A . Portelli : Radioprotection 2024 , 59 ( 3 ), 155 – 163 157
radioactifs et à décontaminer les locaux , le matériel et les vêtements de travail . Jusqu ’ en 1959 , les opérations de décontamination sont effectuées dans chaque ensemble industriel par des agents spécialisés . Cette méthode est cependant jugée inefficace : elle est trop artisanale , chronophage et ne permet pas de comptabiliser le matériel traité . Les opérations sont en outre réalisées dans des conditions de sécurité insuffisantes . La mise en service , en 1960 , de l ’ Atelier de Décontamination des Matériels ( ADM ), une station de traitement par voie chimique , permet de rationaliser le processus de décontamination . Il s ’ agit de la première installation de ce type en France . L ’ ADM est conçu pour limiter le nombre de personnes travaillant en actif , réduire le volume des effluents radioactifs et éliminer les sources de contamination .
L ’ utilisation des tenues de protection pose la question de la décontamination et du lavage d ’ une masse importante de vêtements ( Rodier et al ., 1962a ). Une blanchisserie est en conséquence construite dès la mise en service des premiers ensembles . Mais l ’ installation se révèle rapidement insuffisante . En décembre 1959 , la blanchisserie et les opérations de décontamination du linge sont confiées à la section des opérations radioactives ( SPR , 1959b ). L ’ atelier est agrandi en 1960 et le procédé de traitement est repensé . Les vêtements sales sont collectés dans les ensembles avant d ’ être envoyés à la laverie . Une machine semi-automatique de tri classe le linge selon son niveau de contamination ( Rimaud et Cottignies , 1961 ; Cohendy et al ., 1962 ). Les différents lots sont ensuite envoyés dans une chaîne de traitement actif ou inactif . Une fois traités , les vêtements sont séchés . Ceux qui ont été classés actifs au début de la chaîne sont vérifiés par une machine de contrôle du linge . Les éléments encore contaminés sont soumis à un nouveau traitement . Les lots de vêtements propres se rejoignent dans la salle de repassage . En fonction de leur état , des agents procèdent à leur ravaudage , avant de les stocker . Le procédé donne satisfaction et permet de traiter des volumes de linge en constante augmentation .
Le SPR contrôle également la radioactivité des effluents rejetés par les installations . Pour ce faire , il exploite un réseau de surveillance des rejets radioactifs dans l ’ atmosphère ( Estournel et Gallissian , 1962 ). Des stations de contrôle des effluents et une station météorologique sont mises en service en août 1958 ( SPR , 1958c ). Cinq stations , situées dans un rayon de vingt-cinq km autour de Marcoule , complètent ce dispositif . Le service contrôle aussi l ’ impact des effluents gazeux et liquides sur la radioactivité naturelle du milieu ( Marichal , 1962 ). Cette surveillance porte sur les eaux souterraines , les végétaux , la production laitière , les sédiments et la faune du Rhône . Le rejet des eaux résiduaires du centre sur le fleuve est contrôlé par le groupe de surveillance extérieur ( Estournel , 1962 ).
Un plan d ’ intervention en cas d ’ accident nucléaire est élaboré entre 1958 et 1960 ( Rodier , 1960 ). Quatre équipes mobiles de détection sont prévues pour effectuer des prélèvements dès le début de l ’ alerte ( Estournel et Rodier , 1962 ). Les résultats des mesures d ’ irradiation sont communiqués par radio au chef du SPR . L ’ analyse des prélèvements s ’ effectue soit dans les laboratoires de Marcoule , soit dans un camion semi-remorque placé en dehors de la zone de contamination . Une fois l ’ alerte donnée , le personnel se dirige vers une aire de regroupement placée en dehors de la zone soumise aux retombées radioactives . Celle-ci doit être suffisamment vaste pour faciliter la circulation des bus . Les exercices d ’ entraînement permettent , dans les années suivantes , d ’ améliorer le plan d ’ intervention .
2.3 Le premier manuel de radioprotection
Dès 1956 , les radioprotectionnistes réalisent la nécessité de capitaliser leur retour d ’ expérience et d ’ en produire une synthèse . Le SPR élabore ainsi un recueil de « Consignes générales de radioprotection », qui constitue le premier manuel de radioprotection en milieu industriel . Sa rédaction débute en 1964 ( Guérin , 1964a ) et le manuel est finalisé en novembre 1965 ( Guérin , 1965 ). Le résultat obtenu s ’ appuie sur les difficultés rencontrées au quotidien pour assurer la protection des agents . Il témoigne de la nécessité de standardiser les pratiques afin de définir une culture commune pour sécuriser la filière nucléaire . Son but est de conserver une actualité permanente , en apportant des modifications prenant en compte les évolutions techniques . Le manuel est distribué dans les centres du CEA et utilisé comme modèle de normalisation de la radioprotection .
Face à l ’ ampleur de sa mission , le SPR pense que la solution réside dans la réduction de sa tâche ( Chassany , 1962 ). Pour cela , le personnel doit prendre conscience de la nécessité d ’ apporter une contribution active à sa protection . La prévention psychologique , dont le but est d ’ éliminer les causes d ’ accidents liées au comportement humain , doit dès lors venir compléter la prévention technique . Pour ce faire , le SPR développe un programme d ’ éducation en matière de risque radioactif destiné aux travailleurs et au public .
3 L ’ éducation du public et des travailleurs du nucléaire
Pour le SPR , le public manifeste , au côté des travailleurs du nucléaire , une grande curiosité envers l ’ énergie atomique . Celle-ci est teintée de crainte , principalement en raison des bombardements atomiques d ’ Hiroshima et de Nagasaki . Certains , tel le philosophe et militant de la paix Lanza del Vasto ( Rognon , 2013 ), perçoivent l ’ énergie nucléaire comme une apocalypse programmée et non comme une promesse de salut . Le SPR souligne en outre que des scientifiques et des ingénieurs , en cultivant un certain mystère autour du nucléaire , contribuent à le rendre incompréhensible et effrayant . Des erreurs publiées dans la presse enracinent dans l ’ esprit des individus des idées fausses ou déformées . Selon le SPR , il est crucial d ’ éliminer les craintes du public , parmi lequel les travailleurs du nucléaire sont recrutés , et de rectifier les erreurs diffusées dans les médias pour ne pas entraver les possibilités d ’ expansion de la filière ( Rodier et al ., 1962b ). Le public doit ainsi faire l ’ objet d ’ un programme d ’ information générale , tandis que l ’ éducation doit se spécialiser en s ’ adressant aux opérateurs . Le programme éducatif du SPR participe de cette manière de l ’ effort de rationalisation de la radioprotection .