Hyères III avant lui, Ucello II et Mid Dancer ensuite, mais Katko laisse le souvenir du sauteur absolu. De l’avis même de son entraîneur, Bernard Sécly, il avait plus de classe que son autre pensionnaire fameux, Al Capone II. Ce dernier, auteur d’une série historique de sept succès d’affilée dans le Prix la Haye-Jousselin, a acquis l’admiration et l’affection, quand Katko approchait l’héroïsme. Al Capone II a sa statue -infidèle- près du rond de présentation, alors que Katko suscite quant à lui un émoi teinté de malaise lorsque l’on est devant son squelette, au musée d’Auteuil
3.Auteuil ensablé ? Les pistes du « temple de l’obstacle » français cernées d’une bande de sable destinée aux chevaux de plat ? Passée la surprise en apprenant cette éventualité, les questions, les inquiétudes, se bousculent. Quelle largeur de terrain restera dévolue aux chevaux de haie, principalement dans la ligne « d’en face » ? C’est un espace déjà très sollicité, sur lequel tous les pelotons galopent aux mêmes endroits, contrairement à celui des steeple-chasers. On a déjà couru en plat à Auteuil, mais exceptionnellement, pendant la guerre, sans que cela ne cause de problèmes me semble-t-il. Mais c’était sur le gazon et s’y disputaient moins d’épreuves. Pour ces éventuelles courses de plat, on suppose que les départs ne seront pas donnés à l’élastique. Comment alors déplacer les boîtes sans que le tracteur et les stalles métalliques elles-mêmes n’abiment les pistes des sauteurs ? À l’aspect technique s’ajoute celui de l’esthétique. Les pistes en sable diminuent l’espace vert, quand elles ne donnent pas à un hippodrome un air de terrain vague assez sinistre (surtout quand elle borde une piste de trot). On peut imaginer que la raison économique -qui reste à préciser- pourrait éventuellement justifier que le fonctionnel s’impose à Auteuil. Sans enthousiasme.
4.Que restera-t-il dans les mémoires de l’édition 2024 du Prix de l’Arc de Triomphe ? Des souvenirs plus enthousiastes que ceux des victoires de Caroll House et de Marienbard, mais certainement moins vibrants que ceux laissés par Dancing Brave, Peintre Célèbre ou Zarkava, entre autres vainqueurs éblouissants. La course s’est jouée devant. Sans lièvre voué à sa cause, Los Angeles, parti de la boîte n°10, s’est rabattu « tête et corde » pour imprimer un train régulier, ni lent ni très rapide. Dans son sillage, des concurrents qui s’étaient élancés plus près de la corde que lui : Bluestocking (corde 3), Zarakem (1) et Sosie (6) notamment. À l’extérieur de Bluestocking au tout début de la montée, Haya Zark cédait brusquement et semait le trouble à l’arrière du peloton, trouble dont a particulièrement souffert Mqse de Sevigné. Los Angeles a lancé la course assez tôt, aux 800 mètres, où Ryan Moore a commencé à le solliciter. Bluestocking et Sosie le suivaient très librement et se sont lancés à son attaque dans la ligne droite, suivis par Aventure. Dure à l’effort, Bluestocking n’a été que « poussée » jusqu’au poteau par Aventure, Los Angeles gardant la troisième place devant Sosie et Sevenna’s Knight, seul des sept premiers à être revenu des derniers rangs. La ligne du Prix Vermeille était donc celle en laquelle croire pour avoir les deux premiers rôles de l’Arc 2024. C’était pour beaucoup assez difficile à prédire avec conviction, même si l’entourage de Bluestocking avait déboursé une somme rondelette pour supplémenter sa pouliche de 4 ans. Les images estivales encore vivaces de Bluestocking nettement dominée en Grande-Bretagne par Goliath dans les King George puis par City of Troy (et Calandagan, suivis de Ghostwriter) dans les International Stakes, ne l’imposait pas comme une favorite évidente. C’est évidemment une excellente pouliche qui, sans être une crack, ne ternit pas le palmarès de la course. Trois des cinq premiers sont issus de Camelot, un fils de Montjeu -autre grand lauréat de l’Arc- qui aurait remporté la Triple Couronne s’il n’avait trouvé à l’arrivée du Saint Leger de Doncaster l’énigmatique Encke sur sa route. Les deux autres ont pour géniteur Sea The Stars. Les gènes de la tenue, de la résistance dans l’effort, ont parlé.
François Doumen
1.C’est un souvenir doux amer. Mon père m’avait emmené à Auteuil pour voir un cheval qu’il avait débourré et qui s’appelait Mandarin. Il avait été son premier entraîneur. Comme il était tardif, il avait conseillé aux Hennessy, ses propriétaires, de lui laisser un peu de temps. Mais comme M. Hennessy l’a offert ensuite à sa femme et qu’elle avait voulu l’envoyer chez Fulke Walwyn et voilà… J’étais un peu remonté mais ce fut aussi une leçon.
2.Hyères III, je pense. Elle aussi a gagné trois fois le Grand Steeple (entre 1964 et 1966) et à cette époque, il n’y avait guère de femelles à ce niveau. Je me souviens surtout de cette sorte d’invincibilité qui semblait la caractériser. On ne parlait que d’elle car le Grand Steeple était encore un énorme événement sur le plan national. C’était une grande costaude qui, si mes souvenirs sont bons, sautait un peu comme Ucello. Mais ça, c’est sans parler des chevaux que j’ai entraîné. Et j’ai eu la chance d’avoir quelques cracks dans mes boxes ! Celui qui restera toujours mon chouchou, c’est tout de même Algan. Les gens n’ont pas réalisé ce que c’était que ce cheval-là. Il a couru 77 courses, contre 65 pour Al Capone II et 54 pour The Fellow. J’ai calculé qu’il avait parcours 300km en course, de 3 à 12 ans, sur dix saisons. Il a gagné le Grand Prix d’Automne et le King George Chase. Ce jour-là, Barton Bank menait quand il est tombé au dernier obstacle, mais Algan savait finir ses courses et peut-être aurait-il gagné de toute façon. David Nicholson, l’entraîneur de Barton Bank, était furieux. Il n’a jamais été très amical avec moi, alors que ses confrères l’étaient (et il montait pour Fulke Walwyn quand il était jockey, ndlr). Algan a vécu jusqu’à 29 ans, en 2017, près d’Alençon, là où il est né, chez François Halgand, co-éleveur auquel il devait son nom.
3.Si on pense à construite une PSF à Auteuil, c’est qu’il y a une bonne raison, que j’imagine liée aux revenus que ce projet engendrerait. Mais au-delà de l’investissement important que cela représenterait, je me demande si nous saurions organiser un événement susceptible de réussir aussi bien que les Jeuxdi de Longchamp. Il me semble qu’il faudrait d’abord voir ce que ça supposerait en termes d’organisation pour les professionnels. Le jeu vaut-il la chandelle ?
4.C’était un Arc très ouvert et comme souvent dans ces cas-là, on se retrouve avec une arrivée qui ne semble pas tenir le haut du pavé. Les courses ouvertes révèlent rarement de grands champions. À suivre !