ReMed Magazine Littéra’Tour
“Ambulo Ergo Sum”
M’hamed BELBOUAB
Mettre un pied devant l'autre, pour une destination, ou pour un inconnu, dans un but ou sans, c'est ce que l'on appelle
marcher. Les voyages, les pèlerinages, les randonnées, les promenades, les flâneries, tant de formes d'un seul et même
mouvement perpétuel, celui du corps dans l'espace, celui de l'esprit dans le paysage. On marche pour se « vider la tête
», « s'aérer l'esprit », mais aussi surtout et le plus souvent uniquement dans le but d’« entretenir sa forme ». Mais est-ce
tout ce que la marche a à nous offrir ? n’y a-t-il pas d’autres dimensions à la marche ? Cheminement qui nous laisse
entrevoir que du marcheur au penseur il n’y a peut-être qu’un pas.
La marche, un simple exercice physique ?
D
epuis l'aube des temps, l'Homme marche pour sur-
vivre. En effet, L'Homo Sapiens a d'abord été Erec-
tus, et l'errance semble avoir participé à l'essor de ses
découvertes et de sa pensée. Considérée par beaucoup
comme un simple moyen de locomotion, ou comme
un moyen d’entretenir son corps, on retrouve à travers
l’histoire plusieurs penseurs qui lui trouvent bien d’au-
tres avantages, parmi eux Aristote.
Surnommé le peripatetikós (en grec « qui aime se
promener »), la légende voudrait qu'il ait enseigné à
ses disciples en marchant. Ils arrivaient au gymnase
dès l'aube, puis l'arpentaient longuement, s'exerçant
avant l'activité physique, à la philosophie. Bien des
penseurs de son époque semblaient eux aussi trouver
des vertus à la marche, à l’instar des Sophistes, Protag-
oras le premier, qui vendent leur savoir en marchant.
Mais aussi des cyniques, comme Diogène, qui, armé de
son célèbre bâton déambule dans Athènes. Ou encore
Socrate et ses compagnons. Mais cet engouement ne
s’arrête pas à l’antiquité.
Un outil de réflexion
La marche comme tant d’autres activités répétitives,
crée un interstice propice à la pensée, et catalyse la
réflexion. Cependant, la déambulation dans la nature,
ou dans la ville, l’expérience de l’espace, et l’effort phy-
sique qui l’accompagnent en font pour beaucoup un
outil sans pareil, une manière d’astreindre l’intellect au
charnel.
Parmi ceux-là, Kant. Si elles sont d’abord dans un but
hygiénique, les promenades quotidiennes de Kant dans
Königsberg (sa ville natale qu'il n'a jamais quittée)
s’étaient vite avérées être vitales pour le philosophe.
Il devint ainsi un véritable métronome de la ville. La
tradition rapporte que Kant ne modifia son emploi
du temps immuable et la trajectoire de sa prome-
nade quotidienne que deux fois durant toute sa vie.
Ceci n’empêche pas Nietzche de décrier sa manière de
marcher qui, selon lui se rapproche plus de l’entretien
physique que psychique.
En effet, la figure de proue des penseurs adeptes de la
marche est Nietzsche. Il n’a cessé de marcher, jusqu’à 6
heures par jours, seul ou en groupe dans toute l’Europe,
avant d’être frappé par la maladie et la folie et finir sa
vie sur une chaise roulante. Véritable penseur du plein
air, pour lui la marche n’est pas une pratique accessoire,
comme elle pouvait l’être chez Kant, mais une condi-
tion sine qua none de la pensée. Dans ses enseigne-
ments figuraient : « ne prêter foi à aucune pensée qui
n'ait été composée au grand air, dans le libre mouve-
ment du corps - à aucune idée où les muscles n'aient
été eux aussi de la fête. » D’ailleurs, il ne