PixaRom numéro 4 PixaRom numéro 4 Mars 2014 | Page 73

PORTAIL MULTIPLAN Jeeves On reproche parfois à nos amis britanniques d’être quelque peu hautain envers les autres civilisations, mais il faut bien leur reconnaître qu’ils ont su développer un humour des plus savoureux. Les livres portant sur le personnage de Jeeves démontrent pleinement l’efficacité de l’humour anglais : sobre, primesautier, sans vulgarité, parfois loufoque ou un peu absurde. De prime abord, on pourrait s’étonner que le nom de Jeeves se retrouve à chaque volume, car il n’est « que » le butler (valet/) de Bertram Wooster. Ce dernier est le jeune rejeton rentier d’une famille aisée, oisif à souhait, n’aimant rien de mieux que les sorties avec les camarades, les journées dans les clubs huppés, courses hippiques et autres loisirs d’un homme sans occupation principale. Ce qui ne l’empêche pas, pour autant, d’être souvent occupé : tantôt ce sera sa terrible tante Agatha, le dragon de la famille, qui exigera de lui un service (tandis que Bertram est considéré comme le demeuré de la famille), tantôt un de ses amis viendra à sa porte pour requérir son assistance dans des affaires toujours délicates, ou bien il se mettra lui-même dans la panade avec quelque amourette ou projet hasardeux. Hélas, malgré tout ce qu’il peut raconter sur les qualités des Wooster, Bertie - comme on le surnomme souvent - n’est pas le plus débrouillard ou le plus courageux. Et c’est là qu’intervient Jeeves. « Monsieur Wooster est très gentil, très poli, mais il n’a pas de cervelle, non, vraiment pas de cervelle. » dira le Valet à son propos. Jeeves, pour sa part, est l’archétype du valet possédant toutes les vertus. Citant les plus grands philosophes, auteurs et poètes avec aisance, bien plus intelligent que son maître, ses circonvolutions savent trouver la solution adéquate aux problèmes qui se présentent, régulièrement à l’encontre des objections de son maître ou à son insu. Constamment maître de lui et d’une courtoisie exquise jusque dans ses plus vifs reproches, voulant toujours donner satisfaction, tout au plus aura-t-il un infime plissement des lèvres si quelque chose lui paraît réellement drôle. Cela passe souvent au détriment de Bertie, qui doit par exemple être décrit comme fou pour échapper à des fiançailles jugées fâcheuses, ou bien avec des compromis n’étant pas trop de son goût, comme utiliser un portrait de lui (que Jeeves n’appréciait pas à cause de l’aspect affamé qu’il avait) serve pour une campagne publicitaire concernant des soupes. Les livres sont habituellement découpés en historiettes d’une vingtaine de pages, rapides et faciles à lire, qui suivent généralement la même structure. Bertram est sorti de son oisiveté par un membre de sa famille (comme tante Agatha désirant qu’il se rende chez un baron, afin de lui dérober un pot à crème en forme de vache pour le compte de son oncle Tom) ou un ami venant demander son aide (comme Bingo Little, qui tombe amoureux à peu près une ou deux fois par moi) et le convaincant par persuasion ou coercition. Bertie fait appel à Jeeves la plupart du temps, ou bien il insiste pour utiliser un plan de son invention, un évènement fait que souvent, cela a l’effet inverse de celui désiré. Mais Jeeves, qui pense à tout, se révèle avoir trouvé une solution qui arrive à point nommé pour le sortir du guêpier. Bien entendu, entretemps, il y aura eu des situations cocasses et gênantes pour Bertie (tel que se retrouver perché par un arbre pour créer une discrétion, tandis qu’un gendarme le repère sur le fait) et des dialogues accrocheurs. Et Jeeves obtiendra gain de cause (le sacrifice d’un vêtement qu’adore son maître mais qui choque son propre sens esthétique est récurrent). - Voyons cela de plus près. J’examinai la chose. C’était un message pour le moins bizarre. Bizarre. Il n’y avait pas d’autre mot. Il était ainsi libellé : N’oublie pas à ton arrivée ici essentiel croiser parfaits inconnus. Nous autres Wooster avons l’esprit quelque peu lent, surtout au petit-déjeuner, et une douleur sourde me vrilla les sourcils. - Qu’est-ce que cela signifie ? - Je ne saurais vous le dire, Monsieur. - Le télégramme parle d’« ici ». C’est où « ici » ? - Monsieur observera que le télégramme est posté depuis Woollam Chersey. - C’est exact. De Woollam, comme vous l’avez fort judicieusement remarqué, Woollam Chersey. L’on s’efforce de nous dire quelque chose. - Quoi donc, Monsieur ? - Ça, je l’ignore. Ce n’est tout de même pas tant Agatha ? Qu’en pensez-vous ? - Ce serait surprenant, Monsieur. - Certes. Encore une fois, vous avez raison. Ainsi donc, la seule chose dont nous soyons sûrs, c’est qu’une personne inconnue, résidant à Woollam Chersey, juge essentiel que je croise sur mon chemin de parfaits inconnus. Mais pourquoi rencontrerais-je donc de parfaits inconnus, Jeeves ? - Je ne saurais vous le dire, Monsieur. - Toutefois, si l’on considère la question sous un autre angle, pourquoi n’en rencontrerais-je pas ? - Tout à fait, Monsieur. - Par conséquent, nous voilà forcés de conclure que a chose est un mystère dont seul l’avenir nous livrera la clef. Il ne nous reste plus qu’à voir venir, Jeeves. - Monsieur m’ôte les mots de la bouche. Ce qui vous permet aussi de remarquer le style de Wodehouse, accentué sur l’échange plutôt que les verbes dialogiques et descriptions associées. Les livres avec Jeeves se situent dans une Angleterre du siècle dernier, qui, avec ses baronets, ses personnages truculents et les situations exposées dans les romans, demeu &P