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L'échec est inscrit au cœur même du projet occidental;
c'est le revers de la performance. Sur le plan
« cul-
turel », il s'agit d'une contradiction avec la dimension
universaliste du projet. Il incarne un darwinisme social
qui élimine les moins performants ; de ce point de vue,
il est le contraire d'une culture, qui apporte une solu-
tion au défi de l'être pour tous ses membres.
Le plus grand défaut de l'occidentalisation est son im-
possibilité d’assurer l’égalité. Les non-Occidentaux ne
peuvent être transformés en Blancs..., le projet civili-
sateur se heurte à la contradiction insoluble qu'on ne
peut être maître et égal. Toutefois, la soumission de la
planète à une race supérieure est un projet contraire au
processus d'assimilation et d'uniformisation.
Par ailleurs, la crise de l’environnement et le dépasse-
ment d'ores et déjà de l'empreinte écologique, résultats
de la croyance que l’homme se doit de dominer la na-
ture, montrent l'impossible généralisation du mode de
vie occidental. Le développement économique engen-
dre le sous-développement ou du moins l'implique par
un processus de destruction créatrice.
Déculturation et sous-développement
CASTORIADIS note très pertinemment : « Les tech-
niques du pouvoir, c'est-à-dire les techniques d'abru-
tissement collectif, il y a un haut-parleur dans tous
les villages qui diffuse le discours du chef, il y a une
télévision qui donne les mêmes nouvelles, etc. N'im-
porte quel caporal dans n'importe quel pays du tiers
monde sait manier les jeeps, les mitraillettes, les hom-
mes, la télévision, les discours et les mots "socialisme",
"démocratie" et "révolution". Les gouvernements s’en-
gagent dans un mimétisme grotesque faisant de l’im-
port/import sans aucune lecture socio-historique. De la
sorte, « l'Afrique de l'Ouest subsaharienne s'est dotée
du plus bel ensemble d'institutions françaises : consti-
tutions, codes civils, règlements d'urbanisme, système
de crédit, organisations pédagogiques. Bien sûr, ceci est
tout aussi inadapté et absurde que les chasse-neige so-
viétiques de Conakry (Guinée). »
Les limites de l'occidentalisation du monde
L'échec du développement
Ce qui est proposé aux populations du tiers monde en
remplacement de leur identité culturelle perdue con-
siste en une identité nationale absurde et une apparte-
nance fallacieuse à une communauté universelle. La
première est absurde théoriquement et pratiquement.
Théoriquement, car la nation n'a pas de sens dans une
communauté universelle, pratiquement, car le modèle
étatique proposé par l'Occident conteste les matura-
tions identitaires locales. La seconde est fallacieuse
car le statut d'homme, est défini par la quantité des
richesses disponibles. « Ni citoyen du monde, car le suf-
frage est censitaire, ni membre d'une ethnie, puisque
tout cela a été détruit, ni national d'aucun État authen-
tique, car la politique « nationalitaire » des États, nés
artificiellement de la décolonisation, n'a d'autre racine
à offrir qu'un mimétisme généralisé ; « l'occidentalisé »
du tiers monde est un clochard. »
L’échec se traduit par l’insertion des seules élites dans
la modernisation, tandis que les masses sont margin-
alisées. L’élite, imbibée par un discours binaire ; la lu-
mière occidentale versus la noirceur tiers-mondiste,
appelle sa population à un suicide collectif en s’ampu-
tant de son identité, reniant son origine et à la haine de
soi. Mais ledit appel est voué à une impasse tragique
; « il faut se moderniser pour survivre, mais il faut se
détruire pour se moderniser. »
Que produire, qu'inventer, que consommer, que croire?
La même chose que les autres mais plus, mieux et
moins cher.
« L'individualisme s'insinue partout dans les sociétés
non occidentales. Or la mentalité individualiste con-
stitue un ferment de décomposition du lien social. Ce
qui rend l'individualisme irrésistible, c'est qu'à chacun
il apparaît comme une libération. Il émancipe, en effet,
des contraintes et ouvre des possibles sans limites ».
Les rapports entre les cultures sont hiérarchisés selon
leurs résultats économiques, ainsi, tous les problèmes
de « sous-développement » du tiers monde sont tech-
niques et ont besoin d’intervenions d’experts en tech-
nique pour trouver des solutions techniques.
Ce qui est dramatique, c’est le conditionnement de l'in-
dépendance politique par les résultats économiques.
« De larges pans du système productif des pays
sous-développés, écrit Gérard GRELLET, sont contrôlés
par des intérêts étrangers, soit sans articulation avec
le reste de l'économie, de sorte qu'un développement
autonome s'avère impossible. »
Survivances, résistances et détournements
L'uniformisation planétaire se heurte à des limites. Le
tiers-mondiste pas comme le Blanc, n'utilise pas les
mêmes objets, n'habite pas de la même façon, ne vit
pas ses loisirs de manière identique. Ses villes sont
aussi des miracles. En dépit des statistiques, on y vit !
Le fait que les objets de la société de consommation
sont détournés pour un usage différent de celui des so-
ciétés occidentales, est vu comme le signe d'une inca-
pacité congénitale à s'adapter à la vie civilisée et non
comme le témoignage émouvant de la reconstitution
des différences. On est ingénieux sans être ingénieur,
entreprenant sans être entrepreneur. La disqualifica-
tion de fait au sein du système n'exclut pas de saisir
une seconde chance hors du système. Ces résistances
à la tentation de l'Occident sont une source d'espoir et
laissent anticiper que la mort de l'Occident ne sera pas
nécessairement la fin du monde...
Numéro 3
ReMed
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