J . L . Pasquier et al . : Radioprotection 2024 , 59 ( 4 ), 250 – 255 251
Dans le domaine de l ’ exposition aux rayonnements ionisants , les situations semblent plus difficiles à analyser que la situation de risque chimique décrite ci-dessus . Deux exemples : – une centrale nucléaire de production d ’ électricité est-elle dangereuse ou risquée ? Une centrale nucléaire quelle que soit sa technologie , présente incontestablement un danger , comme toute installation industrielle , avec des causes possibles de dommages bien identifiées : contamination de l ’ environnement , conséquences sanitaires directes ou indirectes , désorganisation à long terme de la vie socioéconomique du territoire affecté par les rejets radioactifs ( Hande et al ., 2023 ; Thu Zar et al ., 2022 ). Néanmoins , les études probabilistes de sûreté et les études de risque effectuées en amont ou au cours de la vie de l ’ installation nucléaire conduisent à des aménagements ou à des dispositifs de sûreté qui permettent de réduire au maximum les risques liés à ces installations , c ’ est-à-dire de réduire la probabilité de survenue d ’ un accident , et si cela arrive d ’ en minimiser les conséquences potentielles . De plus , ces études de sûreté permettent , en fonctionnement normal , de limiter les risques pour la population environnante en limitant par exemple les rejets radioactifs dans l ’ environnement , tout en produisant une énergie abondante , pilotable et faiblement carbonée ( IPCC , 2022 ). Or , malgré ces études approfondies , une centrale nucléaire est souvent considérée comme dangereuse en raison de la nature potentiellement dévastatrice des accidents nucléaires . Cette position ne tient pas compte de la faible probabilité d ’ occurrence ( et donc du risque ) de tels accidents majeurs . Cette position correspond à la notion d ’ aversion au risque : un risque est rejeté du fait non pas de sa probabilité d ’ occurrence mais du fait des risques de perte importants , dans ce cas la contamination à long terme d ’ un territoire et les dommages économiques , sociétaux et de santé publique qui peuvent en résulter ;
– une activité de radiologie médicale comme le scanner estelle dangereuse ou risquée pour les patients qui sont exposés volontairement aux rayonnements ionisants ? Les rayonnements ionisants peuvent endommager l ’ ADN des cellules ( le danger ) et provoquer des brûlures radiologiques ou des cancers . L ’ utilisation des rayonnements ionisants en imagerie médicale représente donc bien un risque . Mais c ’ est bien l ’ exposition en elle-même qui crée le risque de cancer et qui augmente ce risque avec la dose . En imagerie médicale , on est donc conduit à diminuer le risque en utilisant la dose de rayonnement la plus faible possible tout en gardant une qualité d ’ image suffisante ( le bénéfice diagnostic ) et en limitant le nombre d ’ examens ( ICRP , 2007 ). Les avantages d ’ un scanner justifié en matière de diagnostic ou de traitement et réalisé de façon optimale l ’ emportent très largement sur les risques . On ne parle même pas de danger ! Les deux études EPI-CT réalisées chez les enfants ( Bosch de Baesa Gomez et al ., 2023 ; Hauptmann et al ., 2023 ) qui ont montré un excès de risque significatif de cancer cérébraux et de leucémies ont un intérêt majeur pour la recherche dans le domaine des faibles doses . Mais cette étude met aussi en avant le fait que le risque associé aux examens d ’ imagerie médicale reste très faible , ce qui , indirectement , renforce la justification de l ’ utilisation des scanners chez l ’ enfant .
Comme on peut le voir avec les deux exemples ci-dessus , l ’ interprétation des situations en matière de danger ou de risque est souvent difficile car de nombreux facteurs ( parfois subjectifs ) entrent en ligne de compte , et une interprétation binaire de ces situations est totalement réductrice . Il faut aller au-delà , et parler de risque acceptable ou inacceptable , qui fait intervenir la quantification du risque dans une approche multirisques et de santé publique , mais aussi une composante psycho-sociale de perception , l ’ acceptabilité , qu ’ elle soit sociétale ou individuelle .
2 La prise de conscience du risque associé aux dangers des rayonnements ionisants
Danger et risque sont deux concepts structurants des politiques de santé publique et de protection de l ’ environnement , depuis la prise de conscience progressive , il y a plus d ’ un siècle , de la nécessité de se prémunir des préjudices causés par l ’ utilisation sans précaution de produits nocifs pour l ’ homme et pour son environnement . Cette lucidité est souvent tardive par rapport aux usages . Ainsi pour les rayonnements ionisants , elle ne se manifesta vraiment qu ’ une vingtaine d ’ années après les premières observations des effets irritants du radium sur la peau ( Becquerel , 1896 ) et des dermatites des pionniers de la radiologie ( Richet et Londe , 1897 ; Sorel , 1897 ). Il a fallu attendre que la communauté scientifique et médicale soit douloureusement confrontée à une véritable hécatombe de leucémies chez les premiers radiologues utilisateurs de rayons X ( Yoshinaga et al ., 2004 ) pour que le risque imputable au danger des rayonnements ionisants devienne un vrai sujet de préoccupation , alors que les propriétés bénéfiques dont ces rayonnements invisibles étaient crédités , en médecine diagnostique ou thérapeutique , étaient mises en avant .
De cette époque antérieure à la seconde guerre mondiale , est née l ’ évaluation des risques radiologiques . Les premières évaluations de risque étaient fondées sur le constat de l ’ apparition d ’ effets indésirables , provoqués par des irradiations externes aiguës ou par des contaminations internes importantes , qui surviennent systématiquement à partir de certaines durées d ’ exposition et dans des délais relativement courts après la fin de l ’ exposition . C ’ est la raison pour laquelle on les qualifie de déterministes . En deçà de cette dose , aucun symptôme n ’ est en principe à redouter alors qu ’ au-delà , la gravité de l ’ effet croît avec l ’ intensité de l ’ exposition . Relèvent notamment de cette catégorie d ’ effets déterministes certaines anémies , leucopénies et thrombopénies , le syndrome aigu d ’ irradiation mais également des radiodermites plus ou moins graves , et certaines cataractes . Ce schéma de relation doseeffet à caractère déterministe est classique en toxicologie chimique . Moyennant quelques marges de sécurité visant à intégrer les variations de susceptibilité individuelle , une limite peut être définie qui garantit l ’ absence de manifestations indésirables et permet d ’ identifier une zone de risque . La grandeur qui permet de rendre compte du danger que représentent les rayonnements ionisants , et donc de définir cette zone de risque d ’ apparition d ’ effets déterministes , est bien la dose absorbée , c ’ est-à-dire la quantité d ’ énergie radiative absorbée par unité de masse traversée par le rayonnement . Initialement exprimée en Roentgen , c ’ est-à-dire en nombre d ’ ionisations créé par un rayonnement X par unité