ReMed 2016 ReMed Magazine N°1 - Nervous System | Page 57

Art brut : essai de classi�ication : Outre le monde des artistes connus et reconnus dont on a cité les noms précédemment, il existe aussi un groupe riche et varié de créateurs qu'on ne peut réduire à des artistes professionnels, et encore moins of�iciels : les malades mentaux vrais, pensionnaires des hôpitaux psychiatriques, extraordinaires créateurs de motifs et capables de produire des œuvres puissantes. Hans Prinzhorn, célèbre psychiatre, disait que les artistes aliénés sont des artistes à l'état de nature, non corrompus par la société et ayant accès à des vérités ultimes. De par leur manque de culture artistique, et donc l'absence de mimétisme, ils sont capables de créer des œuvres exclusives ne se rattachant à aucune tendance stylistique ou mouvement historique. C'est ainsi que, en voulant classi�ier spéci�iquement les œuvres des malades mentaux, Jean Dubuffet, peintre et défenseur de l'art en dehors du "mainstream" après avoir rassemblé une collection de dessins d'enfants tourna son attention vers les œuvres des malades mentaux et invente le terme d'"art brut". Dubuffet, comme Nietzsche, estime que les artistes sont par dé�inition des êtres asociaux dont les pouvoirs d'innovation proviennent d'un refus de se contenter de l'ordre des choses. Pour lui, la folie se situe à l'apogée de l'individualisme, et ses jaillissements créatifs sont particulièrement aboutis et homogènes. Les artistes malades mentaux tirent tout de leur propre fond et non pas de poncifs de l'art classique ou de l'art à la mode. Leur opération artistique est pure, brute, réinventée de l'entier de toutes ses phrases par son auteur à partir seulement de ses propres impulsions. Parmi les exemples classiques de créateurs d'art brut Adolf Wol�li, paysan suisse et ex-patient aujourd'hui considéré comme l'artiste brut par excellence. Souvent violent, il passe de longues périodes en chambre d’isolement. Il commence donc à dessiner spontanément, à écrire, à composer de la musique et comme ces activités paraissaient le calmer, ses médecins lui préparent le matériel. En 1899, il enfonce la porte de sa cellule et casse une fenêtre. Est-ce pour s’enfuir ? Il le "pourrait", mais ne le fait pas. Il réinvente tout : l’histoire, la géographie, la religion, la musique, etc. Les portées de musique chez lui ont une fonction aussi bien plastique que musicale. On pourrait dire que le dessin devient musique, la note dessinée relève autant du signe musical que de la forme décorative. Les �leuves, les routes, souvent représentés par des portées de musique, font entendre leur chant. Il joue avec les formes et les thèmes comme il le fait avec les mots. Il excelle dans les inventions plastiques. Il joue avec les associations de perspectives contraires, les différents points de vue révèlent des réseaux complexes ; les éléments ornementaux ont une fonction aussi bien décorative que rythmique. Cependant, il ne devient certes plus jamais sain pour la société, mais en tant qu’artiste dans sa cellule, il développe un nouveau sentiment de sa propre valeur sur la base de sa propre production artistique qui n’est pas par hasard ouverte au cours artistique sur une histoire de réception. En conclusion : L'intérêt que porte notre siècle à l'art des malades mentaux n'a cessé de croı̂tre. La folie est tellement associée à l’archétype de l’artiste excentrique qu’elle est même devenue une pose. De Dali à Billy Joe Armstrong de Green Day ou Eminem, passer pour un fou est devenu un classique, presque un «must have» sur un CV d’artiste. Un culte de «l'artiste fou», comme si la formation quali�iante pour avoir ce statut n'était plus les Beaux-Arts, mais un séjour en hôpital psychiatrique ou en centre de désintoxication. En effet, on se presse toujours dans les expositions qui dévoilent une production née en dehors des circuits culturels ; mais qu’est-ce qui motive cet engouement ? Est-ce l’amusant suscité par l’irrévérence de quelques anonymes envers le milieu de l’art ? Une curiosité inassouvie pour la face cachée de société ? Ou peut-être le sentiment troublant que tous ces actes créateurs nous interrogent sur nous-mêmes ? En tous les cas, que cela soit un simple stéréotype, une association qui, par son ancienneté, a tendance à être faite automatiquement ou une réalité véridique, les études, les portraits, les statistiques réalisés jusqu'à aujourd'hui, malgré l'absence pour l'instant d'une réponse catégorique, tendent tous vers l'af�irmation d'un lien, à la nature encore �loue mais existant, entre les troubles mentaux et la créativité. 56