156 A . Portelli : Radioprotection 2024 , 59 ( 3 ), 155 – 163
agents de prendre la mesure de ces risques et de se protéger en connaissance de cause . La prise de conscience de la spécificité des rayonnements conduit cependant à la nécessité d ’ une organisation dédiée à l ’ étude , la surveillance et la prévention du risque radioactif , donnant naissance en novembre 1951 au Service de Protection contre les Radiations ( SPR ) de Saclay ( Strauss , 1999 ). La question de la protection contre les radiations change toutefois d ’ échelle avec l ’ ouverture de Marcoule , du fait de la présence de quantités grandissantes de matières radioactives et de l ’ inexpérience de la plupart des agents qui sont recrutés . L ’ industrie nucléaire n ’ en est qu ’ à ses débuts , et aucune expérience antérieure ne permet d ’ évaluer les risques d ’ irradiation ou de contamination des travailleurs . Certes , les équipes d ’ exploitation bénéficient de l ’ expertise du SPR de Saclay . Mais localement , tout ou presque reste à inventer . Cette tâche incombe au SPR de Marcoule , qui se charge de rationaliser la radioprotection en milieu industriel .
Cet article propose ainsi de questionner ce processus à travers l ’ étude du fonds d ’ archives du SPR de Marcoule , de sa création en 1955 à la fin des années 1960 . La première partie relate les premières mesures de protection contre les radiations mises en œuvre à Marcoule . La deuxième partie présente le programme conçu par le SPR pour éduquer les travailleurs et le public en matière de risque radioactif . La troisième partie montre enfin l ’ apport du dessinateur Jacques Castan , dont les créations ont illustré le programme éducatif du SPR .
2 La normalisation de la radioprotection en milieu industriel
Fondé en novembre 1955 dès la création de Marcoule , le Groupe de Protection contre les Radiations ( GPR ) a pour mission d ’ assurer la radioprotection du personnel et le contrôle des effluents , sans entraver l ’ exploitation des installations ( GPR , 1955a ). Le 26 octobre 1956 , une cartouche de combustible , mal positionnée dans le canal 19-13 de G1 , s ’ échauffe et prend feu ( Joffre , 2010 ; Marguet , 2012 ; Mangeon et al ., 2024 ). L ’ accident met à rude épreuve le personnel . Si l ’ événement est jugé sans gravité , il révèle en revanche que des progrès restent à accomplir en matière de sûreté nucléaire et de protection radiologique . Pour le GPR , l ’ accident constitue une prise de conscience brutale de ses très grandes responsabilités dans l ’ exploitation des ensembles industriels ( Gervais de Rouville , 1962 ).
Le GPR devient la Section de Protection contre les Radiations en juin 1957 , puis le Service de Protection contre les Radiations en octobre 1959 . L ’ évolution d ’ un groupe à un service traduit la croissance de l ’ activité de radioprotection , due à l ’ augmentation du nombre d ’ installations sur le site .
2.1 Le temps des premières difficultés
Les radioprotectionnistes de Marcoule bénéficient de l ’ expérience de leurs homologues de Saclay , participant au démarrage des activités de décontamination ( SPR , 1958b ), de la photométrie et du contrôle des eaux du Rhône ( SPR , 1959a ). Le SPR de Saclay intervient aussi pour fabriquer des matériels de mesure ( SPR , 1957c ), former les équipes de surveillance et assurer le stockage des boues et des déchets radioactifs ( SPR , 1958a ). Le GPR est en outre aidé par le Service Central de
Protection contre les Radiations Ionisantes ( SCPRI ), service de l ’ État externe au CEA , qui participe à l ’ harmonisation des méthodes de contrôle et à la mise en place de prélèvements pour analyser l ’ impact radiologique de Marcoule sur l ’ environnement ( SPR , 1959a ).
Le GPR s ’ autonomise en développant peu à peu ses propres moyens d ’ action . Il rencontre toutefois plusieurs difficultés . Les agents ont tout d ’ abord besoin de locaux adaptés à leurs activités . Le chantier de construction du futur bâtiment SPR débute en janvier 1957 ( GTI , 1957 ). Les travaux prennent du retard et ne sont achevés qu ’ en juillet 1958 , soit 8 mois de plus que prévu ( STI , 1958 ). Les radioprotectionnistes peinent également à constituer leur équipement . Les retards s ’ accumulent , complexifiant la gestion du matériel , qui doit être commandé 10 à 12 mois en avance ( SPR , 1957b ). La section finit cependant par recevoir les appareils électroniques , les détecteurs et les équipements individuels , ainsi que les véhicules nécessaires à ses activités . La section rencontre enfin des difficultés à recruter du personnel et les délais d ’ embauche sont excessivement longs . Les premiers ingénieurs prennent leur fonction en juin 1957 ( SPR , 1957a ). Le rythme des affectations s ’ accélère en 1958 et les besoins sont progressivement comblés . Le nombre de radioprotectionnistes passe ainsi de 28 agents en 1956 à 291 en 1960 , date à laquelle la section est devenue un service .
2.2 Le développement des moyens de protection contre les radiations
Le SPR élabore sa doctrine en même temps qu ’ il développe ses moyens de protection ( Rodier , 1962 ). La prise en compte des risques classiques ne doit pas être sous-estimée mais reste insuffisante dans un centre nucléaire ( Rodier , 1964 ). La présence de particules radioactives impose de recourir à des éléments de sécurité radiologique . L ’ importance du risque radioactif justifie ainsi l ’ application de méthodes strictes de travail et nécessite un contrôle rigoureux des dangers d ’ irradiation externe et de contamination .
Les lieux de travail sont classés selon le niveau de risque radioactif , défini à partir des mesures qu ’ effectuent les radioprotectionnistes . Leur classification est déterminée dès la mise en service du centre , avant d ’ être revue en 1963 ( CHS , 1965 ). Des sas étanches sont disposés à l ’ entrée et à la sortie des zones contaminées . Les agents du SPR effectuent des contrôles fréquents durant leurs rondes routinières . Les résultats sont regroupés sur des fiches pour faciliter leur utilisation et leur conservation .
Des films et des stylos dosimètres sont distribués au personnel dès décembre 1955 ( GPR , 1955b ). Les règles d ’ hygiène radioactives imposent aux travailleurs qui interviennent en zones réglementées de porter une tenue complète de protection , composée d ’ un pantalon , d ’ une chemise , d ’ une veste , d ’ une paire de chaussettes et d ’ un pull-over en hiver . Elle est complétée , dans les zones à risque permanent de contamination , d ’ une blouse , d ’ un calot et d ’ une ou plusieurs paires de surbottes ( Boutot et Schipfer , 1964 ). La tenue en vinyle et le scaphandre sont réservés aux interventions en zone de travail occasionnel . Le port du masque respiratoire est obligatoire en cas de risque de contamination atmosphérique .
L ’ élimination des sources inutiles , confiée à la section des opérations radioactives , consiste à évacuer les résidus