Par Emmanuel Rivron
Galorama. Dans quel contexte avez-vous connu Francis ?
Lisa-Jane Graffard. Nous faisions partie des douze étudiants sélectionnés pour la première promotion des Darley Flying Start, en 2003. C’était une superbe opportunité pour nous deux. Malgré une précédente expérience pour un consignor de Breeze Up aux États-Unis, Francis ne parlait pas très bien anglais. C’était assez drôle en fait. Et, comme il est bon communicant, il arrivait tout de même à se faire comprendre.
G. Comment s’est-il mis au niveau pour cette formation au caractère très international ?
L-J. G. Intelligent et travailleur, Francis a vite progressé en anglais. Après le Darley Flying Start, nous avons habité ensemble pendant trois ans à Newmarket. Il était assistant chez John Ferguson et était le représentant de Darley en Europe. Il supervisait près de 700 chevaux entre l’Angleterre et la France. Il a arrêté au bout de trois ans, car il avait absolument envie de devenir entraîneur, et ce, depuis le départ. C’est la raison pour laquelle il est devenu assistant chez Alain de Royer-Dupré.
C’ÉTAIT UN PARI À TENTER ET FRANCIS A BIEN FAIT D’ALLER AU BOUT DE SES IDÉES !
G . Quel était son état d’esprit lorsqu’il s’est installé à son compte ?
L-J. G. Comme tous les entraîneurs, il a commencé avec beaucoup de positivité. Tout passe par le travail. Il a mis toutes les chances de son côté pour réussir, sans trop se poser de questions. Il faut avoir une certaine confiance en soi lorsque l’on décide de s’installer.
G . Combien avait-il de chevaux à l’entraînement au tout début ?
L-J. G. Cela a été un peu plus compliqué que prévu au moment de l’installation avec seulement six chevaux à l’entraînement. Lors de nos précédentes expériences, beaucoup de propriétaires ou éleveurs nous disaient qu’ils nous confieraient des chevaux au moment de notre installation. Mais, en pratique, c’est plus compliqué que cela. Chaque étape est ensuite très importante pour attirer de nouveaux propriétaires : la première victoire, le premier succès chez les 2 ans, la première dans une épreuve de Stakes… Heureusement, ces étapes se sont assez vite enchaînées. L’écurie a ainsi connu une croissance rapide. Il faut apprendre à gérer les flux de chevaux, ainsi que les employés. Dès les premières années, nous avons eu des opportunités. Il ne faut jamais refuser les propriétaires et donc s’adapter au fur et à mesure. C’est un autre challenge à gérer, mais Francis a cette faculté d’adaptation et d’anticipation. Quand il travaillait pour Alain de Royer Dupré, il restait à la cour et a donc appris à gérer une écurie. C’est très important pour lui de savoir s’il est en sureffectif ou en sous-effectif de personnel. Par exemple, l’année dernière, il a embauché deux responsables de plus, avant que les chevaux arrivent à l’écurie. Il cherche à recruter les meilleurs et qu’ils soient prêts dès le début de la saison.
G . Quel souvenir avez-vous du premier Gr.1 avec Erupt dans le Grand Prix de Paris ?
L-J. G. C’était assez magique avec beaucoup d’émotions. On travaille beaucoup pour vivre ces moments-là. Nous étions très heureux pour la famille Niarchos. Maria aime soutenir les jeunes entraîneurs et reste fidèle quoiqu ’il advienne. J’avais travaillé avec elle et, remporter notre premier Groupe 1 pour elle, c’était assez exceptionnel. En plus de cela, Francis avait dû supplémenter le poulain pour participer à cette prestigieuse course : ça rajoutait un peu de pression. C’était un pari à tenter et Francis a bien fait d’aller au bout de ses idées !
G . Comment aborde-t-il ce genre d’évènements ?
L-J. G. C’est un métier difficile et il n’y a pas un entraîneur dans le monde qui n’est jamais stressé. Francis gère très bien cette pression. Celle-ci est inhérente à ce métier qui demande beaucoup de responsabilité. En chef d’entreprise, il faut gérer les chevaux, le personnel et les propriétaires. Francis a appris très rapidement qu’il ne fallait jamais trainer avant de donner de mauvaises nouvelles aux propriétaires, afin de ne pas porter ce poids trop longtemps.
G . Combien a-t-il d’employés et comment gère-t-il cela ?
L-J. G. Francis gère une bonne cinquantaine d’employés. Il a une super équipe. Cela m’a vraiment frappé quand j’ai arrêté ma collaboration avec Godolphin et quand j’ai commencé à travailler pour l’écurie. L’équipe est très bien rôdée, articulée autour de son assistant Romain Dupasquier, qui a succédé au très dévoué Jean-Paul Monthulé, à la retraite désormais. À l’image de Francis, Romain est très travailleur et ils sont très complémentaires. Il y a beaucoup de respect dans cette équipe, en qui je suis très reconnaissante. Il faut savoir valoriser et responsabiliser son personnel. Former des jeunes et recevoir du personnel étranger donnent également une autre dynamique. Tout le monde est ainsi un peu plus bienveillant et n’hésite pas à aider les nouveaux arrivants.
IL EST TRÈS ATTACHÉ AU BIEN- ÊTRE ANIMAL ET NOUS SOMMES EN CONSTANTE RÉFLEXION POUR AMÉLIORER LE QUOTIDIEN DE CES ATHLÈTES QUI SONT DANS UN RÉGIME DE SPORTIFS DE HAUT NIVEAU.
G . Quel est votre rôle à l’écurie ?
L-J. G. Tout roule très bien et ils n’ont pas forcément besoin de moi à vrai dire (rires) ! J’aide dans la communication en anglais avec les propriétaires et je gère tous les déplacements à l’étranger, notamment. J’apporte ma pierre à l’édifice comme je peux, avec mes expériences et connaissances.
G . Alors que l’écurie performait, Francis a changé sa façon de travailler ces dernières années. Pourquoi cette prise de risque ?
L-J. G. Francis se remet en question tous les ans et fait un bilan annuel. Il analyse tous les éléments de son écurie : les fournisseurs, la gestion du travail, sa façon de faire les engagements, sa méthode de planification du programme de ses chevaux. Il sentait vraiment qu’il devait changer. Et suite à des voyages à l’étranger, notamment après une journée à Ballydoyle chez Aidan O’Brien, il a changé sa façon d’entraîner il y a trois ans maintenant. Il est passé au système anglosaxon , à deux canters quotidiens. C’est plus court et plus basé sur le fractionné. Dès le départ, il a remarqué une baisse des frais vétérinaires et était assez content de la façon de courir des chevaux. Il est très satisfait des résultats et cette méthode lui permet de voir plus souvent ses pensionnaires. Ça l’aide beaucoup. Il est effectivement très observateur et c’est encore plus remarquable puisqu’il n’a pas grandi avec les chevaux. Rapidement, dès qu’il a commencé à travailler avec eux, à 18-19 ans, il est devenu un vrai homme de cheval.
G . C’est-à-dire ?
L-J. G. Il comprend leur caractère et sait reconnaitre un bon cheval en condition. Ses chevaux sont toujours très beaux et bien présentés d’ailleurs. Il est très attaché au bien-être animal et nous sommes en constante réflexion pour améliorer le quotidien de ces athlètes qui sont dans un régime de sportifs de haut niveau. Nous mettons en place des boxes communicants à chaque fois que l’on fait des améliorations, car les pur-sangs aiment se voir. Certains peuvent jouer ensemble avec des balles de foin installées entre eux. On rêve d’avoir plus de paddocks, mais les chevaux partent régulièrement faire des breaks plus ou moins longs dans des haras ou dans des centres un peu plus axés sur la rééducation. Nous avons autour de nous une équipe composée d’un physiothérapeute, d’un kiné, d’un chiro, sans oublier l’acupuncture. Tout est réalisé au cas par cas pour que chaque cheval puisse donner le meilleur de lui-même. Quand il voit qu’un cheval n’est pas capable de performer, il en informe rapidement le propriétaire car cela ne sert à rien de forcer.
G . Comment Francis aborde-t-il l’aspect compétition ?
L-J. G. Il est très compétiteur. Et il le faut dans un tel métier où il y a des courses tous les jours. Il se dit qu’il ne faut jamais avoir le sentiment de ne pas avoir donné son maximum. Si lors d’une réunion, il a sellé trois gagnants et un deuxième, il va surtout se questionner pour savoir pourquoi il est battu. Être compétiteur ne l’empêche pas d’être fair-play, ce qu’il a appris en Angleterre. L’année dernière, il a été très touché de recevoir une lettre de Sam Sangster, propriétaire de la deuxième, Kathmandu, pour le féliciter de sa victoire avec Rouhiya dans la Poule d’Essai des Pouliches (Gr.1).
G . Comment arrive-t-il à gérer le métier très prenant d’entraîneur et sa vie de famille ?
L-J. G. C’est très important pour lui d’être très présent pour ses filles Victoria et Scarlett. Il est plus facile de gérer quand on trouve l’équilibre et que l’on bénéficie du soutien de sa famille. Il a toujours été, et est toujours, très soutenu par ses parents. Il sait que la famille est une valeur ajoutée. Il a d’ailleurs su transmettre son esprit compétiteur à ses filles. Championne de France de concours complet l’année passée, Scarlett est très compétitrice et a participé à son premier International le jour du Jockey Club.
G . Francis est actuellement tête de liste des entraîneurs français. Cela revêt-il une importance pour lui ?
L-J. G. Non, pas du tout. Il est concentré sur ses pensionnaires et sur les objectifs de chaque cheval, raison pour laquelle il n’hésite pas à courir à l’étranger, sans se soucier de ce classement. Gagner les King Georges (Gr.1) en Angleterre avec Goliath a beaucoup apporté à l’écurie et à son propriétaire. Courir le Grand Prix de Saint- Cloud n’aurait pas eu le même impact sportif et économique pour son propriétaire.
G . Quel est son principal défaut ?
L-J. G. Il ne sait pas cuisiner ! (rires).
G . Impossible de conclure cet entretien sans évoquer Zarigana.
L-J. G. À chaque fois que Zarigana court, il y a énormément de buzz et beaucoup d’intérêts pour elle, que ce soit du côté du public et des journalistes. Cela crée un petit stress supplémentaire, mais pour Francis, il est très important de mettre cela de côté. Le principal est d’emmener la pouliche dans sa meilleure condition afin de rendre la princesse et sa famille heureuse. L’objectif de Francis est de créer de belles émotions pour les propriétaires de ses chevaux. C’est ce qui le rend le plus heureux certainement, professionnellement parlant.