252 J . L . Pasquier et al . : Radioprotection 2024 , 59 ( 4 ), 250 – 255
de volume d ’ air , elle a été remplacée par le Rad en 1957 puis à partir de 1975 par le Gray , plus facilement généralisable à tous types de rayonnements ionisants . Pour éviter ces effets déterministes , c ’ est-à-dire éviter cette zone d ’ effets sanitaires délétères , dans une vision simpliste , binaire du risque mais avec une approche très pratico-pratique , les premières démarches de protection ont été des recommandations de limitation du temps d ’ exposition ( ICR , 1928 ) ou de la dose absorbée ( ICR , 1931 ). Ce type de démarche est également retrouvé dans la plupart des secteurs d ’ activité où des produits dangereux sont utilisés ou des situations dangereuses rencontrées . Elle est même devenue un préalable aux actions de prévention déployées pour préserver la santé des populations directement concernées , notamment les travailleurs et les malades , souffrant des effets indésirables des traitements fondés sur l ’ utilisation des rayonnements ionisants . En outre , au cours de la seconde moitié du siècle dernier , l ’ évaluation des risques fut rendue obligatoire pour apprécier l ’ impact environnemental des installations industrielles nouvelles , lorsqu ’ elles procédaient à des rejets d ’ effluents dangereux dans l ’ environnement .
3 La découverte des effets stochastiques et les premières études de risques en radioprotection
Les premières études de risques dans le domaine de l ’ utilisation des rayonnements ionisants sont finalement apparues avec les premières études épidémiologiques sur les cancers radio-induits chez les peintres de cadrans lumineux ( Evans et al ., 1972 ) et chez les survivants d ’ Hiroshima et de Nagasaki ( Jablon et Kato , 1972 ). Il faut noter cependant que les effets nocifs de l ’ exposition au radium ( Hoffman , 1925 : Martland , 1925 ) ou aux rayons X ( Richet et Londe , 1897 ; Sorel , 1897 ) étaient connus depuis longtemps , mais la notion de relation dose-effet pour l ’ exposition au radium ou aux rayonnements ionisants n ’ a été mise en évidence que bien plus tard . Le résultat fondateur pour le système de radioprotection est que ces études ont démontré l ’ existence d ’ effets non déterministes . La démonstration d ’ une augmentation de la fréquence des cancers en fonction de l ’ exposition reçue , sans existence d ’ un seuil , a constitué la première évaluation de risque encouru à la suite d ’ une exposition aux rayonnements ionisants .
Les premières études épidémiologiques ont également accompagné la prise de conscience que les effets indésirables pouvaient apparaître avec des expositions à faible dose cumulées dans la durée . Les affections radio-induites liées à ces expositions professionnelles récurrentes , mais également secondaires à certaines radiothérapies surviennent de manière aléatoire après de longues voire très longues périodes de latence . Les études épidémiologiques n ’ ont cependant pas permis de démonter l ’ existence d ’ un seuil de dose en deçà duquel tout risque s ’ annulerait ( UNSCEAR , 2021 ; Laurier et al ., 2023 ). La relation entre la dose et les effets est alors de type probabiliste , avec l ’ existence d ’ un excès de risque , aussi faible soit-il , dès la première dose reçue , aussi faible soit-elle . C ’ est la raison pour laquelle , ces effets sont qualifiés de stochastiques . Relèvent de cette catégorie de nombreux cancers comme les cancers broncho-pulmonaires , les cancers de la thyroïde , les leucémies ou les sarcomes osseux . Il en a résulté les controverses , encore actuelles , sur la pertinence de la relation linéaire sans seuil comme base du système de radioprotection actuel ( Laurier et al ., 2023 ). Dans ce contexte , les limites réglementaires de dose n ’ ont pas vocation à annuler tout risque mais à faire en sorte de permettre l ’ utilisation des rayonnements ionisants au regard des services rendus pour la société ( production d ’ énergie ) ou pour l ’ individu ( imagerie médicale et radiothérapie ) tout en reconnaissant l ’ existence d ’ un risque ( ICRP , 2007 ). Il faut aussi rappeler le principe d ’ optimisation qui permet , en dessous de ces limites réglementaires , de réduire encore le risque radiologique aussi bas que raisonnablement possible . Le dommage éventuellement causé par l ’ utilisation des rayonnements ionisants doit alors rester en deçà du bénéfice attendu et être du même ordre de grandeur que celui qu ’ on assume dans son existence quotidienne . Le périmètre défini par ces limites est celui du risque qui s ’ exprime sous forme de probabilités et qui ne s ’ annule qu ’ en absence d ’ exposition à une source autre que la radioactivité naturelle .
La définition d ’ un excès de risque ( qu ’ il soit relatif ou absolu ) a permis de passer du concept de limite de dose , parfaitement adapté à la protection contre les effets déterministes au concept de limitation du risque dans le système de protection radiologique ( ICR , 1931 ), notamment dans le cas des effets indésirables provoqués par des irradiations externes ou des contaminations à « faibles » doses cumulées dans la durée . Ceci a conduit à la définition de l ’ unité d ’ évaluation du risque , nommée au départ le « roentgenequivalent man » ou rem . Le « Sievert » sera introduit comme unité d ’ évaluation du risque dans les recommandations de la publication 26 de la CIPR ( ICRP , 1977 ). Pour ceci , il faut prendre en compte d ’ autres paramètres et notamment la dangerosité du rayonnement en fonction de sa nature et la sensibilité des différents organes composant un être vivant . Cette démarche d ’ évaluation de la dangerosité différentielle des rayonnements ( en particulier en fonction de leur énergie ) et de la sensibilité différentielle des tissus et organes cibles comporte inévitablement une part de jugement d ’ expert ( sur certains aspects difficilement quantifiables ), une nécessaire prise en compte des incertitudes et l ’ utilisation de moyennes afin de proposer une évaluation de risque applicable au plus grand nombre . Cette démarche a abouti aux concepts de dose équivalente et de dose efficace ( et de l ’ unité associée , le sievert ) qui sont finalement l ’ estimation du risque moyen encouru par un individu lorsqu ’ il est exposé au danger que constituent les rayonnements ionisants .
Cette prise en compte en amont du risque est donc devenue une donnée consubstantielle à toute démarche de progrès . Quasiment ignorée au début de l ’ ère industrielle , elle est désormais une étape impérative pour toute activité industrielle en raison des dégâts qu ’ elle pourrait induire sur nos écosystèmes ainsi que des atteintes portées à la biodiversité végétale et animale , et bien sûr , des drames humains qui pourraient s ’ ensuivre . Ainsi , dans le cadre de la lutte contre le dérèglement climatique , l ’ évaluation des risques au travers notamment du bilan carbone prévisionnel attribuable à une pratique , est désormais une nécessité pour réduire les émissions des gaz à effet de serre , personne n ’ étant plus censé ignorer qu ’ il y a un revers à la médaille des formidables avancées scientifiques , technologiques et industrielles des deux derniers siècles .