Photoniques No. 132 | Page 32

EXPÉRIENCE MARQUANTE
Figure 2. À gauche, photographie interférentielle de G. Lippmann de la collection de Sorbonne Université, avant restauration. Vitrail-Photo 35-11 © C. Sandrin. À droite, schéma d’ une plaque interférentielle montée avec prisme, adapté du mémoire de M. Lamotte, Institut National du Patrimoine, 2014.
Le procédé et le principe de photographie interférentielle
Dans son discours de remise du prix Nobel, G. Lippmann affirme que « La méthode est très simple ». Si le principe en lui-même est effectivement simple, sa mise en œuvre demeure néanmoins relativement complexe. Le procédé Lippmann se fonde sur la photosensibilité des halogénures d’ argent. Plusieurs liants transparents ont été expérimentés: tout d’ abord, l’ albumine, le collodion( nitrate de cellulose) et le collodion-albuminé sec, qui produisent des plaques trop peu sensibles, puis la gélatine. Dès 1892, Lippmann a également obtenu des images en couleurs avec de l’ albumine bichromatée ou de la gélatine bichromatée, c’ est-à-dire sans halogénure d’ argent. Ceci étant, la méthode la plus courante met en œuvre des halogénures d’ argent-le chlorure d’ argent et le bromure d’ argent- en suspension dans la gélatine. La température de couchage est strictement maintenue en dessous de 40 ° C. Alphonse Berget, assistant de G. Lippmann, l’ écrit « Moins la température sera élevée, plus les couleurs viendront avec perfection ». Cette température de coulage garantit une taille d’ halogénures d’ argent précipités très petits en comparaison avec la précipitation entre 50 et 60 ° C pour la maturation physique des émulsions argentiques classiques. G. Lippmann ajouta des colorants sensibilisateurs à la suspension colloïdale pour en étendre la sensibilité spectrale et obtenir des plaques isochromatiques c’ est-à-dire sensibles de manière égale à toutes les couleurs du spectre visible. La plaque ainsi préparée peut être conservée. Elle est immergée dans un deuxième bain de sensibilisation quelques heures avant son exposition. Lors de l’ exposition, la plaque photographique est exposée à travers le support verre, la fine couche photosensible étant au contact de mercure. Les temps d’ exposition restent longs; ils se comptent en heures au tout début, puis, après plusieurs améliorations, à de l’ ordre de la minute. Au cours de l’ exposition, l’ onde lumineuse incidente λ 0 interfère dans la couche sensible avec l’ onde réfléchie sur le miroir de mercure pour former une onde stationnaire. Dans la couche sensible, aux ventres de l’ onde stationnaire, se forme une image latente qui est révélée
Figure 3. Principe de la photographie interférentielle lors de la phase d’ exposition. Les ronds noirs représentent les germes d’ argent de l’ image latente sur lesquels vont croître les particules d’ argent lors de la phase de développement. par un développement à l’ acide pyrogallique ou à l’ ammoniaque qui accumule de l’ argent métallique. Ainsi aux anti-nœuds, des plans de particules d’ argent métallique sont formés espacés d’ une distance égale à λ 0 / 2n, avec λ 0 la longueur d’ onde d’ exposition et n l’ indice optique du liant de la couche image( cf. figure 3). L’ épreuve est fixée au cyanure de potassium ou au thiosulfate de sodium afin d’ éliminer les halogénures d’ argent non insolés. Les couleurs apparaissent au cours du séchage. Lors de l’ observation en lumière blanche, les longueurs d’ onde proches de λ 0 interfèrent de façon constructive du fait des plans d’ argent métallique, et les autres longueurs d’ onde de l’ éclairage ne sont pas réfléchies du fait d’ interférences destructives; la couleur naturelle est ainsi restituée.
Le prix Nobel et la fin d’ usage du procédé
Le double développement, à la fois théorique et pratique, du procédé vaut à G. Lippmann le prix Nobel de physique en 1906 pour « pour sa méthode de reproduction des couleurs en photographie, basée sur le phénomène d ' interférence ». G. Lippmann a publié son invention dès 1891, laissant ainsi la possibilité d’ améliorations par d’ autres, parmi lesquels en France, George Goddé et Auguste Ponsot dont des plaques sont conservées respectivement à la Société française de Photographie et à l’ Université de Lille, et aussi dans l’ Empire allemand Richard Neuhauss ou encore Hans Lehmann. La société Lumière s’ attèle à optimiser le procédé dès que G. Lippmann la contacte en 1891. Jusqu’ en 1895, Louis Lumière parvient à réduire sensiblement le temps de pose grâce à l’ amélioration de l’ orthochromatisme de l’ émulsion au gélatino-bromure d’ argent. G. Lippmann reconnaît luimême la grande qualité des photographies interférentielles ainsi produites. Des projections de photographies interférentielles sont organisées lors des premières projections du cinématographe de société Lumière. La société
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