Le cas de la Cilicie est, à cet égard, exemplaire. Dès son établissement dans la région, l’administration française se heurta à la résistance des nationalistes turcs, déterminés à combattre ce qu’ils considéraient comme une occupation étrangère. Face à cette menace, la stratégie des autorités françaises du Levant consista à s’appuyer sur les groupes non-turcs locaux : Arméniens, Arabes alawis, Kurdes et Tcherkez. L’une des manifestations les plus concrètes de cette politique fut justement le transfert en Cilicie de plusieurs dizaines de milliers d’Arméniens, pour la plupart originaires de la région, rescapés des déserts syrien et mésopotamien où ils avaient été déportés.
Le commandement allié décida, dès janvier 1919, de
rapatrier tous les déportés arméniens recueillis dans des camps en Syrie et en Palestine vers leur lieu d’origine, en Asie Mineure. Cette vaste opération fut confiée à la France qui en assuma aussi les frais. Un office s’occupant plus spécialement de cette question fut très vite mis sur pied à Alep. Le Service central des rapatriements arméniens s’occupa principalement de relocaliser les dizaines de milliers d’Arméniens originaires de Cilicie des camps d’Alep et de Beyrouth. C’est ce même Service qui s’occupa, nous l’avons dit, d’organiser la recherche des femmes et enfants enlevés durant la guerre et retenus dans des familles musulmanes.
Le commandement britannique était toutefois déterminé à accélérer le rythme de ces rapatriements, pour anticiper les éventuels incidents que pourrait engendrer la présence des réfugiés arméniens et ménager le régime de l’émir Fayçal, devenu le maître des régions comprises entre Alep et Damas2. Ces considérations conduisirent le commandement britannique à vider la région d’Alep de ses réfugiés arméniens, sans se soucier des conditions de vie lamentables engendrées par l’arrivée massive de ces déportés, le plus souvent démunis, en Cilicie. Des villes, des bourgs et des villages de Cilicie furent ainsi repeuplés par leur population arménienne de retour. ...
Les réfugiés arméniens dans le nouveau monde proche-oriental en formation
Entrée de la cavalerie française à Adana. Juin 1919 (Arch. F. Taillardat/B. Nubar/ Paris).