ReMed 2017 ReMed Magazine N°3 - Lifestyle | Page 31

ReMed Magazine Littéra’Tour “Ambulo Ergo Sum” M’hamed BELBOUAB Mettre un pied devant l'autre, pour une destination, ou pour un inconnu, dans un but ou sans, c'est ce que l'on appelle marcher. Les voyages, les pèlerinages, les randonnées, les promenades, les flâneries, tant de formes d'un seul et même mouvement perpétuel, celui du corps dans l'espace, celui de l'esprit dans le paysage. On marche pour se « vider la tête », « s'aérer l'esprit », mais aussi surtout et le plus souvent uniquement dans le but d’« entretenir sa forme ». Mais est-ce tout ce que la marche a à nous offrir ? n’y a-t-il pas d’autres dimensions à la marche ? Cheminement qui nous laisse entrevoir que du marcheur au penseur il n’y a peut-être qu’un pas. La marche, un simple exercice physique ? D epuis l'aube des temps, l'Homme marche pour sur- vivre. En effet, L'Homo Sapiens a d'abord été Erec- tus, et l'errance semble avoir participé à l'essor de ses découvertes et de sa pensée. Considérée par beaucoup comme un simple moyen de locomotion, ou comme un moyen d’entretenir son corps, on retrouve à travers l’histoire plusieurs penseurs qui lui trouvent bien d’au- tres avantages, parmi eux Aristote. Surnommé le peripatetikós (en grec « qui aime se promener »), la légende voudrait qu'il ait enseigné à ses disciples en marchant. Ils arrivaient au gymnase dès l'aube, puis l'arpentaient longuement, s'exerçant avant l'activité physique, à la philosophie. Bien des penseurs de son époque semblaient eux aussi trouver des vertus à la marche, à l’instar des Sophistes, Protag- oras le premier, qui vendent leur savoir en marchant. Mais aussi des cyniques, comme Diogène, qui, armé de son célèbre bâton déambule dans Athènes. Ou encore Socrate et ses compagnons. Mais cet engouement ne s’arrête pas à l’antiquité. Un outil de réflexion La marche comme tant d’autres activités répétitives, crée un interstice propice à la pensée, et catalyse la réflexion. Cependant, la déambulation dans la nature, ou dans la ville, l’expérience de l’espace, et l’effort phy- sique qui l’accompagnent en font pour beaucoup un outil sans pareil, une manière d’astreindre l’intellect au charnel. Parmi ceux-là, Kant. Si elles sont d’abord dans un but hygiénique, les promenades quotidiennes de Kant dans Königsberg (sa ville natale qu'il n'a jamais quittée) s’étaient vite avérées être vitales pour le philosophe. Il devint ainsi un véritable métronome de la ville. La tradition rapporte que Kant ne modifia son emploi du temps immuable et la trajectoire de sa prome- nade quotidienne que deux fois durant toute sa vie. Ceci n’empêche pas Nietzche de décrier sa manière de marcher qui, selon lui se rapproche plus de l’entretien physique que psychique. En effet, la figure de proue des penseurs adeptes de la marche est Nietzsche. Il n’a cessé de marcher, jusqu’à 6 heures par jours, seul ou en groupe dans toute l’Europe, avant d’être frappé par la maladie et la folie et finir sa vie sur une chaise roulante. Véritable penseur du plein air, pour lui la marche n’est pas une pratique accessoire, comme elle pouvait l’être chez Kant, mais une condi- tion sine qua none de la pensée. Dans ses enseigne- ments figuraient : « ne prêter foi à aucune pensée qui n'ait été composée au grand air, dans le libre mouve- ment du corps - à aucune idée où les muscles n'aient été eux aussi de la fête. » D’ailleurs, il ne