ReMed 2017 ReMed Magazine N°3 - Lifestyle | Page 32

ReMed Magazine Littéra’ Tour
Un retour à la Nature La marche est aussi un moyen de découverte par ses propres sens de la nature: L’ esthétique dans la simplicité, les joies des silences et des symphonies éoliennes. Marcher, c’ est découvrir, « vivre » à la manière dont l’ entend Thoreau, un préalable à toute activité intellectuelle digne de ce nom. Ce dernier, poète naturaliste américain, affirmait du fond de sa cabane perdue dans les forêts de Walden, que « l’ être humain commence par les pieds ». Pour lui, accéder à un endroit isolé au bout de plusieurs heures d’ efforts, c’ est se l’ approprier, le graver dans son corps et dans sa mémoire. C’ est la gratification de l’ exploit, et la satisfaction que le marcheur vient chercher. Ce dernier affirme qu’ « il est vain de s ' asseoir pour écrire quand on ne s ' est jamais levé pour vivre ». Ce ressourcement dans la nature, et ces aventures au plein air, sont chers aux auteurs romantiques, qui y trouvent leur inspiration. C’ est aussi le cas de l’ écrivain anglais Stevenson, qui déclarait qu’ il n’ écrivait qu’ au retour de longues escapades,( Certains tracés de randonnée en France gardent toujours son nom) qui lui fournissaient la matière nécessaire à ses histoires.
Une quête de sens Sous forme de pèlerinage ou de processions mystiques, on retrouve souvent un lien étroit entre la marche et le spirituel. En effet, de pareilles démarches qui nécessitent de tout laisser derrière soi, et s’ inscrire dans un long et tortueux périple sont propices aux réflexions solitaires, aux révélations mystiques, et aux rétrospections. Ce qui nous renvoie aux mots de l’ anthropologue David Le Breton: « c’ est dans la trame du chemin que se cache le fil de l’ existence ». Que ce soit vers la Mecque, ou sur les sentiers de Compostelle, nombre de religions, exhortent à voyager dans le dépouillement total, et la dévotion absolue, en quête d’ une divinité. La piété du marcheur est alors mise à l’ épreuve, ainsi que son corps et son esprit. Il rejoint, un long cortège d’ âmes et de pieds qui ont foulé ces mêmes chemins millénaires dans un même but, celui d’ accéder au créateur, mais aussi peut-être d’ accéder à eux-mêmes, et au sens de leur propre existence. Le chemin devient alors une longue prière, les rencontres un signe divin, les peines une expiation, et la mort une salvation. Véritables quêtes de sens, les pèlerinages sont présents sous d’ autres formes dans beaucoup de cultures. On peut citer, les Huichols, tribu du Mexique, qui parcourent 800 kilomètres, dans le dénuement le plus total à travers montagnes et déserts, respectant un tracé millénaire. Ce périple, sert à forger les hommes de la tribu, à honorer leurs ancêtres et leurs divinités, et à s’ approvisionner en champignons hallucinogènes. Consommés sur le chemin du retour, ces champignons font de la procession une marche aux allures de transe mystique par laquelle on est sensé accéder à la sagesse des anciens.
Une forme de contestation La marche peut être une manière d’ exprimer sa pensée, ou être un acte engagé, c’ est d’ ailleurs la forme que prennent couramment les manifestations. Elle devient alors un mouvement collectif, elle défraie avec l’ inactivité, et revendique l’ avancée et le changement. Symbole de vie, d’ action et d’ engagement, la marche s’ est imposée dans l’ histoire des contestations et des revendications. On peut prendre exemple, de la poétesse vietnamienne Ho Xuan Huong, au XVIIIe siècle, qui fit de la marche un moyen de s’ émanciper et de s’ affirmer dans sa société. Mais aussi, la marche du Sel de Ghandi, en 1930, un long périple où, sur plusieurs centaines de kilomètres, l’ homme âgé de 60 ans, accompagné par un groupe croissant de militants, défia le colonisateur anglais, en allant ramener du sel des villes côtières de l’ inde et contourner l’ embargo imposé sur la denrée. Ou encore, des marches contre le racisme de Luther King, achevées par son célèbre discours.
Une activité urbaine Contrairement à ce que l’ on pourrait croire, la marche n’ est pas strictement réservée aux amoureux de la nature. Il s’ agit aussi d’ une activité qui s’ exerce aussi en ville. Les paysages urbains fourmillent de détails, et le mouvement constant est une manne pour tous ceux qui veulent y prêter attention. Comme le montre le personnage du « flâneur » de Rimbaud, le poète marcheur, l’ homme aux sandales de vent, ou encore le personnage de l’« Homme de la foule » de E. A Poe. Flâner qualifie l’ action du penseur et de l’ observateur passionnés, qui traversent la ville, sans chemin préétabli et sans destination précise, dans le but d’ en absorber l’ essence, et d’ en retranscrire l’ âme. Vision qui se développera encore plus tard dans la marche des Surréalistes, tel qu’ André Breton, et chez les petits groupes de réflexion des situationnistes. Tohubohu, brouhaha, fresques humaines, à chaque passage piéton, des milliers d’ histoires derrières chaque mur, et sur chaque pavé, autant de trésors pour les flâneurs, ces marcheurs urbains.
Un pied de nez à la modernité Nous vivons à l’ air de l’ anachronisme corporel. Tout est mis en œuvre pour minimiser les déplacements, vers l’ homme statique, amorphe, enraciné. Et lorsqu’ ils sont nécessaires, alors tout est fait pour en réduire le temps, pour effacer le voyage. Le déplacement est motorisé, l’ homme perd la notion de l’ espace, de la distance, il est détaché de son environnement, et s’ entiche d’ un autre, virtuel. L’ essence se substitue au sens, au prix d’ une course effrénée à la poursuite d’ un temps dont on ne saurait profiter. C’ est cette dématérialisation du corps, que l’ on entretient d’ une manière mécanique dans une salle, pour le replacer dans un fauteuil, ou derrière un volant, qui entraine la remontée spectaculaire de la marche dans les activités de loisir.
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