D(Race) Code N°9 Juin 2025 | Data au Galop

EMIRATES POULE D’ESSAI DES POULAINS 2025 :
HENRI MATISSE, LE MAÎTRE DU TEMPO

Par Bruno Barbereau

Il y a des courses qu’on oublie dès la sortie de l’hippodrome et d’autres qui s’inscrivent dans le temps. Cette Emirates Poule d’Essai des Poulains (Gr.1) 2025 fait partie de la seconde catégorie : une démonstration grandeur nature de ce que le mot rythme signifie vraiment sur un mile à ParisLongchamp. Le tracking, une fois encore, éclaire la vérité du terrain. Et elle est implacable.

CE N’EST PLUS UNE COURSE, C’EST UNE LEÇON DE GESTION DE RYTHME, UN MODÈLE DE PROJECTION DE VITESSE.

Un départ en surrégime
Dès l’ouverture des stalles, quatre chevaux, le mors aux dents, décident d’imprimer une cadence suicidaire. Pas question d’attendre que quelqu’un d’autre prenne ses responsabilités : les leaders mettent d’emblée les gaz, traçant les 600 premiers mètres en 36”48, avec des passages en dessous des 11 secondes sur 200 mètres. Des chiffres vertigineux pour un Groupe 1 sur le mile. Mais qui peut encaisser un tel tempo et espérer encore avoir du gaz pour les 600 derniers mètres ? Personne. Ou presque.

Le piège des sprinters
Les animateurs de cette course folle, des chevaux sans doute plus sprinters que milers dans l’âme. À 800 mètres de l’arrivée, l’écart est réel, mais le coût physiologique, fatal. Ils ont « fait le break », mais courent déjà vers une défaite certaine. Ils ne tiennent pas les 1 600 mètres, et la sanction est immédiate dans les 400 derniers mètres de la ligne droite.

Henri Matisse, la course dans la course
Pendant ce temps, un cheval reste de marbre : Henri Matisse , confié à un Ryan Moore serein, pointé à 28,58 mètres des leaders à 600 mètres du but. Une monte qui respire l’intelligence de course : pas d’affolement, pas de réaction aux premiers coups de théâtre, juste la foi dans le schéma prévu. L’art du negative split (réaliser la deuxième partie de course plus rapidement que la première), version équine. Et puis vient le moment. À l’instant où les leaders payent leur folie, Ryan Moore déclenche l’accélération. Les données de tracking témoignent d’un cheval qui allonge sans forcer, grignote mètre après mètre, comme un artiste qui termine son œuvre. Ce n’est plus une course, c’est une leçon de gestion de rythme, un modèle de projection de vitesse. Finalement, il l’emporte en 1’33”91, nouveau record de l’épreuve et de la piste. À noter également derrière lui les excellentes fins de course de Camille Pissarro , malgré un numéro de stalle désavantageux à l’extérieur, et Ridari , tous deux montés avec sang-froid et tact. Ils concluent dans les cinq premiers et devront être pris très au sérieux dans le Qatar Prix du Jockey Club (Gr.1) du 1er juin sur les 2 100 mètres de Chantilly. Deux poulains construits pour durer. Quant à Selinien , qui ne tient probablement pas les 1 600 mètres mais dont la monte a été parfaitement adaptée à ses limites, il termine 8e, mais laisse une empreinte indélébile dans les chiffres : section la plus rapide de la course en 10”57 et 600 derniers mètres avalés en 32” 79. Une série de records qui suggère qu’on aura beaucoup de plaisir à le retrouver sur les 1 400 mètres du Prix Jean Prat (Gr.1), début juillet à Deauville.

QUAND D’AUTRES VEULENT FAIRE EXPLOSER LE CHRONO DÈS LES PREMIÈRES FOULÉES, LUI CHOISIT DE LE FAIRE AU MOMENT OÙ CELA COMPTE.

La science du galop, révélée
Le dimanche (11 mai), Henri Matisse n’a pas seulement gagné l’Emirates Poule d’Essai des Poulains (Gr.1). Il a rappelé ce que signifie courir juste. Dans une ère où les courses se découpent en sectionals (temps partiels), où chaque fraction compte, cette victoire est aussi celle de la mesure et de la maîtrise. Quand d’autres veulent faire exploser le chrono dès les premières foulées, lui choisit de le faire au moment où cela compte.

Emirates Poule d’Essai des Pouliches (Gr.1) 2025 : Zarigana, la signature d’une championne
Après le récital tactique d’ Henri Matisse chez les mâles, les pouliches ont offert, elles aussi, une partition de haut vol. Et si le Prix de la Grotte (Gr.3) avait donné un avant-goût du duel entre Zarigana et Shes Perfect , l’Emirates Poule d’Essai des Pouliches (Gr.1) 2025 en a été la grande symphonie - mais jouée sur un tout autre tempo.

Du rythme, cette fois dès le départ
Fini l’attentisme de la préparatoire : ici, le train est soutenu d’entrée. Shes Perfect , déjà allante dans « la Grotte », choisit cette fois de ne rien laisser au hasard. Elle imprime un rythme solide et linéaire, régulier et sans concession, bouclant les 1 200 premiers mètres en 1’ 11”48. Une base solide, un tempo sans à-coups, comme pour épuiser toutes celles qui n’auraient pas les moyens de suivre dans la phase finale.

Zarigana, une arme pour tous les scénarios
Mais derrière ce train contrôlé, une pouliche se fond dans le décor, loin de toute précipitation. Zarigana , patiente, discrète, 14,5 mètres derrière la leader à 400 mètres de l’arrivée. Et ce qui frappe, c’est sa polyvalence : capable de trancher sur 600 mètres dans une course sans rythme comme le Prix de la Grotte (où elle avait déjà claqué un partiel de 10”57), Zarigana est tout aussi capable de finir dans une course menée tambour battant. Et quelle fin de course ! Les derniers 600 mètres en 32’’50. Du 400 au 200, elle explose les compteurs : 10”47 sur cette portion, avec une vitesse maximale enregistrée à 70,49 km/h (!). Puis elle déroule jusqu’au poteau avec des 400 derniers mètres en 21” 78. Zarigana s’impose dans une arrivée mouvementée, en signant un nouveau record de l’épreuve en 1’34”05.

Shes Perfect : l’honneur de la tête et du cœur
Il serait injuste d’oublier la performance de Shes Perfect , irréprochable dans son rôle d’animatrice. Elle a tout pris à son compte, de la mise en action à la longue ligne droite. Elle trouve une rivale plus tranchante, mais ne cède qu’aux abords du poteau et conclut magnifique deuxième. Le duel entre les deux pouliches n’est peut-être pas terminé, mais il est déjà gravé dans la saison.

Mandanaba, la suite dans le Prix de Diane
Derrière, Mandanaba n’a pas démérité. Longtemps en observation, elle a très bien terminé et s’adjuge une méritante troisième place, dans une course au rythme constant. Cette pouliche longiligne au profil d’allongeuse aura toute sa place dans le Prix de Diane Longines (Gr.1), où les 2 100 mètres de Chantilly devraient parfaitement convenir à ses aptitudes.