Par Serge Okey et Mélodie Janvier
Les compétitions de chevaux ont toujours existé. Dès la Grèce antique avec les courses de chars, puis dans les tournois avec de fidèles destriers. Quant à la chasse à courre telle qu’on l’entend encore de nos jours, introduite par les Carolingiens et les Capétiens, codifiée par François Ier, puis étendue comme noble rituel du XVe au XVIIIe siècle, elle reste le fait de l’aristocratie. La transition est toute trouvée avec les courses hippiques. Et le ministère de la Culture clôt tout débat sur leur paternité entre la France et sa cousine anglaise : selon lui, les courses hippiques proviennent justement d’une « mode aristocratique importée d’Angleterre et les courses de galop arrivent en France à la fin du XVIIIe siècle. C’est le 9 mars 1775 qu’a lieu la première course, sur la plaine des Sablons, sous l’œil curieux de la famille royale et de la cour. Le succès de ce divertissement ira en s’accentuant tout au long du XIXe siècle. Ainsi, l’élite voit dans le pur-sang anglais l’incarnation du raffinement de la haute société. Se faire portraiturer à côté de son cheval de course est une pratique répandue qui marque un certain rang social. À travers ces coursiers élancés, anguleux, rapides qu’ils adoptent, les aristocrates distancent une fois encore le reste de la population ».
C’EST LE 9 MARS 1775 QU’A LIEU LA PREMIÈRE COURSE, SUR LA PLAINE DES SABLONS, SOUS L’ŒIL CURIEUX DE LA FAMILLE ROYALE ET DE LA COUR.
Selon l’un des ouvrages de la Bibliothèque nationale de France, le terme de « sport » hippique a été utilisé la première fois en France le 1er avril 1828 dans un périodique équestre, le Journal des Haras, lors d’une explication des mœurs anglaises. L’arrivée de ce terme anglais sur le territoire francophone par l’intermédiaire du monde équestre n’est pas due au hasard. L’aristocratie française est en pleine anglomanie depuis la fin du 18e siècle, avec l’importation de nouveaux loisirs et goûte aux modes équestres venues d’outre-Manche sur son temps libre : le pur-sang anglais, la selle anglaise, le trot à l’anglaise (le trot enlevé), le riding-coat (redingote), le steeple-chase, etc.
Les courses sont intimement liées à l’aristocratie et c’est un moyen d’affirmer son rang social. Et la mode dans tout cela ?
Comme l’essentiel des pratiques sportives ou des activités « d’affaires », les femmes n’y ont pas accès. Comme le dépeint assez bien la série Netflix à succès « La Chronique des Bridgerton », la confection de leurs « toilettes » est l’un des seuls moyens pour elles de s’exprimer.
D’autre part, si on se réfère à l’ouvrage La Mode aux courses : un siècle d’élégance – 1850 / 1950, les courses hippiques sont « acceptables » pour les femmes comme spectatrices. Au 19e siècle, la place des femmes dans l’espace public était très codifiée. Les activités considérées comme mondaines, mais « respectables », étaient peu nombreuses. Les courses hippiques sont devenues l’un de ces rares espaces où une femme pouvait apparaître en public sans être jugée, à condition qu’elle respecte les codes vestimentaires et sociaux en vigueur. Le livre explique que les courses leur ont offert un cadre « acceptable» pour toutes ces raisons : elles étaient liées à l’aristocratie et à la haute bourgeoisie, perçues comme des lieux de sociabilité élégante, avec une forte présence masculine mais aussi féminine. Elles avaient une vocation récréative, mais aussi statutaire, où l’apparence comptait autant que le spectacle hippique. Elles permettaient aux femmes d’être visibles dans l’espace public, sans qu’il soit question de travail ou de militantisme. Ce qui, à l’époque, aurait pu ternir leur réputation.
Défilés de mode de plein air
Avec le développement de la photographie et de la presse illustrée, des revues telles que La Mode illustrée, l’Illustration ou Les Modes, ont commencé à couvrir les grands événements mondains, et notamment les courses à Longchamp ou Chantilly. Ces publications se concentraient moins sur les chevaux que sur les toilettes des spectatrices, décrites avec détails, transformant ainsi les tribunes en véritables défilés de mode de plein air.
Avec l’essor de la photographie à la fin du XIXe siècle, Paul Géniaux et les frères Séeberger, ont immortalisé « les élégantes aux courses ». Leurs clichés, publiés dans des magazines et journaux, sont devenus des références de style. Ces photographies ont permis de diffuser largement les tendances vestimentaires observées lors des courses. Elles ont été un accélérateur majeur pour la mode. Et ont permis de créer un lien entre la création couture, la représentation médiatique et le regard social, avec les spectateurs comme témoins et juges de l’élégance. Les maisons de couture se sont vite emparées du phénomène. Au contraire des salons privés et des diners en intérieur, les courses hippiques sont un lieu ouvert. Et le « défilé » de ces dames dans les tribunes est une aubaine pour y dévoiler ses derniers modèles et dernières créations.
LES MAISONS DE COUTURE SE SONT VITE EMPARÉES DU PHÉNOMÈNE.
La quintessence de l’excellence
« La haute couture et les courses hippiques incarnent chacune à leur façon la quintessence de l’excellence, l’une par la prouesse de la confection textile, l’autre par l’exploit physique, explique Laëtitia Hedde, historienne de la mode. Rappelons que la plupart des champs de courses (Chantilly, Longchamp, Fontainebleau, Vincennes, Deauville, Auteuil…) ont vu le jour sous le Second Empire. À cette époque, les courses de chevaux sont de véritables événements mondains, une distraction réservée à une élite fortunée et à la bourgeoisie. La classe dominante s’y rend pour voir et être vue dans les dernières créations des maisons de haute couture parisiennes, notamment la maison Worth, Paquin, Lanvin, Chéruit et bien d’autres ». Pour toutes ces raisons, le développement de pair de la haute couture et des courses a vite fait des hippodromes « les vitrines de ces maisons de mode, ainsi que des tendances actuelles ».
Dans les années 1930, cette liaison a donné naissance à de nombreux concours associant équitation, mode et élégance. Le concours de la plus belle amazone dans le parc de Bagatelle, par exemple. « Les cavalières qui participaient à cet évènement devaient porter une jupe longue ou une culotte d’équitation ». Lors de la fête de la mode du Polo encore, toujours dans le parc de Bagatelle, « des mannequins des célèbres maisons de couture parisiennes défilaient sur le terrain de polo ».
Jockeys, ces clientes si chéries
Le lien entre ces deux mondes est aussi linguistique. « Dans le jargon du monde de la couture, dans les années 1930, on donnait le surnom de « jockeys » aux clientes prestigieuses et mondaines, qu’il était impératif de conserver et qui demandaient une attention particulière. Ces clientes étaient environ une douzaine par maison; on leur prêtait plusieurs robes par collection, en plus de leurs achats ». Le cheval est enfin une grande source d’inspiration dans l’histoire de la mode. « Il a une symbolique forte et riche. La figure du cheval renvoie à la force, la puissance, la liberté, l’indépendance, l’élégance, les victoires militaires, le raffinement et la noblesse ». Le cheval, mais aussi la femme. « L’image de la cavalière est très importante dès le Second Empire. Les maisons anglaises Redferm, Creed et Busvine réalisaient des tailleurs féminins pour que les femmes puissent monter à cheval ou pratiquer la chasse. Il n’est d’ailleurs pas rare que des références du monde hippique deviennent des noms de modèles dans les maisons de couture. Notamment chez Jeanne Lanvin, avec le manteau « Pour trotter », créé en 1929, ou encore le manteau « La Cavalière », créé en 1933 ».
« IL N’EST D’AILLEURS PAS RARE QUE DES RÉFÉRENCES DU MONDE HIPPIQUE DEVIENNENT DES NOMS DE MODÈLES DANS LES MAISONS DE COUTURE ».
Par Serge Okey
Lanvin. Quatre consonnes et deux voyelles, deux syllabes iconiques épelant la plus ancienne maison de couture en activité. Chapelière de formation, l’aînée d’une fratrie de onze enfants se servit vite de ses doigts de fée. À l’œuvre dès l’âge de 13 ans, elle ouvrit sa première boutique à vingt-deuxans.Symbole du « chic ultime », le noir était sa couleur. Une « casaque » indémodable, qu’elle exporta tout naturellement à Deauville au moment des années folles. Comme Jeanne Paquin et sa grande rivale Coco Chanel, Jeanne Lanvin comprit tout l’intérêt d’ouvrir une boutique à deux pas de l’hippodrome, sous les arcades, en direction de la plage. Dès 1913, année où les tribunes en bois de l’hippodrome de la Touques furent démolies au profit de nouvelles en briques et béton armé, les mannequins se pressaient alors dans la station normande pour prendre la pose. « L ’ hippodrome fut un cadre d ’ inspiration pour la mode , rappelle Yves Aublet, historien de la station. Les élégantes venaient montrer les plus belles
créations de couturières célèbrescomme Jeanne Lanvin , Jeanne Paquin , puis Elsa Shiaparelli . Les photos servaient à nourrir leur book et à montrer les créations à Paris ». Si l’on dit de Deauville qu’elle est le XXIe arrondissement de Paris, son hippodrome historique a pour surnom le « cinquième hippodrome parisien ». « Dès le début du XXe siècle , il accueillait des « Fashion Weeks », image l’historien. « Il rassemblait un certain nombre de personnes très hétéroclites : d ’ anciennes grandes familles françaises , de noblesse étrangère , d ’ ambassadeurs , d ’ industriels qui ont fait fortune , de banquiers , d ’ hommes politiques , de comédiens , d ’ écrivains , de mannequins , de photographes et de passionnés de courses », détaille l’historienne de la mode Laëtitia Hedde. Au sein de ce joyeux monde, Jeanne Lanvin avait pris le parti de n’ouvrir sa succursale que l’été, en juin, juillet, et août, lors de la haute saison. Luxe ultime : « Une couturière était présente parmi l ’ équipe réduite afin de pouvoir effectuer des retouches sur lesmodèles . Les clientes importantes et célèbres qui fréquentaient l ’ hippodrome devaient paraître à chaque événement dans une tenue différente . Certaines robes pouvaient leur être prêtées , c ’ était une forme de publicité pour la maison de couture ».
Par Serge Okey
« Lorsque l’on pense au monde du cheval et à la mode, Hermès est évidemment la première maison qui nous vient en tête, convient Laëtitia Hedde, historienne de la mode. Dès son origine, elle est liée à l’univers équestre. En 1837, Thierry Hermès ouvre une manufacture de harnais et de selles. Plus tard, son fils Charles-Émile s’intéresse à la mode et diversifie la production. Le logo de la maison représente d’ailleurs un duc et son attelage ». À l’époque, en pleine révolution industrielle, le cheval jouit d’une aura plutôt romantique face à l’ère de la motorisation. L’exposition universelle de 1867, à Paris, marque un vrai tournant pour Hermès père : sa médaille de première classe attire vers lui une clientèle déjà très prestigieuse. Deux ans après sa mort, en 1880, Charles-Émile a la riche idée de déménager le siège de la maison au 24, rue Faubourg Saint- Honoré, adresse en pleine « hype ». C’est là qu’Hermès se diversifie. D’abord la bagagerie et cesfameux sacs dans lesquels un cavalier pouvait fourrer sa selle, ses bottes, sa toque, sa cravache...
Puis, sous l’impulsion de son fils Émile-Maurice, les couvertures de cheval et casaques en soie pour les cavaliers. Et de fil en aiguille, et de père en gendres, la mode, l’horlogerie, la parfumerie, la bijouterie, le sport... L’icône reste évidemment le sac Kelly, un petit sac à courroies rendu célèbre par une photographie de la princesse Grace Kelly qui fit le tour du monde dans les années 50. Hermès, c’est aussi la couleur orange et ces fameux carrés de soie qui font sa renommée. Le cheval est toujours resté source d’inspiration. L’un des premiers parfums s’appelle « Calèche ». Patron du groupe de 1978 à 2006, Jean-Louis Dumas aimait à dire: « Notre premier client, c’est le cheval. Le deuxième, le cavalier ». Des tapis de selle aux couvertures, des brosses aux baumes de sellerie, la marque conserve une collection spécialement dédiée au cheval et a fait du saut Hermès un événement international. Dans l’esprit, Hermès continue de vouer un culte à l’artisanat. La petite différence, c’est que la petite manufacture de 1837 est devenue un géant du luxe, dont le chiffre d’affaires galopant franchit à présent les 15 milliards d’euros. Hermès va par ailleurs renforcer ses capacités de production en ouvrant, en 2028, son 27e atelier de maroquinerie en France dans le Calvados, à Colombelles, près de Caen.