LE COUP DE MAIN
FRANÇOIS DOUMEN « Al Capone II devait rejoindre mes boxes »
« Il se trouve que je viens de passer en revue les meilleurs chevaux que j ’ ai entraîné pour la rédaction de mes mémoires , et il est beaucoup question d ’ Al Capone II , qui en a affronté quelques-uns ! En vérité , il devait rejoindre mes boxes car , Robert Fougedoire , son propriétaire , m ’ emmenait chez les Cyprès tous les ans pour choisir les poulains . C ’ est ainsi , par exemple , que j ’ avais reçu The Fellow , son aîné . Al Capone II n ’ était pas bien grand mais il n ’ y avait pas de raison de le laisser de côté , et Robert Fougedoire l ’ avait donc pris dans le lot . Sauf qu ’ entretemps , nous nous sommes brouillés et Al Capone II est donc parti chez mon grand rival , Bernard Sécly . Je n ’ aurais pas pu faire mieux que lui , évidemment . Mais je l ’ observais régulièrement en voisin , avec un certain agacement . Bernard a eu du mérite de savoir si bien s ’ en servir , car il n ’ était pas si simple . Il se jetait à droite en sautant , et il n ’ était pas le sauteur le plus sûr qui soit . Il n ’ aurait pas pu suivre son frère en Angleterre . Ils étaient très différents l ’ un de l ’ autre . Cette façon qu ’ il avait de sauter n ’ aurait pas convenu sur les fences anglais . Il n ’ a couru pratiquement qu ’ à Auteuil à cause de ça . C ’ est dommage , mais c ’ était la chose à faire . Bernard a eu l ’ intelligence de lui donner le programme qui lui correspondait le mieux ».
Ce qui nous amène à une des principales qualités du cheval , son intelligence . Bernard Sécly disait de lui qu ’ il était rusé , qu ’ il avait adapté sa façon de courir à ses limites physiques , car il était , selon l ’ entraîneur , « petit ». Il toisait 1m62 au garrot , soit 2 cm de plus que la hauteur du rail-ditch and fence , qu ’ il a pourtant franchi une quinzaine de fois . Mais à sa manière : il perdait toujours plusieurs longueurs à cet obstacle parce que , pour le négocier , il devait ralentir . Plutôt que de le franchir comme un Katko avant lui , ou Ucello II à ses côtés , c ’ est-à-dire comme s ’ il s ’ agissait d ’ une simple haie , Al Capone II devait l ’ escalader , presque littéralement . Il semblait décomposer son envol en trois phases distinctes : décollage vertical , vol , et atterrissage . Ce n ’ était pas un bond , plutôt un exercice de gymnastique . Plutôt que de planer , il semblait monter sur l ’ obstacle . C ’ était un spectacle singulier pendant lequel Auteuil retenait son souffle , parce que même si cette façon de faire était très sûre , elle semblait acrobatique . Peut-être aussi que cette méthode était moins coûteuse que les bonds extravagants de ses géniaux adversaires , qui réclamaient une énergie considérable , dissimulée par la taille des athlètes extraordinaires qui sautaient des montagnes d ’ un coup de cheville . Or , justement , ces grands sauts laissent plus de traces que les escalades prudentes de notre héros .
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