PORTAIL MULTIPLAN
MANGAS
L
orsque je m’étais rendu à un colloque de psychologie, droit et
médecine, j’avais entendu ce trait d’humour noir : « La prise
en charge du suicide coûte très cher- alors ne vous suicidez
pas, ou si vous voulez vous suicider, réussissez du premier coup ! »
C’est bien l’opinion du gouvernement japonais dans ce manga, le Japon
ayant réellement un taux de suicide élevé (quatrième plus important mondial). Que fait-il ? Hé bien, lorsqu’il y a des récidivistes, un médecin fait signer
une décharge à la personne ayant voulu pratiquer une autolyse, qui ne se
soucie pas des détails, puisqu’on lui promet la délivrance finale.
Sauf que non, comme le découvre Sei. Il se réveille plusieurs jours plus
tard sur un des nombreux îlots de l’archipel nippon, en compagnie d’une
multitude d’autres personnes ayant également tenté plusieurs fois de se
suicider.
Un simple panneau sur ce lopin de terre abandonné les informe que le
papier qu’ils ont signé les a banni de la société japonaise, qu’ils ont renoncé
à leurs droits tant qu’être humains et doivent rester ici, à l’écart de toute loi.
La révélation est trop rude pour plusieurs d’entre eux qui commettent le
dernier acte de leur existence, laissant les autres dans l’angoisse : comment
s’organiser et à quoi bon survivre sur cette petite île ?
Il fallait oser choisir un tel thème pour un manga, car comme vous vous
en doutez, c’est plus que poignant. Chacun a été profondément blessé par
l’existence d’une manière différente, ce qui n’est pas exactement le meilleur
matériel pour la survie.
Même s’il reste des bâtiments désaffectés, l’océan pour pêcher,
des arbres fruitiers et des animaux, la tâche s’annonce difficile...
D’autant plus avec les tensions qui naîtront immanquablement
entre personnes fragilisées.
Ce concentré de tragédies personnelles - et il y aura bien
évidemment des drames pour rythmer l’histoire - pourrait en faire
déconseiller la lecture à ceux qui ont déjà le cafard, mais Suicide
Island ne commet pas l’erreur de se vautrer dans le pathétisme.
C’est avant tout une histoire très humaine, avec ses moments forts
et porteuse d’un message d’espoir là où ne régnaient que les certitudes les plus sombres concernant la vie. Cela se voit très bien par
le prisme de Sei, sur lequel l’intrigue se focalise, qui prend confiance en soi à mesure qu’il devient important pour le groupe- même
essentiel, puisqu’il utilise ses connaissances en archerie pour chasser du gibier, le dépecer et le conserver pour nourrir les autres !
Ajoutez aussi une pincée de romance, bien plus supportable
dans ce cadre, certes extrême, mais où le lien social est réparateur.
Ce qui ne sera pas de trop avec l’autre groupe sur l’île, dirigé par
un chef cannibale et édictant qu’en l’absence de loi, chacun devrait
agir selon son bon plaisir...
Le suspens est donc bien là et on s’attache aux personnages
assez facilement. Finissez avec une patte graphique singulière mais
agréable, et vous obtiendrez une bonne lecture.
74 PixaRom magazine