La Vision Détré N°2 Novembre 2024 | GRANDE COURSE

LES 7 VERTUS D’ AL CAPONE II

Pour remporter, de 5 à 11 ans, sept éditions consécutives du Prix La Haye Jousselin, pendant automnal du Grand Steeple-Chase de Paris, l’AQPS Al Capone II devait vraiment sortir de l’ordinaire. Il a aussi bénéficié de conditions spécifiques qui l’ont aidé à exercer une telle domination, sans qu’il paraisse, pour autant, comme dominateur. D’autres chevaux, de par le monde, ont comme lui dominé le palmarès d’une épreuve, ce qui permet de dresser le portrait-robot de ces serial winners auquel celui que l’on surnommait « Pompon » ressemble beaucoup…

 

La motivation
Les conditions à réunir pour qu’un cheval remporte sept fois la même course sont très nombreuses. La première, qui n’est pas la moindre, c’est qu’il soit capable de courir et de se maintenir à son meilleur niveau pendant plusieurs saisons. Cela exclut quasiment les chevaux entiers, qui ont des difficultés à maintenir leur motivation au-delà d’un certain âge. Sans compter que s’ils atteignent un certain niveau, leur entourage privilégiera leur entrée au haras.
Dans une moindre mesure, ces arguments jouent aussi pour les femelles, qui sont très rares parmi les auteurs de longues séries. On doit tout de même noter les six victoires de Quevega dans le David Nicholson Mares Hurdle, à Cheltenham.

La santé
Cela suppose, bien sûr, aussi une santé à toute épreuve, particulièrement sur les obstacles. Les quelques sept minutes qu’il faut pour boucler les 5 500 mètres du Prix La Haye Jousselin ne sont rien comparées aux heures de travail nécessaires pour atteindre le summum de sa forme et s’y maintenir. Al Capone II a eu ses pépins. Il a été absent de quatre Grand Steeple-Chases, les années paires, mais pas d’un seul «La Haye Jousselin» de 5 à 11 ans.
Autre fait assez rare dans les annales : mort en novembre 2020, à trois semaines de sa course favorite, Al Capone II a survécu à deux des hommes qui ont le plus compté dans sa vie, à savoir son jockey, Jean-Yves Beaurain, disparu en 2010, et son entraîneur, Bernard Sécly, qui nous a quittés en 2015.

La concentration
Or pour tenir aussi longtemps, il faut choisir ses combats. Passant pour apprécier les terrains lourds de l’automne, Al Capone II était préparé soigneusement pour cette saison. Progressivement, son entraîneur, Bernard Sécly, a donc réduit le nombre de ses sorties pour ménager la monture. Al CaponeII a couru entre sept et neuf fois par an jusqu’à l’âge de 9 ans. Puis, il se produisit cinq à six fois lors de ses trois dernières saisons, dont deux fois, à chaque campagne, en haies, alors qu’il n’alternait qu’une fois par an avec le steeple dans ses plus jeunes années. Certes, il devait parfois porter 72 kilos, sur les balais, mais rarement contre les meilleurs. Pour sa dernière sortie en haies, tout de même, en septembre 2000, il avait terminé 5e du Prix d’Angers à huit longueurs de First Gold, qui devait le priver ensuite d’un 8e La Haye Jousselin, lui qui était né huit mois avant la première victoire d’Al Capone II dans le championnat de l’automne.
En 2000, à 12 ans révolus (il est né en mars), le crack de Robert Fougedoire a couru seulement deux fois au printemps, sans tenter sa chance dans le «Grand Steeple», dont il avait pourtant terminé 2e un an plus tôt.
Pour durer, il fallait aussi éviter les aventures extérieures à ce cadre. Changer de cadre, c’est aussi changer de routine, de préparation. En obstacle, et plus que jamais quand on s’est fait une spécialité d’Auteuil, changer de route, c’est fatalement remettre en cause un équilibre, la maîtrise de l’exercice. Si Bernard Sécly avait, par exemple, voulu emmener Al Capone II an Angleterre, ce qui n’aurait certainement pas donné de bon résultat compte tenu de la façon de faire du champion, l’harmonie qui a produit cette série de sept succès aurait très certainement été rompue. Quand Al Capone II perdait une course, il la perdait à domicile. Il est même tombé trois fois, dont deux à 8 ans, et une fois juste avant son 1er La Haye Jousselin. Chaque faux pas, plutôt que de mener à l’incertitude, apprenait à Al Capone II à se méfier davantage.

Le coup de main
Ce qui nous amène à une des principales qualités du cheval, son intelligence. Bernard Sécly disait de lui qu’il était rusé, qu’il avait adapté sa façon de courir à ses limites physiques, car il était, selon l’entraîneur, « petit ». Il toisait 1m62 au garrot, soit 2 cm de plus que la hauteur du
rail-ditch and fence, qu’il a pourtant franchi une quinzaine de fois. Mais à sa manière : il perdait toujours plusieurs longueurs à cet obstacle parce que, pour le négocier, il devait ralentir. Plutôt que de le franchir comme un Katko avant lui, ou Ucello II à ses côtés, c’est-à-dire comme s’il s’agissait d’une simple haie, Al Capone II devait l’escalader, presque littéralement. Il semblait décomposer son envol en trois phases distinctes : décollage vertical, vol, et atterrissage. Ce n’était pas un bond, plutôt un exercice de gymnastique. Plutôt que de planer, il semblait monter sur l’obstacle. C’était un spectacle singulier pendant lequel Auteuil retenait son souffle, parce que même si cette façon de faire était très sûre, elle semblait acrobatique. Peut-être aussi que cette méthode était moins coûteuse que les bonds extravagants de ses géniaux adversaires, qui réclamaient une énergie considérable, dissimulée par la taille des athlètes extraordinaires qui sautaient des montagnes d’un coup de cheville. Or, justement, ces grands sauts laissent plus de traces que les escalades prudentes de notre héros.
N’est-ce pas encore cet exercice qui permettait à « Pompon » de pouvoir sprinter comme il le faisait, un kilomètre plus loin, entre la dernière haie et le poteau, tandis que ses adversaires étaient souvent à bout ? Va savoir… Toujours est-il qu’avant de s’éteindre, près des terrains d’entraînement de Chantilly ,où il a évolué longtemps après sa retraite, il a soufflé une 32e bougie,  à une semaine de «La Haye Jousselin» 2020.

Le terrain
L’aptitude d’Al Capone II aux pistes collantes et lourdes a aussi joué en sa faveur. Cette aptitude est un plus indéniable pour la saison de l’automne, surtout à l’époque où le terrain d’Auteuil, drainé efficacement depuis, était plus pénible. Les chevaux de classe vont, en théorie, dans tous les terrains, mais certains gardent une préférence pour les pistes plus fermes.

La concurrence
Les exemples de séries victorieuses sont aussi nombreux à des époques ou sur des territoires où, faute d’une population assez importante, un sujet surdoué peut évoluer longtemps sans véritable rival. Balto, par exemple, a gagné sept éditions de la Coupe Clarke, entre 1964 et 1970 en Nouvelle-Calédonie, où la population équine ne permet pas l’émergence régulière de champions. De nombreux records datent du XIXe siècle. Peu fixée, la génétique produisait alors de véritables monstres opposés à des « pur-sang » rustiques. Le champion toutes catégories du nombre de victoires dans une même course est Leaping Plum, qui a gagné huit éditions du Grasmick Handicap, une course de 15 000 $ disputée dans le Nebraska, à Fonners’ Park, circuit parallèle qui n’attire guère les visiteurs. Son ultime succès dans cette épreuve remonte à 2003. D’un point de vue hippique, le Nebraska est aujourd’hui comparable au turf néo-calédonien des années 60.
Cela dit, la présence d’un vrai spécialiste d’une course dissuade aussi la concurrence de venir s’y frotter. C’est peut-être une des raisons pour lesquelles, dans les années 1850 et 1860, Franc Picard a gagné sept fois le Grand Steeple-Chase de Dieppe, même s’il avait 15 ans la dernière fois, et s’il avait, notamment, couru deux fois le Grand National de Liverpool, un éclectisme qui n’a guère plus cours aujourd’hui. Beaucoup plus récemment, Risk of Thunder a gagné sept fois La Touche Cup, un cross disputé sur l’hippodrome irlandais de Punchestown. Là encore, c’est parce que les chevaux de cross sont plutôt rares outre-Manche.
Al Capone II, lui, a battu des cracks au summum de leur forme comme Ucello II, The Fellow, Chamberko. Il n’avait pas la partie facile !

L’environnement
Un dernier élément a pu jouer en faveur d’Al Capone II pour établir son record : les conditions de la course. Lorsqu’il l’a remportée la première fois, à 5 ans, elle prévoyait une surcharge selon les gains, pouvant aller jusqu’à huit kilos, pour un poids total de 70 kg, puis 10 kg en 1995. En 1996, en revanche, le poids de base du Prix La Haye Jousselin passait de 62 à 65 kilos, mais sans plus de pénalité. Deux ans plus tard, et à partir de 1998, les 5 ans recevaient deux kilos. Ainsi, Al Capone II a pu gagner quatre de ses sept trophées avec 65 kilos, un autre à 67 kilos, et deux seulement avec 70 kilos. En 1999, aurait-il pu garder une longueur d’avance sur Matinée Lover s’il y avait eu une plus grande différence de poids ? Pas sûr. Ces règles nouvelles peuvent expliquer la fréquence, après celle d’Al Capone II, des séries dans le Prix La Haye Jousselin : trois pour Bipolaire et pour Milord Thomas, deux pour Rubi Ball et Remember Rose, soit dix éditions du classique d’Auteuil sur les 25 dernières années de la course.
On est bien loin, malgré tout, du chiffre ahurissant de sept victoires dans une seule course de Gr1.

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Les sept étoiles d’Al Capone II étaient, bien sûr, alignées, et il s’agissait d’une force de la nature dotée d’un mental exceptionnel. Il a été d’autant plus populaire que «Pompon» avait su conquérir les cœurs et continue de le faire. Il est comme ces coureurs cyclistes, ces athlètes que l’on admirait sans arrière-pensées, ces champions du monde qui étaient facteurs, gendarmes, experts-comptables ou bergers. En plus de gagner, ces idoles nous ressemblaient. «Pompon», c’est le girl next door des courses à Auteuil.

 


François Doumen
« Al Capone II devait rejoindre mes boxes »

 
« Il se trouve que je viens de passer en revue les meilleurs chevaux que j’ai entraîné pour la rédaction de mes mémoires, et il est beaucoup question d’Al Capone II, qui en a affronté quelques-uns !
En vérité, il devait rejoindre mes boxes car, Robert Fougedoire, son propriétaire, m’emmenait chez les Cyprès tous les ans pour choisir les poulains. C’est ainsi, par exemple, que j’avais reçu The Fellow, son aîné. Al Capone II n’était pas bien grand mais il n’y avait pas de raison de le laisser de côté, et Robert Fougedoire l’avait donc pris dans le lot. Sauf qu’entretemps, nous nous sommes brouillés et Al Capone II est donc parti chez mon grand rival, Bernard Sécly. Je n’aurais pas pu faire mieux que lui, évidemment. Mais je l’observais régulièrement en voisin, avec un certain agacement. Bernard a eu du mérite de savoir si bien s’en servir, car il n’était pas si simple. Il se jetait à droite en sautant, et il n’était pas le sauteur le plus sûr qui soit. Il n’aurait pas pu suivre son frère en Angleterre. Ils étaient très différents l’un de l’autre. Cette façon qu’il avait de sauter n’aurait pas convenu sur les fences anglais. Il n’a couru pratiquement qu’à Auteuil à cause de ça. C’est dommage, mais c’était la chose à faire. Bernard a eu l’intelligence de lui donner le programme qui lui correspondait le mieux ».

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Les fous du volant à Auteuil

C’était écrit, et les fans de la série animée Les Fous du Volant (Wacky Races en VO) le savaient depuis longtemps.
Plusieurs indices associaient Al Capone II au chiffre 7. Dans la version française de cette série foutraque, Satanas et son terrible chien Diabolo (qui eurent droit à leur propre spin-off) tentent par tous les moyens de gagner la course sans jamais y parvenir. Parmi leurs adversaires, il y a Al Carbone et sa bande. Leur voiture porte le numéro 7, et ils sont sept à courir pour la faire avancer.
Voilà.
Si pour s’enrichir sans effort, Satanas avait parié sur Al Capone II à chaque fois qu’il courait le Prix La Haye Jousselin, s’il avait misé 100 francs (eh oui, on n’était pas encore à l’euro !) gagnant le 14 novembre 1993, il aurait touché 240 Francs, puis cette somme aurait été multipliée par 1F70, 3F20, 1F40, 1F10, 1F50 et 1F70 pour le 7e succès. Au total, 5 127 francs, soit du 50/1.
Mais connaissant Satanas, il aurait tout perdu en novembre 2000 en misant tout sur un Al Capone II à 5,80 !