Art brut : essai de classi�ication :
Outre le monde des artistes connus et reconnus dont on a cité les noms précédemment, il existe aussi un groupe riche et varié de
créateurs qu'on ne peut réduire à des artistes professionnels, et encore moins of�iciels : les malades mentaux vrais, pensionnaires des
hôpitaux psychiatriques, extraordinaires créateurs de motifs et capables de produire des œuvres puissantes. Hans Prinzhorn, célèbre
psychiatre, disait que les artistes aliénés sont des artistes à l'état de nature, non corrompus par la société et ayant accès à des vérités
ultimes. De par leur manque de culture artistique, et donc l'absence de mimétisme, ils sont capables de créer des œuvres exclusives ne
se rattachant à aucune tendance stylistique ou mouvement historique.
C'est ainsi que, en voulant classi�ier spéci�iquement les œuvres des malades mentaux, Jean Dubuffet, peintre et défenseur de l'art en
dehors du "mainstream" après avoir rassemblé une collection de dessins d'enfants tourna son attention vers les œuvres des malades
mentaux et invente le terme d'"art brut". Dubuffet, comme Nietzsche, estime que les artistes sont par dé�inition des êtres asociaux dont
les pouvoirs d'innovation proviennent d'un refus de se contenter de l'ordre des choses. Pour lui, la folie se situe à l'apogée de
l'individualisme, et ses jaillissements créatifs sont particulièrement aboutis et homogènes. Les artistes malades mentaux tirent tout de
leur propre fond et non pas de poncifs de l'art classique ou de l'art à la mode. Leur opération artistique est pure, brute, réinventée de
l'entier de toutes ses phrases par son auteur à partir seulement de ses propres impulsions.
Parmi les exemples classiques de créateurs d'art brut Adolf Wol�li,
paysan suisse et ex-patient aujourd'hui considéré comme l'artiste
brut par excellence. Souvent violent, il passe de longues périodes
en chambre d’isolement. Il commence donc à dessiner
spontanément, à écrire, à composer de la musique et comme ces
activités paraissaient le calmer, ses médecins lui préparent le
matériel. En 1899, il enfonce la porte de sa cellule et casse une
fenêtre. Est-ce pour s’enfuir ? Il le "pourrait", mais ne le fait pas. Il
réinvente tout : l’histoire, la géographie, la religion, la musique, etc.
Les portées de musique chez lui ont une fonction aussi bien
plastique que musicale. On pourrait dire que le dessin devient
musique, la note dessinée relève autant du signe musical que de la
forme décorative. Les �leuves, les routes, souvent représentés par
des portées de musique, font entendre leur chant. Il joue avec les
formes et les thèmes comme il le fait avec les mots.
Il excelle dans les inventions plastiques. Il joue avec les
associations de perspectives contraires, les différents points de vue
révèlent des réseaux complexes ; les éléments ornementaux ont
une fonction aussi bien décorative que rythmique. Cependant, il ne
devient certes plus jamais sain pour la société, mais en tant
qu’artiste dans sa cellule, il développe un nouveau sentiment de sa
propre valeur sur la base de sa propre production artistique qui
n’est pas par hasard ouverte au cours artistique sur une histoire de
réception.
En conclusion :
L'intérêt que porte notre siècle à l'art des malades mentaux n'a cessé de croı̂tre. La folie est tellement associée à l’archétype de l’artiste
excentrique qu’elle est même devenue une pose. De Dali à Billy Joe Armstrong de Green Day ou Eminem, passer pour un fou est devenu
un classique, presque un «must have» sur un CV d’artiste. Un culte de «l'artiste fou», comme si la formation quali�iante pour avoir ce
statut n'était plus les Beaux-Arts, mais un séjour en hôpital psychiatrique ou en centre de désintoxication.
En effet, on se presse toujours dans les expositions qui dévoilent une production née en dehors des circuits culturels ; mais qu’est-ce
qui motive cet engouement ? Est-ce l’amusant suscité par l’irrévérence de quelques anonymes envers le milieu de l’art ? Une curiosité
inassouvie pour la face cachée de société ? Ou peut-être le sentiment troublant que tous ces actes créateurs nous interrogent sur
nous-mêmes ?
En tous les cas, que cela soit un simple stéréotype, une association qui, par son ancienneté, a tendance à être faite automatiquement
ou une réalité véridique, les études, les portraits, les statistiques réalisés jusqu'à aujourd'hui, malgré l'absence pour l'instant d'une
réponse catégorique, tendent tous vers l'af�irmation d'un lien, à la nature encore �loue mais existant, entre les troubles mentaux et la
créativité.
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