Savoir & Vivre
son, il n’est qu’un esclave de ses passions. Et on sou-
lève, ici en particulier, la morale militante et engagée.
Il n’est pas question de critiquer le militantisme social
et l’engagement dans son essence, au quotidien, il
est plutôt question de parler d’un mode particulier
de son expression. De nos jours, la société s’organise
en groupes sociaux sur la base des disparités sociales
(Intellectuelles, religieuses, ethniques, richesses), on
peut même aller vers un individualisme au vu de la
diversité des centres d’intérêt. Dans cette segmenta-
tion, l’individu, soumis au modèle de consommation
de masse, construit sa « bulle » dans laquelle l’idéal de
son bonheur gravite autour de biens matériels, de dé-
sirs exaucés et de gloire, la proportion du labeur étant
toujours escamotée. Lorsque l’individu est confronté
à la réalité sociale, à une autorité, sa bulle éclate et
ses émotions se déchainent, il manifeste sa colère et
entraine les autres avec lui. L’indignation dont il fait
l’objet le pousse par passion, à défendre des valeurs
morales qu’il s’est construit lui-même dans sa vie vir-
tuelle. Parfois, l’immoralité ne le dérange pas alors
qu’elle est loin de lui, oubliée par lui ; mais c’est au
moment où elle l’atteint personnellement qu’il s’al-
lume comme une allumette avant de s’éteindre par
la suite. Un gosse mort dans une flaque d’eau et les
manifestations fusent çà et là ; tout le monde se mo-
bilise lorsqu’il est trop tard, car personne n’a protégé
l’enfant en amont de l’incident et c’est en aval que
l’on surréagit, tentant d’extérioriser l’émotion, et puis
les mois passent et on arrête de penser à cela. Même
effet lorsque le prophète PBSL se fait insulter par des
caricaturistes athées, on sort, on crie et on rentre chez
soi pour oublier, comme si cette colère passionnelle
extériorisée allait changer quelque chose dans les
faits. On ne protège pas le prophète PBSL par une
conduite exemplaire spiritualisée, on se contente de
l’instinct grégaire pour protester. Le fonctionnement
de la société selon un modèle « On – Off » ou « coup
– contrecoup » est typique de la morale des passions.
Nous sommes ici face à l’identité du symbole et la mo-
rale du symbole qui se veulent dans l’action passion-
nelle et non dans la méditation spirituelle. Il faut sa-
voir que le scandale n’atteint pas un saint, il n’ébranle
pas un être fort de sa spiritualité, il ne scandalise que
les individus dont l’idéal est un symbole fragile. L’in-
dividu du symbole s’enflamme de colère dès que sa
référence idéale est atteinte. Il est scandalisé car non
seulement son identité est émiettée par l’indignation,
mais aussi il éprouve un désir inconscient de pratiquer
l’immoralité contre autrui (Sans doute par passion
réprimée). L’individu scandalisé n’a plus d’identité, il
se cherche et se conforte à travers l’action selon ce
modèle « On – Off ».
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Hiver 2018
Morale, je t’achète !
Dernière conséquence gravitant autour du modèle de
« l’idée-chose », la commercialisation de la morale.
Dans une société tournant au rythme de la matière, la
morale devient un bien de consommation. Faute de
morale sociale de proximité, d’individu à individu, on
a inventé la morale de masse, l’organisation associa-
tive ; tout comme le psychologue normalisé remplace
le confident de proximité. La publicité de la charité
détruit sa moralité première, désintéressée. Achetez
un pack de lait et quelques sous seront versés à telle
association, tel footballeur a fait don de quelques
millions de dollars pour telle œuvre caritative avec
un ou deux commentaires pleins d’émotivité. Ou bien
parfois, c’est l’inverse qui se produit, la personne mo-
rale est désintéressée et on en fait une figure emblé-
matique de la morale, qui se veut consolatrice d’une
précarité morale que l’on a tendance à excuser. L’être
spirituel n’a pas besoin de publicité pour être satisfait,
il s’autosuffit de sa spiritualité.
Une morale, une vie, un choix, une finalité
Voilà donc quelques conflits pratiques en rapport avec
la morale. Elles sont le reflet d’interactions sociales
complexes et sophistiquées, à la mesure de la sophis-
tication de l’esprit humain, souvent difficile à se cerner
lui-même. La difficulté à aborder le problème moral
dans la psychologie sociale réside dans la multiplicité
des paramètres pris en compte dans une construc-
tion morale et les disparités sociales. Toujours est-il
que l’approche du moraliste doit être impartiale dans
l’analyse des faits pour qu’elle puisse avoir un mini-
mum d’objectivité et de rationalité. L’homme moral,
n’apparaît pas tout seul, il se construit dans une réa-
lité sociale. D’où la nécessité de faire, quotidienne-
ment, le bilan de conscience. Être moral c’est un choix,
c’est aussi quelque part un sacrifice, pas d’un désir sur
l’autel d’un autre désir mais celui d’un désir sur l’autel
d’une vérité absolue qui émiette, par sa satisfaction,
toutes notion de sacrifice. La morale c’est aussi une fi-
nalité de vie, car ce n’est qu’avec l’âge et l’expérience
que se forme une réelle morale, spirituelle. Les as-
cendants sont l’apogée de la morale, c’est pour cette
raison qu’ils ne s’emportent pas, et leur inaction n’est
pas lâcheté ou hypocrisie, elle n’est que spiritualité.