D(Race) Code N°9 Juin 2025 | Pédago

 

LE FONDS ÉPERON
L’ARGENT DES PARIS HIPPIQUES QUI FINANCE LA FILIÈRE CHEVAL

Par Céline Gualde

Créé il y a vingt ans, le Fonds Éperon est une initiative de solidarité des courses envers le reste du monde du cheval. Son budget de 9,6 millions d’euros est prélevé sur le montant des paris hippiques. En ces temps de disette, certains contestent le bien-fondé de cette dotation. Pourtant, le fonds Éperon a un rôle clé et méconnu dans le développement économique de la filière équine au sens large et dans son unité.

création du fonds Éperon coïncide avec la fin des Haras Nationaux et la suppression en 2005 du compte spécial du Trésor grâce auquel les Haras percevaient chaque année 0,7 % du montant total des paris hippiques afin de financer des projets dans leurs diverses circonscriptions. À cette époque, la croissance du PMU était exponentielle et ce prélèvement indolore, d’autant que la somme n’était pas déduite du montant des enjeux revenant aux maisons mères des courses, France Galop et Le Trot, mais du pourcentage dévolu à l’État. Il s’agissait donc – et c’est toujours vrai aujourd’hui – d’argent généré par les courses mais qui ne leur appartenait pas.

IL S’AGISSAIT DONC – ET C’EST TOUJOURS VRAI AUJOURD’HUI – D’ARGENT GÉNÉRÉ PAR LES COURSES MAIS QUI NE LEUR APPARTENAIT PAS.

 

Depuis que le système a changé, l’argent du fonds Éperon transite par les comptes des deux sociétés mères et la Fédération Nationale des Courses Hippiques (FNCH), qui est en charge par décret de la gestion de ces sommes, sans toutefois qu’elle ait seule la main sur son utilisation (voir par ailleurs le fonctionnement du fonds). Le budget du fonds Éperon n’est plus indexé sur les résultats du PMU mais stable à 9,6 millions d’euros par an. Jean de Chevigny, secrétaire général de la structure, a porté diverses casaques durant sa longue carrière dans le monde du cheval, dont celle de directeur de l’hippodrome de Toulouse puis de l’UNIC (Union Nationale Interprofessionnelle du Cheval). Il explique que le fonds Éperon a un rôle essentiel de levier dans le financement des projets de la filière : « Nos fonds sont considérés comme des fonds privés et permettent de compléter des subventions publiques par effet de levier. Le fait qu’on aide un projet incite en effet les collectivités locales à y apporter leur soutien, car outre un cofinancement, le fonds apporte une caution qui rassure les élus. La filière ne serait globalement pas en mesure de trouver des financements privés pour épauler les fonds publics si nous n’existions pas ». Le fonds Éperon ne finance jamais plus de 50 % d’un dossier. « Si nous engageons par exemple 100 000 € pour un projet de recherche sur la gourme, ceux qui le portent devront justifier de 200 000 € de dépenses au minimum », précise Jean de Chevigny. « Nous sommes très vigilants sur ce point, donc la vérification comptable des dossiers représente un gros travail. C’est ensuite la FNCH qui procède aux règlements, au prorata des dépenses réellement engagées ». Une centaine de projets est soumise chaque année au comité d’engagement du fonds Éperon. Le secrétaire général du fonds Éperon explique : « Pour les déclarer éligibles, nous analysons leur caractère innovant et structurant. Ils ne peuvent pas concerner le secteur des courses hippiques, le fonds représentant de fait la solidarité des courses au reste de la filière équine. Près de 70 à 75 % des dossiers présentés obtiennent un soutien financier qui n’est versé qu’une fois les travaux ou actions menés à bien. Les projets privés sont exclus du dispositif ». Pour Hélène Dal Corso, présidente du fonds, « la force d’une filière, c’est son nombre et sa diversité ». Elle souligne que le fonds fait le lien entre les diverses branches du monde du cheval : « C’est l’un de nos rares leviers de développement économique ».

3,7 millions d’euros pour les dotations des concours jeunes chevaux de sport

Alors quels types de dossiers le fonds Éperon finance-t-il ? Le bilan d’exercice 2022, qui est le plus récent consultable sur son site internet à l’heure où nous rédigeons cet article, indique parmi les subventions régionales 800 000 € pour la création du campus équin de Goustranville - Normandie Équine Vallée. Le fonds aura apporté au total plus de 2,5 millions d’euros à ce projet spécifique ! 600 000 € ont été débloqués pour l’aménagement du Pôle International de Sports Équestres du Haras National du Pin ou encore 500 000 € pour la construction d’hébergements pérennes pour les chevaux au Lion d’Angers. 730 000 € ont été alloués à la Fédération nationale des Conseils des Chevaux, lesquels assurent dans les régions une représentation de toutes les composantes de la filière auprès des collectivités. À l’échelon national, toujours sur l’exercice 2022 du fonds Éperon, 767 000 € ont été affectés à la Société Française des Équidés de Travail (SFET) et à la Société hippique française (SHF) pour différentes actions. Cette dernière, responsable des circuits de compétition des chevaux de sport de 4 à 6 ans, ne pourrait pas maintenir son activité sans le fonds Éperon. Depuis 2011, il assume en près de 90 % des dotations de ses concours ! « Autrefois, nous n’y affections que 500 000 €, et le ministère de l’Agriculture apportait le reste. Mais une règlementation européenne lui interdit désormais de financer des compétitions », indique Jean de Chevigny. Les sociétés mères des courses ont un temps pris le relais, subventionnant la SHF à hauteur de 1,5 million d’euros chacune, sommes qui transitaient par le fonds Éperon. La baisse des enjeux a poussé France Galop et Le Trot à renoncer à cette politique et, depuis 2017, c’est donc le fonds Éperon lui-même qui finance la majeure partie des dotations de la SHF à hauteur de 3,7 millions d’euros par an, y consacrant donc un peu plus d’un tiers de son budget total. À l’heure où les sociétés mères des courses sont en grande difficulté financière et raclent les fonds de tiroirs, France Galop annonçant une baisse des allocations et la suppression des primes aux éleveurs pour les courses à l’étranger entre autres mesures d’économie, le financement du fonds Éperon devient un sujet sensible. D’autant qu’il dispose de réserves financières conséquentes. L’État et les collectivités locales ayant entamé une politique d’austérité, davantage de projets prennent du retard ou sont abandonnés. Et lorsqu’une action soutenue par le fonds Éperon n’est finalement pas menée à bien, l’argent non dépensé est placé dans les réserves en attendant une nouvelle affectation. L’argument des réserves du fonds, qui s’élèvent à plusieurs millions d’euros, a été évoqué par France Galop pour proposer une baisse temporaire du budget annuel de la structure. Sauf que, comme déjà indiqué, les sommes allouées au fonds Éperon n’appartiennent pas aux sociétés mères. France Galop n’a donc pas autorité sur ce budget.

Des projets plus transversaux à l’avenir
Il est néanmoins dans l’air du temps que le monde des courses puisse lui aussi bénéficier du soutien du fonds Éperon grâce à des projets plus globaux qui pourraient rendre, par exemple, les hippodromes ou centres d’entraînement éligibles à un soutien sur des actions spécifiques liées à des problématiques actuelles. Certaines actions bénéficient déjà à l’ensemble de la filière, comme celles concernant la recherche : « Nous épaulons notamment le conseil scientifique de l’Institut Français du Cheval et de l’Équitation dans les projets qu’il valide, explique Jean de Chevigny . Les travaux sur la gestation de la jument, la rhodococcose, l’artérite concernent tous les équidés ». En 2024, 150 000 € ont été affectés au « renforcement des missions du Réseau d’Épidémio-Surveillance en Pathologie Équine (RESPE) » dont bénéficient pleinement les acteurs de la filière course. « Depuis la création du fonds en 2005, la filière a évolué, souligne Hélène Dal Corso, il est donc normal que l’on suive ce mouvement. Une réflexion est en cours sur des dossiers transversaux d’intérêt général pour la filière ». Les questions cruciales de l’eau, de l’adaptation au changement climatique, du transport, du bien-être animal, du sanitaire font partie des thèmes envisagés.

« DEPUIS LA CRÉATION DU FONDS EN 2005, LA FILIÈRE A ÉVOLUÉ, IL EST DONC NORMAL QUE L’ON SUIVE CE MOUVEMENT. UNE RÉFLEXION EST EN COURS SUR DES DOSSIERS TRANSVERSAUX D’INTÉRÊT GÉNÉRAL POUR LA FILIÈRE ».

Hélène Dal Corso, présidente du fonds

 

La tentation du repli sur soi
La tentation du « Brexit » est forte dans la filière course en cette période économiquement difficile. Pourquoi continuer à se montrer solidaire des autres branches de la famille du cheval ? « Charité bien ordonnée commence par soi-même », dit l’adage... Mais quand l’État a envisagé d’augmenter son prélèvement sur les enjeux du PMU, le fait que les courses soutiennent le reste de la filière et la financent a été un argument pour déjouer le projet. Alors bien sûr les subventions apportées à l’École Nationale des Ânes Maraîchers de Villeneuve-sur-Lot peuvent prêter à sourire. Mais son action contribue à préserver les sept races asines françaises, donc un pan de la culture équestre. C’est aussi un argument fort en faveur du maintien du label agricole du cheval, que beaucoup, notamment chez les animalistes, voudraient voir basculer au rang des animaux de compagnie, ce qui menacerait son utilisation professionnelle. Les subventions aux chevaux de trait et plus largement aux équidés de travail ont la même vertu : mettre en avant le cheval « paysan », ce qui ouvre aux éleveurs la manne des subventions européennes via la PAC (politique agricole commune). Si le fonds Éperon doit désormais évoluer pour adapter ses actions à la réalité économique de la filière hippique, celle-ci ne devrait pas oublier que l’union fait la force...

 

Un comité d’engagement multipartite

Les décisions du fonds Éperon sont prises par un comité qui se réunit chaque mois. Il est composé de huit membres.

1 Représentant de France Galop
Anthony Baudouin
Membre du comité d’administration, Propriétaire du Haras du Hoguenet

1 Représentant du Trot
Olivier de Seyssel
Vice-président du Trot et Président de la filière cheval

1 Représentant de la FNCH
Pierre Préaud
Son secrétaire général

3 Représentants des Conseils des Chevaux
Actuellement ceux de Nouvelle- Aquitaine, d’Anjou-Maine et de Bourgogne-Franche-Comté

1 Représentant de la Fédération Nationale du Cheval (FNC)
Laurent Prénat
Éleveur de chevaux camarguais

1 Personne es-qualité
Hélène Dal Corso
Présidente du fonds Éperon

1 Représentant du bureau du cheval du ministère de l’agriculture
Florence Gravier
(avec une voix consultative seulement)

Le fonds Éperon emploie un secrétaire à plein temps et son secrétaire général Jean de Chevigny à mi-temps.

 

Hélène Dal Corso, une présidente œcuménique
Vétérinaire de formation, la brillante et très discrète Hélène Dal Corso, 55 ans, est présidente du fonds Éperon depuis 2021, un poste bénévole. Actuellement inspecteur de santé publique vétérinaire et chef du service de la sécurité des aliments au sein de la Direction départementale de protection des populations de Seine-Maritime, elle a une connaissance panoramique de la filière cheval française pour y avoir occupé divers postes au fil de sa carrière. Fonctionnaire du ministère de l’Agriculture, Hélène Dal Corso a été secrétaire générale de la FNCH durant quatre ans et jusqu’en 2013. Elle est aussi membre de la Société des courses de Clairefontaine. « Même si je ne travaille pas dans le milieu équestre actuellement, le cheval a été le fil directeur de ma vie professionnelle », souligne-t-elle . « Le fonds Éperon fait le lien entre les différentes composantes de la filière cheval, il fait d’elle un tout ».