ReMed 2018 ReMed Magazine N°4 - Cutting Edge | Page 27

une matière purement technique et utilitaire plutôt qu’un espace de non matière et de spiritualité. La gouvernance centralisée, par souci pratique et uti- litaire, a fait de l’homme un engrenage dans la méca- nique de la société lorsqu’elle le réduit à une somme de qualifications techniques, de performances, d’éva- luations quantitatives (Système de notation inhérent à toute activité humaine) et de références normatives. Même l’institution que constitue le mariage a été gan- grénée par cette tendance mécanique : L’homme tra- vaille et prend en charge financièrement la famille, la femme travaille et / ou gère les tâches ménagères et ce couple doit obligatoirement produire des enfants ; Cette mécanique très normalisée aboutit parfois à des aberrations, comme le cas de cette jeune femme que je reçois en consultation d’obstétrique et qui est tom- bée enceinte alors que son plus jeune enfant n’avait pas clôturé six mois d’âge et l’actuelle grossesse de cette femme n’émane pas d’un désir d’enfanter mais d’une crainte d’un disfonctionnement organique : La femme rapporte son inquiétude du fait qu’elle ne soit pas tombée enceinte dans les six mois suivant son accouchement ; car pour elle, l’utérus est un organe qui doit remplir une fonction, il doit être gravide en permanence. Même si les circonstances exactes de la vie de cette femme sont imprécises, un problème se soulève de lui-même sur la moralité de la situation. Ce premier effet prive la construction morale de ses différentes étapes évolutives, car l’individu mécanisé ne peut éprouver l’expérience morale et la situation morale. Ses rapports à la société n’impliquent pas de composantes cognitives, passionnelles et spirituelles, même sa socialisation est désocialisée. La culpabilité… morale ! Le deuxième effet du modèle « idée-chose », et qui s’inscrit en conséquence du premier, c’est l’approche extrêmement culpabilisante de la vie morale. Et de fait, l’enseignement moral nous prend toujours par ce qui nous manque moralement, jamais par ce qui nous définit dans la morale. La société ne récompense presque jamais la conduite morale, mais s’empresse de condamner et sanctionner l’immoralité. Autant le scandale est une publicité du péché, autant le châti- ment est la publicité de la morale. En morale pratique, c’est le côté « pénal » qui prime sur le côté « moral ». Toujours dans l’approche culpabilisante de la réa- lité morale, l’exemple de la morale religieuse ; le fait d’avoir réduit la spiritualité à un ensemble de prin- cipes, d’actions et de rituels, il est devenu exclu d’avoir des problèmes lorsqu’on est croyant pratiquant. Et la perception religieuse d’un problème social aboutira vraisemblablement à plus d’actions religieuses : Si tu te sens mal avec les autres, alors prie davantage ; si tu as des problèmes de cœur, alors jeûne sans t’arrê- ter. Le prédicateur répond à une attente, en matière de règles, plus qu’à une question d’ordre spirituel. On est même allé très loin dans cette approche culpa- bilisante lorsqu’on a implicitement voulu déposséder l’acte de foi de la passion humaine et du désir. Au- trement dit, pour être plus proche de Dieu, il faudrait être quelqu’un de totalement dépassionné et affec- tivement inerte, car la passion et les désirs seraient des impuretés qui dévient l’être de la foi. Comme le dirait Nietzsche, parlant de la morale chrétienne, « il faudrait s’arracher ses instincts ». Et encore une fois, l’institution du mariage est le meilleur exemple qui il- lustre cette idée : Il est musulman pratiquant, elle est musulmane pratiquante, marions-les et pas de place à l’expérience affective ; Pour être plus proche de Dieu, je me refuse au mariage, c’est mieux de vivre ma foi seule, dans la chasteté, idée calquée sur la morale chrétienne du prêtre ; ou mieux encore, j’épouse un handicapé, car plus mon engagement est difficile et plus je souffre, plus je suis utile, moindre est mon dé- sir et plus proche je serai de Dieu. Telle est la morale mécanisée, normative et totalement déspiritualisée, qui est restée au stade primitif d’une morale d’inter- diction et de privation. La morale, morte dans les bras de la mort La troisième conséquence de la société de « l’idée- chose » est la déspiritualisation de la mort, voir la ma- térialisation de la mort. Jankélévitch disait, à propos du défunt : « l’ipséité de la personne disparue demeure irremplaçable, comme la disparition même de cette personne demeure incompensable ». Le vide qui se creuse lors de la dissolution mortem, sensé aboutir à la réalité d’un monde métempirique et métaphysique et l’acceptation de la mort, se retrouve prisonnier d’un concept matérialiste. Devant la mort, la famille du défunt, dans une recherche consolatrice, éprouve le besoin de faire de l’évènement mortel une suite de ri- tuels solennels excessivement tournés vers le monde de la matière ; nous ne parlons pas ici de laver puis draper le défunt avant de l’enterrer (Et qui est une démarche à visée purement spirituelle de déposses- sion et de dématérialisation obligatoire et nécessaire), nous parlons ici du sarcophage en ébène, les draps en soie et le costume funéraire luxueux, sans parler des ornements et du mémorial érigé par la société à son effigie. Steeve Jobs a été enterré avec des IPads, des IPhones et autres gadgets. Dans une société tournée vers la chose, le vide que creuse la dissolution mor- tem ne peut avoir une portée morale spirituelle. Une morale aveugle et hypocrite La quatrième conséquence du modèle de « l’idée- chose » est la morale des passions. L’individu, n’ayant pas d’expérience morale, pas d’expérience de la rai- ReMed Magazine - Numéro 4 27