d’ occupations, et faire de la superposition de ces activités un programme? Dans la ville telle qu’ elle est construite aujourd’ hui par les institutions publiques classiques, les gens n’ arrivent pas à faire émerger leurs désirs et leurs envies de faire. Nous manquons d’ endroits pour se redonner une liberté d’ action. Pourquoi ne pas donner confiance à toutes ces personnes qui portent des projets pour la chose publique? Qu’ y a-t-il de plus démocratique que de faire s’ exprimer les intérêts de chacun, pour construire l’ intérêt général?
Strabic: Réouvrir le lieu, c’ est aussi réouvrir ses possibles? S. R.: Le bâtiment avait justement déjà démontré la mutation de son programme. Il a été construit pour être une faculté des sciences, mais en 1968, l’ université est partie pour rejoindre le site de Rennes 1. Des étudiants en dentaire se retrouvaient trop à l’ étroit. Mécontents, ils ont voulu réquisitionner ce bâtiment vide en l’ occupant illégalement. Progressivement, c’ est comme cela que s’ est ensuite installé au rez-de-chaussée un centre d’ application lié à l’ hôpital dentaire: un lieu de soin. On a donc finalement installé un hôpital dans une faculté des sciences! On théorisait dans les étages, on pratiquait au rez-de-chaussée. La commande publique telle qu’ on la fait aujourd’ hui ne correspond plus à nos modes de vie: on programme trop, on fige les choses. Si par exemple on décidait aujourd’ hui de faire de ce bâtiment un musée, il n’ existera pas avant sept ans, durant lequel tout serait fermé, et on aura dépensé des millions pour faire une opération dont le besoin n’ existera peut-être plus! Pourquoi ne pas plutôt prendre ce temps pour requestionner ce bâtiment, ne pas le programmer, l’ ouvrir, et faire confiance aux besoins existants? On pourrait même ne rien faire en terme d’ aménagement dans le lieu, juste sauvegarder ce patrimoine en le remettant aux normes: électricité, chauffage et normes d’ accessibilité. Accueillir des occupations sur des temps éphémères démontrerait que l’ architecture est mouvante.
Strabic: Vous avez donc occupé les lieux en disant « on observe ce qui se passe », sous-entendu « en attendant de prévoir un aménagement », sauf que vous démontrez que c’ est cela qui est aménagement? S. R.: Oui, c’ est ça. Il faudrait toujours aménager en laissant des espaces non affiliés. On cherche à ce que chacun s’ approprie, sans que personne ne se sente propriétaire. L’ idée est de laisser un maximum de liberté d’ usages. Chacun vient avec sa valise, habite le lieu le temps du projet, et laisse l’ espace libre pour d’ autres, mais empreint de son usage. C’ est ce qui fait notion d’ hospitalité dans la ville, c’ est presque un service public permanent. Nous essayons d’ imaginer l’ existence de lieux publics non étiquetés « théâtre », « musée » ou « centre social ». Les six mois d’ ouverture des lieux ont prouvé qu’ il pouvait servir à des types d’ activités très différentes, tout en faisant corps.
Strabic: Que veux dire « Université Foraine »? Une école qui se déplace? S. R.: Un exemple: j’ ai rencontré beaucoup d’ écoles, GRETA ou BTS électricité et plomberie qui m’ ont dit « On fait travailler nos mômes dans des ateliers, ils fabriquent des choses qui sont ensuite mises à la poubelle! » Pourquoi la commande publique, les bâtiments des villes ne pourraient-ils pas être les supports concrets d’ application de ces apprentissages? Le lieu de l’ école permanente? N’ importe quel sujet dans ce bâtiment, qu’ il soit très concrètement architectural parce qu’ il faut rénover, ou qu’ il touche simplement à ce qui fait son usage, est propice à être questionné, expérimenté, réalisé ET à en tirer des enseignements. L’ institution publique devrait pouvoir être ce lieu de croisement entre savoir-faire très concrets et savoirs « savants »: faire se confronter l’ école et la réalité. Mais ce lieu n’ est pas seulement ouvert aux écoles, ni aux structures associatives ou culturelles. Si on entend que dans agriculture il y a le mot culture, que la santé est intrinsèquement politique, que le social nécessite l’ artistique … tout est sujet à apprentissage, transmission et appropriation! Peut-on penser une institution publique décloisonnée d’ une seule communauté ou discipline? Tout est lié, et le besoin de vivre et d’ apprendre ensemble est urgent. Pourquoi est-ce qu’ on n’ apprend que dans les écoles?
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