ReMed 2018 Remed 5 - Histoire de la Médecine | Page 24

Savoir & Vivre son vrai nom Lucius Apuleius, raconte les péripéties de Lucius, personnage qui avait des traits d’âne mais un cœur et un esprit humains. Médecine musulmane en Algérie D’une porte à une autre, des salles, puis des corridors, puis encore des corridors et des salles se multiplient invraisemblablement. Eclairés par des lampes d’une lumière pâle, troublante, ils laissent défiler sous nos yeux les patients, mus dans leur foulée par leurs peines ; les moins souffrants cherchant les mots pour crier leurs maux, les plus souffrants, invoquant de la sollicitude, font de leur silence une prière. Et puis les médecins, essayant tant bien que mal de se contenir, laissent échapper dans un soupir, une prière. Car la peine humaine, impuissante comme elle est, ne trouve de consolation que dans le mystique. Des offrandes aux pieds des autels, aux pleurs aux sépultures des Saints, le recours au mystique dans un espoir de guérison alourdit l’histoire des hommes. A titre d’exemple, un ensemble d’édifices religieux du nom d’Asclepieum a été retrouvé à Lambèse (Tazoult, wilaya de Batna), consacré à Esculape, dieu grec de la médecine et de la bonne santé. Avec sa fille Hygie, ils étaient adorés par les romanisés dans les cités berbé- ro-puniques, sur l’étendue de l’empire romain. De même la médecine, fruit d’une réflexion philosophique et d’un travail scientifique, fut depuis toujours étroitement liée au mysticisme. Apulée lui- même rapporte le recours des médecins aux incan- tations dans la pratique de leurs soins, et « qu’Ulysse connaissait les formules au moyen desquelles on ar- rête le sang qui s’échappe des blessures ». Avec l’avènement de l’Islam en Afrique du nord au VII ème siècle, le spiritualisme musulman prit le relais et s’ancra dans les croyances populaires. Les médecins s’inspirèrent alors du Coran et de la sunah pour établir une médecine naturaliste essentiellement basée sur l’hygiène de vie individuelle et communautaire et les mesures de prophylaxie. La succession de nombreuses souverainetés sur le territoire algérien ainsi que la position géographique charnière qu’occupe ce dernier, relais entre l’Orient et l’Andalousie et refuge des Andalous et des juifs, ont per- mis un essor remarquable en sciences médicales. Des Aghlabides aux Hammadites, passant par l’époque des Almohades, des Fatimides et des Zianides, de grandes villes telles que Bejaia et Tlemcen ont vu le jour, et sont devenues même, entre le VIII ème et le XV ème siècles, de véritables minarets civilisationnels. Dans la même optique, l’héritage scientifique et philosophique grec fut traduit, assimilé et adapté par la pensée arabe. Nous retrouvons à titre d’exemple la théorie des quatre humeurs qui fut introduite à la pensée arabe par les écoles d’Andalousie et du Moyen- 24 Printemps 2018 Orient, modifiée par Ibn Sina et Ibn Rochd. L’enseignement médical, délivré au sein des médersas (qui faisaient office d’Universités) qui étaient financées par les habous (waqf), se référençait aux œuvres de grands auteurs musulmans, tels que le Poème de Médecine d’Ibn Sina, El Harounya de Ed Dimachki, El Koulliyyat fi Tibb d’Ibn Rochd et même Hayy Ibn Yaqdhan de Ibn Tofail. Hassan al-Wazzan (Léon l’Africain), le diplo- mate et explorateur d’Afrique du Nord du XV ème au XVI ème siècle, décrivit dans ses œuvres de nombreux hôpitaux, notamment celui de Tlemcen bâti par Youcef Ibn Yacoub, et celui de Bejaïa, qui étaient des centres hospitaliers d’envergure avec un personnel qualifié de médecins naturalistes, d’infirmiers et de pharmaciens. Il décrivit aussi de nombreuses maladies régnant à son époque sur le territoire de l’actuelle Algérie, telles que l’épilepsie, l’éléphantiasis et les fièvres endémiques. La syphilis, quant à elle, a été décrite à Tlemcen, au XV ème siècle, ramenée par les juifs qui fuyaient l’Anda- lousie après la chute de Grenade. Ibn Khaldoun à son tour rapporte la notion de peste à plusieurs reprises, mais évoque également la récurrence des maladies des riches, telles que la goutte, dont ont été victimes plusieurs sultans. Médecine à l’époque ottomane Interpellant médecins et infirmiers dans un des cou- loirs, un parent d’un patient, terriblement coléreux, riposte contre leur grande attente au pavillon des urgences. « Ça fait deux heures que j’attends qu’on prenne en charge mon parent. Ce n’est pas possible. Je n’habite qu’à proximité, je suis prioritaire. » « Où résidez-vous, Monsieur ? » « Badjarrah. » Badjarrah, variante de Bachdjerrah, veut dire chirurgien-chef. A l’époque ottomane, la médecine pouvait être répartie en trois. D’abord la médecine militaire, sous la responsabilité du chirurgien-chef, encore appelé Amin des médecins, destinée aux janis- saires, aux soldats et aux navires militaires ; la méde- cine populaire essentiellement naturaliste, continuité de la médecine musulmane, où le médecin est appelé Hakim, qui s’exerçait dans les zaouïas principalement ; et enfin la médecine européenne destinée aux déte- nus, dans les hôpitaux érigés dans leurs bagnes. La santé publique était maintenue par les règles d’hygiène publique facilitée par l’installation des fon- taines publiques, des thermes et des réseaux d’assai- nissement. Toutefois, l’état de guerre permanent à cette époque a détérioré l’état de santé des habitants et han- dicapé l’épanouissement de la vie intellectuelle et scien- tifique. Ceci dit, selon Auguste Court : « Sous les Ottomans, même si la caste militaire turque misait d’abord sur la