une matière purement technique et utilitaire plutôt
qu’un espace de non matière et de spiritualité.
La gouvernance centralisée, par souci pratique et uti-
litaire, a fait de l’homme un engrenage dans la méca-
nique de la société lorsqu’elle le réduit à une somme
de qualifications techniques, de performances, d’éva-
luations quantitatives (Système de notation inhérent
à toute activité humaine) et de références normatives.
Même l’institution que constitue le mariage a été gan-
grénée par cette tendance mécanique : L’homme tra-
vaille et prend en charge financièrement la famille, la
femme travaille et / ou gère les tâches ménagères et
ce couple doit obligatoirement produire des enfants ;
Cette mécanique très normalisée aboutit parfois à des
aberrations, comme le cas de cette jeune femme que
je reçois en consultation d’obstétrique et qui est tom-
bée enceinte alors que son plus jeune enfant n’avait
pas clôturé six mois d’âge et l’actuelle grossesse de
cette femme n’émane pas d’un désir d’enfanter mais
d’une crainte d’un disfonctionnement organique : La
femme rapporte son inquiétude du fait qu’elle ne soit
pas tombée enceinte dans les six mois suivant son
accouchement ; car pour elle, l’utérus est un organe
qui doit remplir une fonction, il doit être gravide en
permanence. Même si les circonstances exactes de la
vie de cette femme sont imprécises, un problème se
soulève de lui-même sur la moralité de la situation.
Ce premier effet prive la construction morale de ses
différentes étapes évolutives, car l’individu mécanisé
ne peut éprouver l’expérience morale et la situation
morale. Ses rapports à la société n’impliquent pas de
composantes cognitives, passionnelles et spirituelles,
même sa socialisation est désocialisée.
La culpabilité… morale !
Le deuxième effet du modèle « idée-chose », et qui
s’inscrit en conséquence du premier, c’est l’approche
extrêmement culpabilisante de la vie morale. Et de
fait, l’enseignement moral nous prend toujours par
ce qui nous manque moralement, jamais par ce qui
nous définit dans la morale. La société ne récompense
presque jamais la conduite morale, mais s’empresse
de condamner et sanctionner l’immoralité. Autant le
scandale est une publicité du péché, autant le châti-
ment est la publicité de la morale. En morale pratique,
c’est le côté « pénal » qui prime sur le côté « moral
». Toujours dans l’approche culpabilisante de la réa-
lité morale, l’exemple de la morale religieuse ; le fait
d’avoir réduit la spiritualité à un ensemble de prin-
cipes, d’actions et de rituels, il est devenu exclu d’avoir
des problèmes lorsqu’on est croyant pratiquant. Et la
perception religieuse d’un problème social aboutira
vraisemblablement à plus d’actions religieuses : Si tu
te sens mal avec les autres, alors prie davantage ; si
tu as des problèmes de cœur, alors jeûne sans t’arrê-
ter. Le prédicateur répond à une attente, en matière
de règles, plus qu’à une question d’ordre spirituel. On
est même allé très loin dans cette approche culpa-
bilisante lorsqu’on a implicitement voulu déposséder
l’acte de foi de la passion humaine et du désir. Au-
trement dit, pour être plus proche de Dieu, il faudrait
être quelqu’un de totalement dépassionné et affec-
tivement inerte, car la passion et les désirs seraient
des impuretés qui dévient l’être de la foi. Comme le
dirait Nietzsche, parlant de la morale chrétienne, « il
faudrait s’arracher ses instincts ». Et encore une fois,
l’institution du mariage est le meilleur exemple qui il-
lustre cette idée : Il est musulman pratiquant, elle est
musulmane pratiquante, marions-les et pas de place à
l’expérience affective ; Pour être plus proche de Dieu,
je me refuse au mariage, c’est mieux de vivre ma foi
seule, dans la chasteté, idée calquée sur la morale
chrétienne du prêtre ; ou mieux encore, j’épouse un
handicapé, car plus mon engagement est difficile et
plus je souffre, plus je suis utile, moindre est mon dé-
sir et plus proche je serai de Dieu. Telle est la morale
mécanisée, normative et totalement déspiritualisée,
qui est restée au stade primitif d’une morale d’inter-
diction et de privation.
La morale, morte dans les bras de la mort
La troisième conséquence de la société de « l’idée-
chose » est la déspiritualisation de la mort, voir la ma-
térialisation de la mort. Jankélévitch disait, à propos
du défunt : « l’ipséité de la personne disparue demeure
irremplaçable, comme la disparition même de cette
personne demeure incompensable ». Le vide qui se
creuse lors de la dissolution mortem, sensé aboutir à
la réalité d’un monde métempirique et métaphysique
et l’acceptation de la mort, se retrouve prisonnier d’un
concept matérialiste. Devant la mort, la famille du
défunt, dans une recherche consolatrice, éprouve le
besoin de faire de l’évènement mortel une suite de ri-
tuels solennels excessivement tournés vers le monde
de la matière ; nous ne parlons pas ici de laver puis
draper le défunt avant de l’enterrer (Et qui est une
démarche à visée purement spirituelle de déposses-
sion et de dématérialisation obligatoire et nécessaire),
nous parlons ici du sarcophage en ébène, les draps en
soie et le costume funéraire luxueux, sans parler des
ornements et du mémorial érigé par la société à son
effigie. Steeve Jobs a été enterré avec des IPads, des
IPhones et autres gadgets. Dans une société tournée
vers la chose, le vide que creuse la dissolution mor-
tem ne peut avoir une portée morale spirituelle.
Une morale aveugle et hypocrite
La quatrième conséquence du modèle de « l’idée-
chose » est la morale des passions. L’individu, n’ayant
pas d’expérience morale, pas d’expérience de la rai-
ReMed Magazine - Numéro 4
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