ReMed Magazine Littéra’Tour
Le triomphe d'un modèle universel
« Si on fait l'histoire des batailles, écrit C. Maurel, le
colonialisme a échoué. Il suffit de faire l'histoire des
mentalités pour s'apercevoir qu'il est la plus grande
réussite de tous les temps. Le plus beau fleuron du
colonialisme, c'est la farce de la décolonisation... Les
Blancs sont passés en coulisses, mais ils restent les
producteurs du spectacle. » Sans commentaire.
L'apothéose de la science et de la technique
Comme le dit René BUREAU : « Quand on est capable
de construire des engins de cent tonnes qui montent
en dix minutes à dix kilomètres de hauteur, on a des
droits sur ceux qui n'ont pas inventé la roue voilà ce
que nous croyons, avouez-le. » La technique est deve-
nue un moyen de colonisation des corps et des esprits
à travers une nouvelle divinité : la science.
Le marché unique et le mythe du développement
L'Europe a créé un seul marché mondial, intégrant les
communautés mondiales et scellant leur destin pour
plusieurs siècles. Nous citons les Antilles qui sont con-
damnées par la providence occidentale à produire du su-
cre et le Kenya à fournir du café pour les multinationales.
La standardisation de l'imaginaire
« L'acceptation de fait de la technique dans son utilisa-
tion quotidienne, la croyance partagée dans la science
comme source des merveilles de la technique, la sujé-
tion forcée à l'économique, le tout réactivé, renforcé par
l'invasion culturelle, constituent des facteurs irrésist-
ibles de standardisation de l'imaginaire. »
Il s'agit de la conception du temps et de l'espace, du
rapport à la nature, du rapport à l'homme lui-même.
Toute la planète vit dans l'ère chrétienne et sur la base
de l'heure GMT. Les autres ères notamment l'hégire
pour l'Islam, les ères bouddhiques ainsi que l'Année du
dragon ne réalisent que quelques survivances folklor-
iques et ont peu de prise sur les horaires des avions.
La plupart des signes de citoyenneté sont Made in USA
« Le monde est une vaste manufacture, mais le logiciel
reste américain.... Société jeune, artificielle et sans rac-
ines, elle s'est construite en fusionnant les apports les
plus divers. »
Il est désormais possible d’entendre sortir d'un transis-
tor au fin fond de la savane africaine les derniers tubes
populaires à New York, d’un coin perdu de la jungle du
Sud-Est asiatique voir un paysan boire un Coca-Cola...
Les peuples du monde ont dû s'identifier à l'adversaire
et désirer sa puissance. Copier les maîtres est devenu
une nécessité pour survivre, leur ressembler c’est être
accepté par eux pour espérer devenir, un jour, l’un d’eux.
Ainsi, suivre l'American way of life aboutit à une indif-
férenciation des êtres humains au niveau planétaire. Il
ne s'agit pas d'un triomphe de l'humanité, mais d'un
triomphe sur l'humanité, et comme les colonisés de na-
guère, les frères sont aussi et d'abord des sujets. Cerné
28
ReMed
Automne 2017
par les batteries de critères de l’ONU, le peuple du tiers
monde est vaincu. Il s'avoue vaincu. « Plus simplement,
n'ayant plus d'yeux pour se voir, de parole pour se dire,
de bras pour agir, la société blessée adopte le regard
de l'Autre, se dit avec la parole de l'Autre, s'agit avec
les bras de l'Autre. L'adoption du jugement de l'Autre
entraîne l'adoption de l'action qu'il conçoit. Jugée inter-
nationalement sous-développée et le devenant chaque
jour davantage, la société du tiers monde n'a d'autre
ressource que d'inscrire son action dans le cadre d'une
stratégie de développement. Conséquence nécessaire
de l'autocolonisation, le développement est donc bien
la poursuite, le prolongement de la colonisation. »
Ainsi s'universalise l'ambition au développement qui
est l'aspiration au modèle de consommation occi-
dental, à la puissance magique des Blancs. Aspirer au
développement signifie adopter la technique comme
moyen et revendiquer pour son propre compte l'occi-
dentalisation, pour être plus occidentalisé afin de s'oc-
cidentaliser encore plus.
Or cette aspiration n'est pas compatible avec le main-
tien de ses coutumes et mœurs traditionnelles. La rup-
ture avec celles-ci constitue une condition préalable
au progrès économique. Ce qui est requis s'apparente
donc à une désorganisation sociale. En rongeant les
cultures dans lesquelles il évolue, l’Occident apparait
ainsi sous un aspect d’autophage.
L’invasion « culturelle »
« Des flux « culturels » à sens unique partent des pays
du Centre et inondent la planète ; images, valeurs mo-
rales, normes juridiques, codes politiques, critères de
compétence se déversent par les médias (journaux, ra-
dios, télés, films, livres, vidéos). » En exemple, la France
offre 5200 heures annuelles de programmes gratuits
à l’Afrique. Les retombées sont autant politiques que
symboliques. L’importance de la langue dans la créa-
tion et la transmission de la culture (Français-Algérie),
et l’existence de facto de l’anglais comme langue de
communication mondiale renforcent encore l’appar-
ence de cet imperium.
Ces flux d’information transnationaux ne peuvent pas
ne pas « informer » les désirs et les besoins, les formes
de comportement, les mentalités, les systèmes d’édu-
cation, les modes de vie des récepteurs. La perte de
l’identité culturelle qui en résulte est incontestable ;
elle contribue à déstabiliser. C’est par le don et non par
la spoliation que se produit la dépossession de soi-
même et l’asphyxie de la créativité culturelle chez les
capteurs passifs. Il est possible de se défendre contre
les armes mais pas contre le don.
L’Occident comme anticulture
« L’Occident propose une humanité de frères et d’égaux,
toujours mieux nourris, mieux logés, mieux soignés.
Toutefois, dans le même temps, ce « mieux » repose
sur l’élimination du « bien » pour toute une fraction de
l’humanité. »