ReMed 2017 ReMed Magazine N°3 - Lifestyle | Page 29

ReMed Magazine Littéra’Tour L'échec est inscrit au cœur même du projet occidental; c'est le revers de la performance. Sur le plan « cul- turel », il s'agit d'une contradiction avec la dimension universaliste du projet. Il incarne un darwinisme social qui élimine les moins performants ; de ce point de vue, il est le contraire d'une culture, qui apporte une solu- tion au défi de l'être pour tous ses membres. Le plus grand défaut de l'occidentalisation est son im- possibilité d’assurer l’égalité. Les non-Occidentaux ne peuvent être transformés en Blancs..., le projet civili- sateur se heurte à la contradiction insoluble qu'on ne peut être maître et égal. Toutefois, la soumission de la planète à une race supérieure est un projet contraire au processus d'assimilation et d'uniformisation. Par ailleurs, la crise de l’environnement et le dépasse- ment d'ores et déjà de l'empreinte écologique, résultats de la croyance que l’homme se doit de dominer la na- ture, montrent l'impossible généralisation du mode de vie occidental. Le développement économique engen- dre le sous-développement ou du moins l'implique par un processus de destruction créatrice. Déculturation et sous-développement CASTORIADIS note très pertinemment : « Les tech- niques du pouvoir, c'est-à-dire les techniques d'abru- tissement collectif, il y a un haut-parleur dans tous les villages qui diffuse le discours du chef, il y a une télévision qui donne les mêmes nouvelles, etc. N'im- porte quel caporal dans n'importe quel pays du tiers monde sait manier les jeeps, les mitraillettes, les hom- mes, la télévision, les discours et les mots "socialisme", "démocratie" et "révolution". Les gouvernements s’en- gagent dans un mimétisme grotesque faisant de l’im- port/import sans aucune lecture socio-historique. De la sorte, « l'Afrique de l'Ouest subsaharienne s'est dotée du plus bel ensemble d'institutions françaises : consti- tutions, codes civils, règlements d'urbanisme, système de crédit, organisations pédagogiques. Bien sûr, ceci est tout aussi inadapté et absurde que les chasse-neige so- viétiques de Conakry (Guinée). » Les limites de l'occidentalisation du monde L'échec du développement Ce qui est proposé aux populations du tiers monde en remplacement de leur identité culturelle perdue con- siste en une identité nationale absurde et une apparte- nance fallacieuse à une communauté universelle. La première est absurde théoriquement et pratiquement. Théoriquement, car la nation n'a pas de sens dans une communauté universelle, pratiquement, car le modèle étatique proposé par l'Occident conteste les matura- tions identitaires locales. La seconde est fallacieuse car le statut d'homme, est défini par la quantité des richesses disponibles. « Ni citoyen du monde, car le suf- frage est censitaire, ni membre d'une ethnie, puisque tout cela a été détruit, ni national d'aucun État authen- tique, car la politique « nationalitaire » des États, nés artificiellement de la décolonisation, n'a d'autre racine à offrir qu'un mimétisme généralisé ; « l'occidentalisé » du tiers monde est un clochard. » L’échec se traduit par l’insertion des seules élites dans la modernisation, tandis que les masses sont margin- alisées. L’élite, imbibée par un discours binaire ; la lu- mière occidentale versus la noirceur tiers-mondiste, appelle sa population à un suicide collectif en s’ampu- tant de son identité, reniant son origine et à la haine de soi. Mais ledit appel est voué à une impasse tragique ; « il faut se moderniser pour survivre, mais il faut se détruire pour se moderniser. » Que produire, qu'inventer, que consommer, que croire? La même chose que les autres mais plus, mieux et moins cher. « L'individualisme s'insinue partout dans les sociétés non occidentales. Or la mentalité individualiste con- stitue un ferment de décomposition du lien social. Ce qui rend l'individualisme irrésistible, c'est qu'à chacun il apparaît comme une libération. Il émancipe, en effet, des contraintes et ouvre des possibles sans limites ». Les rapports entre les cultures sont hiérarchisés selon leurs résultats économiques, ainsi, tous les problèmes de « sous-développement » du tiers monde sont tech- niques et ont besoin d’intervenions d’experts en tech- nique pour trouver des solutions techniques. Ce qui est dramatique, c’est le conditionnement de l'in- dépendance politique par les résultats économiques. « De larges pans du système productif des pays sous-développés, écrit Gérard GRELLET, sont contrôlés par des intérêts étrangers, soit sans articulation avec le reste de l'économie, de sorte qu'un développement autonome s'avère impossible. » Survivances, résistances et détournements L'uniformisation planétaire se heurte à des limites. Le tiers-mondiste pas comme le Blanc, n'utilise pas les mêmes objets, n'habite pas de la même façon, ne vit pas ses loisirs de manière identique. Ses villes sont aussi des miracles. En dépit des statistiques, on y vit ! Le fait que les objets de la société de consommation sont détournés pour un usage différent de celui des so- ciétés occidentales, est vu comme le signe d'une inca- pacité congénitale à s'adapter à la vie civilisée et non comme le témoignage émouvant de la reconstitution des différences. On est ingénieux sans être ingénieur, entreprenant sans être entrepreneur. La disqualifica- tion de fait au sein du système n'exclut pas de saisir une seconde chance hors du système. Ces résistances à la tentation de l'Occident sont une source d'espoir et laissent anticiper que la mort de l'Occident ne sera pas nécessairement la fin du monde... Numéro 3 ReMed 29